Quelques éléments de compréhension psycho-dynamique sur les dispositifs Maison de l’adolescent (MDA)
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Quelques éléments de compréhension psycho-dynamique sur les dispositifs Maison de l’adolescent (MDA)

L’objet de cet article est de proposer quelques éléments de compréhension psychodynamique des dispositifs Maison de l’adolescent (MDA). Ces dispositifs sont issus de projets récents, à la dynamique nouvelle, et « en construction » selon des modèles et des organisations multiples, diverses, et riches de cette diversité ; ils sont à la fois issus et porteurs d’histoires institutionnelles et inter-institutionnelles pré-existantes variables créant, dans leur actualité, des projets nouveaux, eux aussi originaux et différents les uns des autres.

Ces nouvelles structures, se situent par définition et pour être schématique, dans un premier projet qui est celui d’une plus grande accessibilité et disponibilité dans l’accueil et dans la prise en compte de la demande chez les adolescents et par une ouverture large au partenariat qui s’y trouve engagé. Mais derrière l’élan et le dynamisme qu’induisent ces projets, derrière la multiplicité des orientations suivies, et les questions organisationnelles qui ne manquent pas, il nous semble essentiel de poser d’autres questions. Que véhiculent ces MDA sur le plan fantasmatique, celui des adolescents, de leur famille, des professionnels impliqués ? En d’autres termes et puisqu’il s’agit d’un dispositif ou de plusieurs types de dispositifs d’aide, comment « fonctionnent-ils » à un niveau inconscient ou comment d’ailleurs nous font-ils fonctionner nous-mêmes à notre place de professionnel, dans notre rôle et nos pratiques ?

Pris dans ce mouvement d’émergence, de création et de mise en place, les projets de MDA se développent assez rapidement et s’il est intéressant d’observer cette avancée et la mise en pratique effective et stimulante de ces structures, il est souhaitable aussi de se pencher, sur les systèmes mis en place, qui permettent et organisent les pratiques, sur nos représentations conscientes ou inconscientes, les modélisations et la fantasmatique qui les traversent et qu’ils véhiculent. Il s’agit aussi de tenter de se représenter davantage les MDA dans leur psycho-dynamique même, de les penser, se les représenter. On pourrait l’exprimer autrement en se demandant où se cache et que cache « l’inconscient » de ces MDA ? Ou bien encore, puisque l’on a retenu pour ces structures la nomination de « Maison », qui a fait florès, qu’en est-il de la « cave » ou du « grenier » de ces Maisons… ?

Si nous souhaitons mieux répondre à la demande, mieux aider les adolescents à trouver une aide, une des questions serait par exemple : que portent et qu’apportent en elles ces modifications au sein de nos pratiques dans nos fonctionnements et que nous apprennent-elles sur nos représentations des adolescents… ? Il s’agit d’essayer de penser les dispositifs MDA, de façon générale, non seulement comme dispositif d’accueil, d’écoute, d’orientation ou de soin, ou bien encore en tant que « plateau technique » (dimensions qui visent toutes deux dans leur objectif manifeste à s’adapter aux multiples expressions des demandes chez l’adolescent), mais d’essayer également de le penser, de se le représenter en tant que système institutionnel, système vivant et en développement, ce qu’il est aussi, penser en somme l’intériorité de la « Maison »…

La dynamique d’un projet en évolution et en transformation : le « pubertaire » et la construction de soi

Les MDA sont des projets en cours, ce qui appelle d’emblée deux commentaires : le fait que ces projets s’inscrivent dans un mouvement, par ailleurs national, crée en soi une dynamique porteuse, celle du projet en soi, mais qui se double ici par son appartenance à un grand projet, qui les situe simultanément dans le « méta-cadre » d’un projet national. Etre un projet nouveau, jeune et construit pour les jeunes, autour des jeunes, crée en soi une dynamique tout à fait particulière et dont l’évidente « contagiosité » par la dynamique pulsionnelle adolescente imprègne chacune de nos étapes. Ce mouvement même d’une structure en évolution, en création ou en mutation crée également ses effets propres sur la dynamique et les représentations des acteurs. Il s’agit de créer un dispositif, certes ancré dans une histoire, appuyé, étayé sur des modèles et institutions préexistantes, mais également novateur, en construction, ce qui vient encore résonner, – et ce n’est pas le fait du hasard – avec le processus même de l’adolescence.

Le projet MDA est bien issu des projections émanant des adolescents que nous recevons, du processus même de l’adolescence et de la construction conséquente de nos représentations. Ce projet, par définition, est en mouvement, en évolution et se déploie même à un niveau ou à un degré supérieur dans sa dynamique de projet : il est projet « en transformation » (non pas seulement « en évolution ») et nous insistons sur cette distinction. Si le projet, de par sa dynamique, est par définition un mouvement avec une progression donnée, le concept de transformation nous paraît instituer à un degré supplémentaire le mouvement, l’évolution d’un système donné. La transformation implique non seulement que le système se modifie, se développe, accroisse ses interactions, etc… mais la notion de transformation indique qu’il change aussi « en profondeur », dans son organisation, dans sa structuration interne. L’évolution n’est pas seulement changement, modification dans les pratiques et les liens créés avec l’extérieur, elle est aussi transformation des relations internes, restructuration des pratiques avec les difficultés liées aux remises en questions et aux re-modélisations de notre rapport à notre cadre de travail, à nos pratiques dans leur intériorité, à notre métier, comme en témoignent régulièrement les questionnements des professionnels des MDA.

Ceci témoigne de la similarité qui nous intéresse entre dispositif MDA en développement et processus d’adolescence. L’adolescent n’évolue pas seulement au sens où un enfant ou un adulte se développe, évolue, modifie ses acquisitions et ses connaissances, ses compétences, mais il se transforme également, corporellement déjà, bien sûr, mais de façon élargie dans ses autres diverses dimensions (psychique, relationnelle, socio-affective,…). De même le projet de chaque MDA traverse ainsi un certain nombre d’étapes s’originant pour exemple et selon notre propre expérience, de la pratique d’un service d’inter-secteur de pédopsychiatrie puis d’un CMP spécifiquement adolescent, à la construction de divers projets partenariaux en « extérieur » et atteindre enfin une nouvelle forme de structuration (MDA) marquée par la mixité inter-institutionnelle. Le fait pour les MDA de s’inscrire, de se situer même dans une dynamique de projet en pleine croissance induit cette relation d’homothétie à la dynamique adolescente. Comme les adolescents, les MDA se développent, font leur… poussée de croissance, veulent prendre leur place, leur autonomie, jouer leur rôle sur la scène, leurs différentes scènes, la scène familiale de leur(s) institution(s)-mère(s), mais aussi la scène plus élargie de leur multiples interactions institutionnelles …

L’éloignement de la tutelle parentale : la prise de distance et la recherche d’autonomie, … idéalisation et dés-idéalisation…

Les processus de co-construction, de création de structures nouvelles, innovantes, différentes dans leur organisation, leurs repères et leur fonctionnement nous situent dans une prise de distance, un processus d’autonomisation, de différenciation (de séparation-individuation) vis-à-vis des modèles et références classiques (qu’ils concernent la pédopsychiatrie, les institutions socio-éducatives, etc…). On se situe ici dans la même prise de distance que celle qu’exige ou intime le processus d’adolescence vis-à-vis notamment des repères oedipiens de l’infantile et des modèles parentaux ; il s’agit de trouver d’autres configurations relationnelles et partant d’autres sources d’identification, de nouer d’autres types de relation que celles qui « infantilement » liaient les acteurs (professionnels du soin, de l’éducatif…) à leurs repères institutionnels classiques.

C’est ainsi, selon un autre plan, situé peut-être davantage dans le registre fantasmatique, qu’il faut se dégager de la représentation très prégnante et elle aussi imaginaire d’un dispositif théorique et idéal, figé dans une position d’idéalisation, et qui fonctionne à l’évidence et de manière « totalitaire » au cœur de nos représentations conscientes et inconscientes. Ce fantasme de la structure ou du dispositif idéal est en effet, à ce titre, bien présent dans cette phase actuelle de développement des MDA, – où il est créé et entretenu par l’ensemble du champ du socius concerné (adolescents, famille, professionnels, …), fantasme marqué par l’idéalisation et la toute-puissance d’un lieu privilégié sur lequel on projetterait toutes nos attentes, toutes les réponses, tous les possibles. Comme tout projet dans sa phase de naissance, on voit ainsi se succéder en alternance les temps d’idéalisation et de… retour à la réalité ; mais l’on saisit bien qu’à l’inverse, ces oscillations entre phase d’idéalisation et phase de désillusion et qui ouvrent secondairement la voie vers les phases d’élaboration (sur le mode d’un travail de deuil voire d’un problématique non dénuée de dépressivité par moments) et d’adaptation à la réalité, apparaissent essentielles. Dans le prolongement du mythe de l’organisation idéale à trouver, il y a l’image du dispositif parfait, la Maison qui pourrait tout recevoir, tout accueillir… en attendant de pouvoir mettre en place plus simplement, une MDA « suffisamment bonne »…

Cette idéalisation est bien sûr un puissant levier, partie intégrante de la réalité fantasmatique de notre fonctionnement groupal institutionnel (de notre appareil psychique groupal) dont l’ombre portée influe pleinement sur la réalité « en soi », qui se construit à partir de nos fantasmes et de nos croyances. Cette dimension fantasmatique du projet idéalisé existe bel et bien en tant que telle, est tout à fait présente, et elle est celle avec laquelle et grâce à laquelle aussi nous pouvons avancer et « tenir », nous étayer dans la conduite et le cheminement des projets, avec la nécessaire dimension d’ « illusion groupale » qui s’y associe, avec ses aspects positifs mais aussi sa nécessité d’en élaborer le deuil. Cet axe porteur de l’idéalisation, y compris dans sa dimension groupale, est en l’occurrence essentielle dans le processus et la dynamique d’un projet, en agissant comme une force et une dynamique porteuse, à l’instar d’ailleurs de ce qui se passe aussi pour les adolescents que nous recevons, eux aussi en mouvement, en projet, en développement.

C’est d’ailleurs une observation lisible dans notre fonctionnement, à la fois au niveau manifeste et latent, qui nous est apparue dès l’origine : notre MDA n’échappe pas, en tant que dispositif, au principe général qui amène un dispositif ou un système, dès son origine, à s’identifier, à s’organiser et se différencier, à ressembler peu ou prou à son champ d’application, à son objet, à la population dont il se charge, aux lignes de structuration des problèmes que ce même dispositif tente de résoudre. Le phénomène de projection est ici bien connu : les structures institutionnelles, dans leur développement, dans leur organisation, dans leur fonctionnement groupal, dans leur vie psychique et fantasmatique, de même que dans l’institution de leurs pratiques vont être marquées, structurées par l’objet dont elle s’occupe et dont elle se préoccupe et ce notamment en s’en imprégnant et en s’identifiant à ce même « objet », ici l’adolescence.

L’organisation et la pulsionnalité : à propos de la problématique de l’accueil

Les repères nouveaux institués quant à l’accessibilité et à la disponibilité, et requis des structures et des professionnels quant aux spécificités de la demande chez l’adolescent, modifient insensiblement non seulement les pratiques, mais les façons d’envisager le rôle professionnel et de s’envisager soi-même dans son rôle. La disponibilité, l’accessibilité requises puis construites délibérément, volontairement par les dispositifs MDA nous renvoient à l’exigence pulsionnelle, à la force et à la labilité des investissements relationnels de l’adolescence. Le dispositif de la MDA, par son effort d’adaptation, de contenance souple à l’égard des expressions spécifiques de la demande adolescente s’efforce d’apporter une réponse identificatoire se prolongeant dans l’organisation même de l’accueil proposé. Il s’agit d’adapter au mieux l’accueil, de le diversifier, de ne pas le stigmatiser, de ne pas le marquer du sceau du psy, voire du médical et du soin, de proposer des formules adaptées et adaptables, selon un dégradé ou une palette d’accueil et de type de suivi ou de prise en charge allant de la simple information à la mise en place d’un suivi structuré (psychothérapie, suivi éducatif ou judiciaire structuré, suivi de CATTP, etc…). Selon un autre point de vue, qui vient ici croiser les points de vue précédents, c’est bien la dimension de la temporalité particulière qui sous-tend l’approche de la demande adolescente à la MDA et qui peut se décliner de la sorte avec l’importance donnée à la réponse rapprochée ou rapide, selon des formules multiples, réponse qui s’adapte à la demande, peut proposer un suivi de courte durée, programmé ou pas, etc… L’adaptation voire l’adaptativité, la disponibilité sont ici essentielles au risque d’ailleurs parfois de devenir quasiment des principes voire des mots d’ordre et de pêcher ainsi par un trop d’adaptation à la demande, au sens où P. Jeammet nous mettait en garde (Actualités de l’agir) d’ailleurs face à un souci parental du « tout comprendre » marquant parfois notre époque actuelle.

Il est évident de constater régulièrement au sein des MDA combien les questions concernant l’organisation nous occupent beaucoup l’esprit, consomment du temps, de la disponibilité psychique, créant discussions, débats, conflits, clivages… L’importance de ce questionnement sur l’organisation pose question lui aussi et il a lui-même plusieurs composantes : il est sûr et vraisemblable que la construction d’un projet prenne en soi une bonne part dans cette importance de l’organisationnel qui vient intervenir à toutes les étapes et dans tous les points de notre parcours. Cette exigence paradoxale d’une maîtrise, d’un contrôle de la demande, – fut-il par la multiplicité des réponses possibles (c’est l’effet de maîtrise contenu notamment et projectivement sur le réseau internet entre autres, et qui vient en somme nous dire qu’il n’y aurait plus de délai, plus de non-réponse, plus de non-su…) – bien que n’étant pas la seule en cause, se trouve liée plus intimement à la dynamique adolescente.

Les investissements objectaux et le multiple : créer et développer des liens

Les liens et articulations multiples avec les autres institutions dans le cadre développé autour de certains adolescents, nous renvoient à la multiplicité des liens et à la capacité et la propension de l’adolescent à établir ces liens. Une autre composante qui intervient pour illustrer la dimension protéiforme de l’accueil des adolescents est celle de la diversité des prestations, services et modalités d’accueil ou d’orientation sur les MDA. Elle est issue et créée là aussi à partir de la problématique adolescente et du mouvement de diversification des investissements relationnels à cet âge. La palette élargie, diversifiée que proposent et souhaitent développer les MDA traduit ce souci, cette empathie à l’égard de l’appétence relationnelle de l’adolescence.

Un autre aspect de cette similarité avec la dynamique adolescente est la labilité parfois troublante dont témoignent l’investissement du projet MDA par les équipes et des articulations qui se nouent ou se dénouent avec une étonnante souplesse ou plasticité dans leur mode de réactivité. La question des liens vient ici se complexifier à un degré supplémentaire, à l’instar de ce qui peut se passer avec ce projet en transformation, du fait que la multiplicité des liens en est conséquente et soulève elle-même ses propres problèmes de fonctionnement. Pour le dire autrement : quand il y a beaucoup de liens possibles, il y a certains moments où il faut faire des choix, ce qui veut dire faire des deuils, préciser voire même prioriser les orientations que l’on souhaiterait suivre, face à ces champs des possibles qui nous re-saisissent dans une toute-puissance de la pensée.

La dimension identitaire : les liens et les modèles, la « création de soi »

Selon un autre plan, qui concerne aussi le champ vaste de l’identificatoire, et que nous évoquions préalablement, un dispositif, telle que la MDA, – a fortiori lorsqu’il est en phase de création et de développement – requiert, nécessite qu’un travail psychique important s’opère pour le groupe de professionnels concerné sur les repères identitaires, travail nécessaire à la fois pour le groupe et pour chaque individu qui le constitue. Là encore le processus adolescent vient imprègner l’ensemble du projet et des acteurs concernés dans une de ses dimensions essentielles, celle de la « création de soi » (P. Gutton).

Cette identité groupale et institutionnelle en travail, en transformation, opère un mouvement évolutif qui vise ainsi peu à peu à s’imprégner, intégrer, adopter des traits, des particularités, des aspects identitaires, plus ou moins manifestes d’ailleurs, de la population adolescente qu’il reçoit mais aussi des partenaires avec lesquels le projet se développe et de l’ensemble du contexte avec lequel il interagit. La coexistence, les liens, voire la cohabitation entre des services, des professionnels, des cultures différentes viennent à un autre degré nous confronter à ce travail identitaire qui vient s’associer en l’occurrence à celui induit par la confrontation et les liens à l‘adolescence et aux adolescents. Evoquer les phénomènes d’identification, groupale et individuelle, c’est s’identifier, pour une structure comme la MDA, à son objet, l’adolescence, mais c’est aussi faire la place à cette nouvelle identité à construire qui vient pour les professionnels compléter ou ajouter une ou plusieurs strates identitaires à celles préexistantes. C’est aussi plus particulièrement compléter ses repères ou assises identitaires par des emprunts à d’autres cultures notamment professionnelles (le médical, l’éducatif, le psychiatrique, le judiciaire, etc…), constituer par ces décloisonnements, – certes pas toujours si aisés à mettre en place, – un certain métissage de nos cultures et de nos identités. Cette nouvelle formule d’organisation, que nous avons découverte en même temps que nous la construisions, a travaillé ainsi peu à peu à élaborer et mettre en place une culture et des pratiques communes. Cette culture commune est venue s’ajouter, se superposer à la culture de base d’origine de chacun, des divers professionnels, culture que chacun portait et porte toujours en soi et dans ses liens et notamment avec son équipe d’origine.

Ainsi, l’identité et la dynamique propre à chaque équipe intégrée et qui en fait sa spécificité (l’éducatif, le pédopsy, le scolaire,…) restent tout à fait présentes dans le mode de structuration actuelle qui est le nôtre, ce qui est une configuration originale. Il nous est apparu essentiel en effet dans ce processus en cours de ne pas brusquer les choses et de respecter l’évolution de chaque champ d’ identité, les pas progressifs des uns et des autres pour constituer cette nouvelle couche « identitaire », cette culture « hybride » ou mixte (faire partie de la MDA et travailler en « co-partenariat») qui doit se déposer en chacun, ainsi qu’une nouvelle strate d’identité professionnelle qui à la fois nous définit d’une autre façon et nous relie les uns aux autres. Il nous faut ainsi tâcher de faire la part entre les diverses dimensions participant au processus qui ont peut-être plusieurs temps, plusieurs temporalités ; la dimension d’effervescence ou d’« ébullition » qui imprègne aussi les projets, à l’instar de la pulsionnalité adolescente, n’empêche pas par ailleurs de considérer d’autres phénomènes processuels pour laisser aussi se déposer les choses, les processus identitaires et narcissiques qui sont aussi en jeu et ont besoin de se travailler avec du temps. Cette dynamique du projet en marche s’associe donc également à une capacité à la remise en question des repères, des critères et des valeurs classiquement mis en place et issus des croyances, valeurs et dogmes de chaque service ou institution (et ce y compris en terme de dénis fondamentaux sur lesquels nous étayons nos constructions idéologiques).

Conclusion : à propos du regard porté sur les dispositifs en création

Une autre considération plus générale enfin, – qui est aussi non seulement un point de repère mais un mouvement en soi, – qui vient s’inscrire en retour comme en miroir ou en « identification » au point précédent, celui de l’imprégnation du projet par le processus pubertaire, est aussi la question du regard. Le regard porté ou à porter sur les dispositifs MDA, – regard lui-même sous l’influence et le processus d’identification aux adolescents sur lesquels il se pose, se trouve lui aussi modifié, transformé, imprégné du regard posé et porté sur l’adolescence et les adolescents. C’est aussi par le fait que ce regard a l’habitude de regarder des adolescents en développement, qu’il a développé lui-même d’ailleurs ce point de vue et cette attention plus particulière sur le processus pubertaire et l’adolescence, qu’il en recherche ou en détecte les axes, les repères, les points d’achoppement à la réalité. Non seulement l’adolescence vient infléchir, inspirer, influer notre dispositif, mais nous avons aussi plus ou moins indirectement une position en « contre-attitude », intrinsèquement liée aussi à ce complexe identificatoire et qui est aussi celle de chercher à regarder notre dispositif comme un adolescent qui s’éveille, qui grandit, qui s’autonomise et se subjectivise, qui se cherche lui-même et qui peut vivre par moments aussi des difficultés à son tour.

Nous avons peut-être aussi de la même manière à aider notre dispositif à se développer comme un adolescent. Cela n’est pas le seul aspect dynamique à développer d’ailleurs concernant le point de vue porté sur les MDA, mais cette dimension qui concerne la façon, l’intérêt ou l’angle avec lequel le regard porte justement son regard, nous paraît à prendre en compte, de façon essentielle, avant même de décrire ce que ce regard perçoit comme contenu ou ce qu’il s’attache à percevoir. Nous citons en ce sens et pour conclure E. Kestemberg qui, dans son rapport fondateur sur « Identité et identification » résume cette importance du regard porté, et cette circulation spéculaire qui s’y trouve indissolublement liée : «… Les adolescents se considèrent du fait qu’on les considère et de la façon dont on les considère… ».

Références

Jeammet P. (1985), Actualité de l’agir ; à propos de l’adolescent Nouvelle Revue de Psychanalyse, 31, 201-22.

Gutton P. (1991), Le Pubertaire, le Fil rouge, PUF, Paris.

Kestemberg E. (1999), L’identité et l’identification chez les adolescents, L’Adolescence à vif, éd. PUF.

Winnicott DW. (1970), Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot.