René Diatkine, psychanalyste de l’enfant
Article

René Diatkine, psychanalyste de l’enfant

Le tandem Lebovici/Diatkine (Lebo le nommait lui-même ainsi), âmes et créateurs du Centre Alfred Binet, du « 13e », « Mecque » de la psychanalyse d’enfants, est encore très vivace tant dans la mémoire que dans la pratique clinique de tous ceux qui ont suivi leurs séminaires respectifs. La mort récente de Serge Lebovici a suscité de nombreux textes sur son ouvre et sur son héritage. La marque de son alter ego – mais cependant très différent – est peut-être moins connue et occupe, en tous cas, moins d’espace sur la scène psy actuellement. Encore que le premier analyste de Diatkine ait été Jacques Lacan…

Le livre qui paraît sur René Diatkine, quatre ans après sa mort, tombe ainsi à point nommé et permet – entre autre intérêt – de reconstituer l’extraordinaire complémentarité de ces deux grands psychiatres psychanalystes qui ont travaillé ensemble pendant près de 50 ans et ont formé une, voire deux, générations d’analystes.

Paul Denis, auteur de la belle préface de ce livre, évoque Diatkine comme psychanalyste et psychiatre. C’est en effet par le biais de la seule démarche analytique que Diatkine a appréhendé et les états psychiques et, peut-on dire, le monde en général. Très marqué par le livre de Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique (PUF, 1943, cité par lui dans sa réédition de 1966), livre qui a introduit la relativité de la notion de normalité et a remis en cause les valeurs normatives de notre société, René Diatkine, armé de sa compréhension de l’ouvre de Freud, a été amené à poser que « l’apparition d’un état pathologique n’est pas la libération d’une structure sous-jacente, mais la réorganisation du Moi sous la contrainte de multiples contradictions déterminées par les fantasmes inconscients ». Texte extrêmement audacieux à l’époque (1967).

La pensée de Diatkine était, de fait, tout sauf figée, se tenant à distance des tableaux cliniques repérables et des classifications nosographiques dont on avait eu jusque-là que trop tendance à affubler les patients, les enfants en particulier. Au point même que la notion de prépsychose de l’enfant dont il est l’inventeur est, écrit Paul Denis « une catégorie ouverte qui décrit plus une forme de fonctionnement mental à un moment particulier de la vie d’un enfant plutôt qu’une forme morbide ».

Diatkine voyait la théorie comme un moyen d’ouvrir les catégories nosogra-phiques évitant toute forme de théorisation qui aurait pu nuire au patient en l’enfermant dans un destin assigné. Interrogé un jour sur la validité de la formule « l’inconscient est structuré comme un langage », il avait indiqué que pour lui tout dépendait de l’usage que l’on faisait d’une telle formule : hypothèse de travail ou affirmation d’une vérité révélée.

Tous ceux qui ont suivi son séminaire ont été marqués par le respect que Diatkine avait pour ce que le patient apportait. Il aimait d’ailleurs rappeler ce lointain souvenir de Sainte Anne de l’après-guerre où, un jour, le grand professeur de psychiatrie de l’époque présentait un malade étiqueté schizophrène et ajoutait : « Ce monsieur se prétend poète ». C’est la première fois, disait Diatkine, que je rencontrais Antonin Artaud ! Une marque indélébile de l’héritage de Diatkine est d’avoir montré aux analystes en formation à quel point cette activité de découverte pouvait être source de plaisir du fonctionnement mental. L’empathie joyeuse, curieuse, un brin ironique de Diatkine écoutant ou jouant avec les enfants, ou encore écoutant les jeunes collègues en séminaire de contrôle de psychothérapies n’est pas facilement racontable.

C’est pourtant ce à quoi parvient fort bien ce livre « de » et « sur » Diatkine, composé pour partie d’un ensemble d’articles de l’auteur publiés dans les Textes du Centre Alfred Binet, et, pour l’autre partie, de contributions de collègues de Diatkine qui donnent à découvrir la palette extrêmement diversifiée des activités d’analyste de ce dernier durant les cinquante années de sa pratique (de l’après-guerre à 1996). Notons un texte riche de Florence Guignard L’enfant et René Diatkine qui situe bien sa position théorique vis à vis de celle et d’Anna Freud et celle de Mélanie Klein. Un chapitre très vivant d’Alain Gibeault « raconte » une séance, avec un adolescent, de psychodrame analytique (dont Diatkine a été l’inventeur en France avec Lebovici et le couple Kestemberg). Le psychodrame analytique est une technique précieuse quand l’indication est bien posée, car elle laisse au patient la possibilité d’utiliser la négation dont Freud disait, dans son article de 1925, qu’elle constituait à la fois un substitut du refoulement et une levée partielle de celui-ci : les patients peuvent par le psychodrame trouver un compromis en disant « ce n’est qu’un jeu », ce qui représente à la fois une affirmation et une négation.

On retrouve ici Winnicott qui, au moyen du squiggle notamment (dessin fait conjointement par l’analyste et l’enfant), permettait aux patients d’accéder à « un espace potentiel de jeu » et de retrouver ainsi une croyance dans la possibilité de rêver avec autrui. Le texte d’E. Schmid-Kitsikis, René Diatkine ou l’éternelle capacité de rêverie, fait extraordinairement bien comprendre à quel point Diatkine savait organiser la rencontre de l’imaginaire de l’enfant avec celle de son analyste, comment il savait retrouver l’enfant dans l’adulte. Ce qui permet de saisir à quel point il est peut-être plus difficile d’être psychanalyste d’enfant que d’adulte…

Diatkine, parmi ses nombreux centres d’intérêt, a maintes fois mis en lumière le fait que l’activité psychique de l’enfant et celle de son langage se construisent en même temps (marqué en cela par J. de Ajuriaguerra, son compagnon de départ, génial psychiatre et neurologue, mais aussi inventeur perpétuel à l’instar de Diatkine, fasciné par l’enfant (et par le bébé, « le père de l’homme »).

Cette conviction l’a conduit à créer et mener avec Marie Bonnafé une équipe extrêmement originale, Acces (dont cette dernière a rendu compte avec talent dans son ouvrage Les livres, c’est bon pour les bébés, Calmann-Lévy, 1994). L’idée est simple, encore fallait-il lui donner un substrat théorique : répéter avec un enfant une belle histoire, toujours identique, sans rien changer au texte, lui permet d’élaborer son angoisse et, en lui apprenant à apprivoiser l’absence de l’adulte, d’élaborer en même temps l’angoisse de mort (que peut en particulier susciter l’approche du sommeil).

Ce livre raconte aussi la création par Diatkine, dans le 13e, de l’Unité de Soins Intensifs du Soir (Usis) qui a permis à nombre d’enfants, considérés comme irrécupérables, de s’en sortir. Ces enfants ou anciens enfants demandaient de ses nouvelles pendant sa maladie et, après sa mort, s’enquéraient de savoir quand ils reverraient « le vieux monsieur » (cf. Pourquoi on m’a né de Claude Avram, Calmann-Lévy, 1995). Le vieux monsieur n’est pas tout à fait parti.