L’avocat est l’homme du Droit, mais il est avant tout celui qui, au plus près, accompagne, celui qui conseille, celui qui persuade, dissuade, console ou gronde, les protagonistes de ces histoires familiales souvent tragiques… Mais expérience n’est pas science ! Et l’avocat ne saurait se prévaloir d’une quelconque compétence pour dire si la résidence alternée est souhaitable pour l’enfant, ou si au contraire elle serait nuisible à son bon développement avant tel ou tel âge. Mes observations résultent d’une part de ma pratique en cabinet où depuis 20 ans je reçois beaucoup de « divorçants » et d’autre part un peu aussi des liens étroits qui me lient à Allo Parents Bébé, dont les constatations ont convoqué ma réflexion.
Allo Parents Bébé est une structure associative dépendante de l’Association Enfance et Partage, qui, en 2008, a créé le premier numéro vert d’aide et de soutien à la parentalité. Cette structure uniquement animée par des professionnels de la petite enfance, propose d’écouter, de soutenir et d’orienter les parents inquiets, de la grossesse au trois ans de leur enfant ; elle a connu d’emblée un énorme succès et répondu dès les trois premières années à près de 20 000 appels. 30% des appels reçus sur cette ligne d’écoute concernent la question de la résidence alternée des plus jeunes enfants. Il s’agit pour la plupart de mères qui ayant accepté, voire ayant prôné ce mode de garde, s’inquiètent des changements observés chez leur enfant à compter de la mise en œuvre de ce dispositif : troubles du sommeil, sentiment d’abandon, angoisses de séparation, agressivité à leur égard…etc.
Si la population – au sens statistique du terme – ne revêt certes pas un caractère suffisamment représentatif, malgré le nombre fort important d’appels, il est permis néanmoins de questionner le lien de cause à effet entre l’apparition de telles manifestations (symptômes ?) et la mise en œuvre d’une résidence alternée chez les plus jeunes enfants. Nous ne saurions dire si les plus jeunes de nos enfants – et c’est bien des plus jeunes d’entre eux dont il s’agit – tirent un réel bénéfice des résidences alternées qu’on leur « impose », mais il m’est donné d’observer chaque jour dans ma pratique que les parents, eux, y trouvent manifestement de nombreux avantages : celui en tout premier lieu de proposer « la solution » qui présente toutes les vertus à leurs yeux – sans que cela nécessite d’être rediscuté, car il est communément acquis que la garde alternée est « Le » moyen d’assurer l’intérêt bien compris d’un enfant, dont les parents divorcent.
Celui donc de se déculpabiliser…
Celui de permettre à chacun des parents de reconstruire sa propre vie en dehors des enfants, une semaine sur deux.
Celui d’escamoter la douloureuse question de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ; on sait en effet que 76% des résidences alternées ne donnent pas lieu à contribution.
Celui d’escamoter plus largement tout autre conflit lorsque la garde alternée devient une véritable « monnaie d’échange » : « Je concède une résidence alternée contre une prestation compensatoire » ou inversement « je demande la garde alternée si… ».
Il n’est pas certain que le consentement mutuel produise plus de résidences alternées (seuls 20% des couples font ce choix), mais on peut affirmer que la résidence alternée favorise le consentement mutuel ! Elle se révèle bien souvent en effet un moyen pour faire taire les conflits latents, les refroidir en quelque sorte, pour mieux s’enorgueillir, selon l’expression consacrée, d’avoir certes « raté son mariage mais d’avoir réussi son divorce »
C’est dire que la question de la résidence alternée est dans nombre de situations, commandée par les intérêts des parents, bien plus que par l’intérêt des enfants, dont on ne se soucie que très secondairement. Pour ou contre, il faut bien avouer que les préoccupations exprimées lors des entretiens qui se tiennent à mon cabinet, concernent davantage les parents, que l’intérêt des enfants.
Il existe bel et bien une sorte d’hypocrisie à croire et à se faire croire – y compris devant le juge – qu’un tel mode de garde a été décidé « dans l’intérêt de l’enfant »… La loi de 2002 qui a autorisé la résidence alternée est, à bien des égards, critiquable ; elle a d’ailleurs abondamment été critiquée, d’une part parce qu’elle a été élaborée sans qu’aient été sollicités les sociétés savantes et les spécialistes du développement de l’enfant, d’autre part parce qu’elle n’a posé expressément aucune condition restrictive et protectrice à la mise en œuvre de ce mode de garde (proximité géographique, entente entre les parents, âge de l’enfant…).
Mais le vrai problème selon nous est qu’elle porte en elle le vice, comme le ver est dans la pomme… La loi de 2002 croyant consacrer la résidence alternée, a en réalité consacré la coparentalité dans une vision égalitaire des droits des parents. Lorsque le Code Civil (article 373-2 al 2) dispose : « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent », la loi s’exprime au nom de la coparentalité, bien plus qu’au nom de l’intérêt de l’enfant ! Elle inscrit en lettres d’or le droit des parents à maintenir des relations personnelles avec leur enfant, là où d’évidence, il aurait fallu inscrire le droit des enfants à pouvoir entretenir des relations personnelles avec chacun de leur parent.
Lorsque le législateur dit : « chacun des père et mère doit maintenir… » (et non « a le droit de maintenir ») il élève presque le droit des parents au rang de principe, presque comme une norme supérieure, une injonction, qui s’imposerait non seulement à l’autre parent, mais à quiconque doit faire respecter la Loi.
Expression maladroite ou voulue d’une doctrine « familialiste » profondément ancrée, un tel article de loi produit des effets dévastateurs tant devant le Juge aux Affaires familiales, que devant le Juge des Enfants devant qui, véritablement – sauf cas extrêmes – on préfèrera trop souvent, sans le dire, sacrifier l’intérêt premier de l’enfant sur l’autel du droit sacré des parents… disons-le, de la famille.
Peu à peu le droit de l’enfant s’est ainsi effacé à la faveur du droit des parents, jusqu’à disparaître au profit de revendications exprimées désormais sur un nouveau concept, celui du « droit à l’enfant ». Les débats concernant la résidence alternée se réduisent bien trop souvent à opposer le masculin et le féminin, le droit des pères et le droit des mères ; mais si bruyant que soit cet affrontement, le seul vrai conflit d’intérêts que la loi met en scène et qui doit nous préoccuper est celui qui oppose le droit des parents à l’intérêt des enfants.