Ronds-points, stations-services, halls de gare, supermarchés… Ces territoires de la modernité n’existent qu’en vue de réaliser des objectifs précis : voyager, acheter, consommer, produire, travailler etc. On y circule dans l’anonymat sans qu’il soit question d’y flâner, de s’y perdre ou d’y contempler le paysage. L’ethnologue Marc Augé qualifie de « non-lieux »[1] ces endroits où les hommes vivent sans jamais jeter l’ancre.
L’hôpital fait partie de ces non-lieux. En trois décennies, assailli par une logique de performance, le système hospitalier, public comme privé, s’est transformé en une vaste industrie du soin. Dans un pamphlet publié en 2020[2], le neurochirurgien et écrivain Stéphane Velut rappelle que « le corps soignant qui était un des rares successeurs du corps ouvrier, paysan, artisan, animé comme eux par le souci du travail bien fait (imposant expérience, temps et savoir-faire), s’est vu rattrapé par les tableaux Excel, les formulaires à remplir, les courriels intrusifs ». Quelle raison à cela ? Celle d’optimiser la rotation du cycle « souffrir-soigner-circuler ». Que l’on songe par exemple au concept de « Fast RAAC » (Récupération rapide améliorée après chirurgie), le modèle du circuit court a assiégé les postes de soins. Pris dans l’accélération des prises en charge et des sorties, « le terme de patient pourra bientôt disparaître, emporté qu’il sera dans un trajet à grande vitesse » écrit Stéphane Velut.
Quand le « bon » soin est rentable et rapide, le psychologue peut-il occuper une place autre que celle d’un intrus ? Sans blouse ni stéthoscope, parfois sans bureau, souvent sans secrétariat, muet face au vocabulaire médical, son travail s’épanouit dans la défense de nécessités qui n’ont pas bonne presse : prendre le temps, éprouver l’impuissance, mettre en mots la douleur.
Entre naissance, mort, souffrance et maladie, une…