Sexualité et identité à l’épreuve du transfert à l’adolescence
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Sexualité et identité à l’épreuve du transfert à l’adolescence

La problématique adolescente trouve aujourd’hui de nouvelles expressions à travers les phénomènes LGBT, IEL, #MeToo et colore différemment le travail de subjectivation propre à cet âge. Quelle position le psychanalyste tient-il dans son travail auprès des adolescents ? Comment peut-il entendre les questions identitaires posées par les adolescents ?

C’est à toutes ces questions que C.M François-Poncet nous a proposé de réfléchir au cours de sa passionnante conférence de la Société Psychanalytique de Paris, en articulant exemples cliniques d’adolescents autour de réflexions issues de la philosophie platonicienne, des médias, du cinéma et de la littérature.

LA POSITION DE L’ANALYSTE DANS LES THÉRAPIES AUPRÈS DES ADOLESCENTS :

Lors du travail avec un adolescent, l’analyste doit être particulièrement vigilant à ne pas se retrouver dans une position de séduction vis-à-vis de celui-ci.

L’adolescent sollicite notre omnipotence (celle de la sexualité infantile) par ses conduites parfois violentes et destructrices (scarifications, conduites ordaliques de consommations de drogue, anorexie…). Parfois happés par le besoin urgent d’éteindre et de faire taire cette détresse spectaculaire, l’analyste pourrait être malgré lui amené à occuper une position de mère toute puissante qui pourrait s’approprier le corps de l’enfant pour le soulager de ses maux, la mère des premiers mois de l’enfant, « collée » et ajustée parfaitement aux besoins du nourrisson criant de faim ou de douleur.

L’analyste doit pouvoir renoncer à cette place gratifiante d’être l’idéal du moi de l’adolescent. D’autre part, l’adolescent, avide de débattre, sollicite parfois l’analyste pour se confronter à ses positions d’adultes sur certains sujets. Il s’agira de pouvoir se retenir d’intervenir dans la réalité, de lutter contre sa propre curiosité infantile (voir la scène que nous raconte l’adolescent).  Introduire du temps de pensée, au risque sinon de devenir la mère séductrice, qui deviendrait tout pour l’adolescent et ne respecterait alors pas l’interdit de l’inceste.

L’asymétrie pour créer un espace de pensée propre à l’adolescent.

La position asymétrique propre à la séance permet, par le jeu transférentiel, de mettre l’analyste au niveau de la génération des parents.

Il peut être parfois tentant pour se protéger de l’agressivité de l’adolescent et de son besoin de faire mourir psychiquement les parents et donc l’analyste, de se constituer en double ami, idéal du moi narcissique qui apporterait réponse et réparation à tous ses maux. L’analyste doit pouvoir tenir sa position, dans la filiation de ce que disait Winnicott, survivant aux attaques et à la destructivité de l’adolescent.

L’asymétrie pour éviter la confusion des langues :

Le pubertaire est le révélateur de la séduction généralisée (Marty). Ce qui protégeait l’enfant autrefois, à savoir son corps d’enfant qui rendait impossible la réalisation du fantasme d’inceste est aujourd’hui, du fait de la puberté, ce qui le menace.

La question de l’asymétrie est essentielle à avoir en tête pour préserver l’adolescent de se retrouver dans une confusion des langues. Cette notion de Ferenczi a été élaborée à partir des scènes d’abus d’enfant. L’enfant, qui se trouve dans un langage tendre et non passionné, se retrouve face à un adulte qui lui impose une sexualité d’adulte. Les stimuli ne sont pas assimilables, traduisibles par l’enfant qui se soumet alors à l’adulte et internalise la culpabilité. Les parents investissent leur enfant d’un pulsionnel infantile plus ou moins maitrisé. C’est ce pulsionnel non assimilable qui va ressortir de manière traumatique à l’adolescence. Paul Denis nous rappelle que le destin tragique d’Œdipe est aussi lié à la transgression pédophilique homosexuelle de son père Laios.

AU-DELÀ DES REVENDICATIONS D’APPARTENANCE, MAINTENIR L’ATTENTION AUX SINGULARITÉS

L’arrimage des adolescents à une identité groupale en bloc est important. La tentation de l’adolescent est forte de se diluer dans des groupes pour se rassurer narcissiquement. L’analyste se doit d’éviter le piège du conflit de génération qui consisterait à remettre en question ces identités groupales et catégorisations des adolescents. On ne questionne pas l’idéologie qui est le support narcissique de l’adolescent. L’espace analytique permet de pouvoir dégager la singularité de l’adolescent par rapport à cette catégorisation et cela est essentiel. En effet, malgré la possibilité de se revendiquer plus facilement via le groupe comme appartenant à la communauté LGBT, on retrouverait dans la sphère intime, la même souffrance que par le passé de vivre son homosexualité. La possibilité culturelle de se revendiquer comme n’appartenant à aucun sexe (IEL) ou de pouvoir changer de sexe ne serait-t-elle pas une tentative de résoudre ce choix d’objet homosexuel encore douloureux ? Ne pourrait-on pas l’entendre aussi comme une possibilité pour l’adolescent de maintenir la toute-puissance infantile de ne pas avoir à renoncer à l’un ou l’autre sexe, de juguler l’angoisse de castration ? Dans le film « Girl » De Lucas Dhont, l’autocastration dans une des scènes finales serait comme une réponse à l’absence de travail de renoncement de l’adolescent.

La pansexualité parlerait-elle d’une manière de vivre sa bisexualité psychique dans une bisexualité agie ? L’asexualité serait-elle comme une manière de maintenir un idéal du moi infantile qui ferait l’économie de la sexualité physique, ou une autre façon de parler de la phobie du corps et de la rencontre charnelle ? Dans le mouvement inverse, les expériences multiples sexuelles agies seraient-elles une façon de lutter contre le traumatique de l’adolescence ? Elles conduiraient à l’illusion de maitriser la pulsionnalité du corps en se jetant à corps perdu dans la rencontre sexuelle agie et compulsive.

De même, la génération #MeToo convoque l’analyste dans une différence de générations. Sur l’analyste pourrait être projetée la mère qui se tait, qui accepterait les rapports dominant-dominé ? Comment penser les rapports homme/femme, la question du consentement ? Comment comprendre l’appel au tiers extérieur, média ou justice, pour dénoncer ? L’analyste tentera de dégager une singularité dans la parole de l’adolescent afin de l’aider à penser ses propres limites, ses définitions et son tiers interne.

NE RIEN PRENDRE AU PIED DE LA LETTRE :

Comment l’analyste accueille-t-il la parole de ces adolescents en proie à ces questions identitaires qui sont le socle du processus adolescent ?

Les nouvelles revendications et possibilités offertes par la médecine de pouvoir changer de sexe pour de vrai (Male to Female, Female to Male) entrainent un brouillage des limites entre fantasme et réalité et un ébranlement de la différence des sexes. Cette confusion entre trouble du genre (ou dysphorie de genre), rare, et questionnements identitaires propres et nécessaires à l’adolescence est entretenue par notre société sous couvert de pensée moderne qui déconstruirait les stéréotypes de genre. Dans le reportage sur Arte « Petite Fille », mettant en scène Sacha, un garçon de 7 ans qui amorce une transition pour devenir fille, se trouvent confondus malaise identitaire d’un enfant face à son corps et trouble du genre ou dysphorie de genre.

Prendre au pied de la lettre une demande de changement de sexe, de prénom et y répondre dans la réalité reviendrait à escamoter tout le travail de conflictualisation psychique nécessaire à l’adolescence. L’agir du thérapeute se ferait alors en miroir de la tendance à l’agir de l’adolescent, en lieu et place de la pensée.

Il s’agira plutôt d’entendre cette demande comme une rêverie, un fantasme, une création de l’adolescent pour sortir d’une relation œdipienne aux parents trop sexualisée. Cela prendra alors valeur d’un fantasme organisateur imaginé se décollant de la scène réelle traumatique.

Le travail analytique à l’adolescence offre un espace pour renoncer à la satisfaction des désirs incestueux et transformer ce pulsionnel infantile vers d’autres voies sublimatoires et ainsi sortir de l’agir traumatique. L’analyste doit aider l’adolescent à introduire du tiers, se penser dans son histoire familiale et s’inscrire dans ses identifications parentales, grand-parentales. La rencontre analytique permettra à l’adolescent, par une identification au renoncement de l’analyste à tout maitriser, tout savoir, d’accéder lui-même à cette position de renoncement pour pouvoir construire son propre espace de subjectivation. De même, par identification à la méthode analytique, il pourra renouer avec le plaisir de penser, apprivoiser son espace intime et sortir peu à peu d’une pensée groupale parfois monolithique et indifférenciée.

POUR ALLER PLUS LOIN :

CHILAND C. (2011), Changer de sexe : illusion et réalité. Paris, Odile Jacob.

CORCOS M. (2013), La terreur d’exister, fonctionnements limites à l’adolescence, Dunod.

DENIS P. Transidentité : rapport au réel et limites de l’autodétermination, Carnet psy, dec 2021

FERENCZI S. (1932), Confusion de langues entre l’enfant et les adultes, Petite Bibliothèque

Payot, 2016.

FRANCOIS-PONCET C.M : Le temps à l’épreuve de la clinique de l’adolescence, Revue Adolescence 2002 T 20 N°2.

KESTEMBERG E. (1999), L’identité et l’identification chez les adolescents, L’adolescence à

vif , PUF.

RICHARD. F. (2021), Le surmoi perverti, Campagne Première.