Introduction générale
En guise d’introduction à nos journées, je propose de reprendre la lecture de certaines pages de l’article de Freud de 1914, Deuil et mélancolie. Il ne s’agit pas ici de revenir sur l’essentiel de la démonstration que fait Freud mais sur quelques questions laissées par lui en suspens, et ce de manière très explicite et que nous retrouvons aujourd’hui dans notre pratique. Je souhaiterai en soulever trois : la place du somatique, l’objet du fantasme mélancolique et la question de la guérison.
I – La place du somatique
Une remarque, presque incidente, pose dans Deuil et mélancolie l’existence d’un facteur général qui pourrait jouer un rôle dans certains états mélancoliques : “Le complexe mélancolique se comporte comme une blessure ouverte, attire de tous côtés vers lui des énergies d’investissement… et vide le moi jusqu’à l’appauvrissement total… Un facteur vraisemblablement somatique, non élucidable par la psychogenèse, se manifeste dans la sédation régulière de l’état dans la soirée. A ces considérations se rattache la question de savoir si une perte de moi, sans que l’objet entre en ligne de compte (atteinte du moi purement narcissique), ne suffit pas à engendrer le tableau de la mélancolie, et si un appauvrissement directement toxique en libido du moi ne peut pas produire certaines formes de l’affection”. Quelques années plus tard, dans Inhibition, symptôme et angoisse, le principe d’une inhibition globale est également retenu et son rôle dans la mélancolie précisé : “Les inhibitions plus générales du moi suivent un autre mécanisme qui est simple. Lorsque le moi est impliqué dans une tâche psychique d’une difficulté particulière, comme par exemple un deuil, une énorme répression d’affect, l’obligation de venir en sujétion des fantaisies sexuelles qui remontent constamment, il connaît un tel appauvrissement de l’énergie disponible pour lui qu’il est obligé de restreindre sa dépense en beaucoup d’endroits à la fois, comme un spéculateur qui a immobilisé ses fonds dans ses entreprises. A partir de là, une voie doit pouvoir être trouvée qui mène à la compréhension de l’inhibition générale par laquelle se caractérisent les états de dépression et le plus grave de ceux-ci, la mélancolie”. Si dans Deuil et mélancolie, il s’agit d’un facteur qui interviendrait seulement dans certains états et dont l’origine serait de nature toxique, dans Inhibition, symptôme et angoisse, il s’agit d’un mécanisme psychogène. À l’opposition entre dépression psychogène et toxique, dans le premier texte, se substitue l’idée d’un mécanisme commun, d’une réponse “énergétique” à des facteurs psychogènes. Faut-il admettre deux formes de dépressions, l’une psychogène, l’autre organique (dite toxique), ou reconnaître l’intrication dans toute dépression de mécanismes liés au vécu intentionnel et d’autres liés à une dynamique organique ?
La thèse que j’ai toujours soutenue est que l’immobilité du corps du déprimé n’est pas l’expression de la tristesse mais un mode d’être biologique spécifique de la dépression. Le corps figé du déprimé s’exprime par l’absence de mimique, la rigidité des membres et de la tête par rapport au tronc, l’inactivité pouvant aller jusqu’à la stupeur, la parole rare, lente et sourde. II est probable que certains signes végétatifs et d’altérations des phanères participent de cet état global. Cet état est celui que l’on retrouve dans la dépression anaclitique du nourrisson décrite par Spitz et Bowlby. Peut-être faut-il lui rattacher des états d’apathie observés dans de nombreuses espèces animales à l’occasion d’expériences de séparation et d’isolement. Ce figement somatique est habituellement décrit comme un ralentissement psychomoteur ; il semble en effet “geler” le comportement moteur et la parole. C’est d’ailleurs cette gêne à mobiliser le corps qui est ressentie comme une fatigue.
Deux questions se posent : comment articuler la pensée dépressive avec le figement de la pensée et du corps ? Comment interpréter l’action efficace des médicaments anti-dépresseurs ?
La théorie que nous proposons a pour avantage d’apporter une réponse à ces deux questions. Il est une chose d’être assailli de pensées tristes, de s’en prendre à soi-même ou aux autres, de perdre l’estime de soi. C’est une autre chose que ces thèmes de pensée et ces programmes d’action, en altérant toute expérience de satisfaction, éteignent l’incitation à agir et entraînent le figement. Ce dernier est moins l’expression corporelle de la thématique dépressive que sa conséquence. Le figement, en bloquant l’activité mentale, ne permet pas au sujet de se dégager de la thématique dépressiogène. À la perlaboration que représente le travail de deuil, s’oppose la rumination stérile d’une pensée figée dans l’inertie douloureuse. C’est cette inertie qui, dans les formes endogènes, servira de point d’appel pour que se développent les potentialités du narcissisme et de l’instinct de mort.
C’est par cette interaction entre pensée dépressive et figement que la maladie dépressive constitue un modèle d’altération psychosomatique. Les tourments de la psyché conduisent au figement de la pensée et du corps. L’inertie ainsi créée ne peut que renforcer ou donner naissance à la pensée dépressive. Le figement, contrairement à la thématique, n’a pas de sens interprétable. Il n’exprime rien mais constitue l’épuisement de l’incitation à agir. Le corps figé du déprimé n’a rien d’une conversion.
Les psychothérapies n’ont pas un effet direct sur la réponse de figement. Elles aident le sujet à se dégager des systèmes de pensée et des programmes d’action qui provoquent le figement et sont entretenus par lui. Quand le figement est établi, elles ne peuvent guère agir seules en raison de l’inertie mentale qui s’oppose au travail mental nécessaire à l’action de la psychothérapie. Le recours à la chimiothérapie est alors nécessaire.
Ce figement somatique impose à la subjectivité une sensation d’inertie passive qui vient renforcer la douleur morale du déprimé. La stupeur entre alors dans l’expression d’accablement qui conduit au syndrome de Cotard. L’immobilité du temps vient alors nourrir l’emprise mortifère de la pensée mélancolique.
II – Le fantasme mélancolique
Venons-en à l’écoute psychanalytique de la douleur psychique, celle de la pensée mélancolique. C’est d’ailleurs elle qui se donne surtout à entendre chez l’adolescent. Alors que le bébé donne à voir le figement, l’adolescent donne surtout à entendre sa problématique de la pensée mélancolique. En rapprochant deuil et mélancolie, Freud suppose que dans les deux cas un objet d’amour externe disparaît. Alors que dans le deuil nous “réalisons” que l’objet externe a réellement disparu, dans la mélancolie, l’objet disparaît par les sentiments haineux que nous lui portons en même temps que nous lui sommes attachés comme un objet interne, partie de notre moi.
Mais quel rapport entre la personne réelle qui nous fait défaut dans le deuil, et cet être imaginaire, cet objet interne, dont l’existence même nous apparaît comme une énigme, objet qui tourmente le déprimé tant par les attaques sadiques surmoïques qu’il adresse au moi du patient que par la figure dévalorisée qu’il donne à voir au sujet qui en déplore l’existence en son sein. Peut-on se satisfaire pour notre écoute de cette métaphore de l’objet dont Freud fait le plus grand cas dans le texte de 1914 ? Je ne le pense pas. Je tiens le concept d’objet pour extrêmement ambigu, une métaphore qui très vite nous enferme dans un modèle théorique appauvrissant. Souvenons-nous de la phrase, si souvent citée de l’ombre de l’objet tombant sur le moi. Laissons-nous nous inspirer de l’imaginaire romantique, celui de l’ombre, double, âme du sujet, et pensons à la femme sans ombre de Hugo von Hoffmannsthal. Le travail de Rank sur la fonction du double n’est pas pris en compte dans Deuil et mélancolie alors que Freud vient de le lire et cite Rank. Il ne fera usage de cette vue nouvelle sur le narcissisne que cinq ans plus tard dans L’inquiétante étrangeté. Dans cette perspective du double, ce qui occupe le mélancolique apparaît plus complexe qu’une simple copie de l’autre. Le déprimé, et c’est bien vrai pour l’adolescent, est tourmenté et fasciné autant par l’être absent que par cet être trop présent qui est sa propre image. Il s’agit donc d’un objet, certes, mais d’un objet bien composite. Et qu’est-ce que cet objet ? Soi-même ou un autre, auquel le mélancolique s’adresse à l’intérieur de soi ? Est-ce un autre dont il attend quelque chose, un être-lieu de son désir, ou un autre qui comble ce désir, l’objet même de la pulsion ? Combien l’adolescent est sensible à cet écart, entre le lieu de son amour et ce qu’il en attend ?
Or si l’objet-lieu, la personne issue d’un monde matériel extérieur, ou celle que le sujet croît contenir en lui constitue bien un objet global, les figures qui peuplent ces fantasmes tiennent des rôles multiples et agissent comme des objets partiels. Dans Pulsion et destin des pulsions, Freud a proposé une définition composite de l’objet : “L’objet de la pulsion est celui-là même en quoi et par quoi la pulsion peut atteindre son but”. Remarquons la double notation : l’objet serait à la fois un lieu où la pulsion peut atteindre son but et ce par quoi ce but est obtenu.
Il nous faut admettre que l’objet au sens psychanalytique du terme est à la fois l’objet-lieu et l’objet-figure de la pulsion. Quand il s’agit de l’objet externe, la distinction ne pose guère de problème : il y a l’autre en tant que personne, celui qui est identifié comme extérieur à soi et constituant une totalité, et il y a ce que nous venons chercher en lui, dans ce lieu, sa présence dans une action attendue, espérée, qui assure l’accomplissement du fantasme. Mais quand on se réfère à un objet interne, la question se pose d’une toute autre manière. L’objet interne est à la fois la copie de l’objet externe, celle que l’on observe dans le rêve ou le symptôme hystérique, trace mnésique plus ou moins ré-élaborée, et une autre personne traitée comme si elle était devenue partie de soi. Plutôt que de voir là deux objets distincts, considérons donc les deux figures complémentaires d’une scène fantasmatique qui occupe la pensée du sujet déprimé. L’ambivalence ne porte pas sur des sentiments opposés mais sur l’existence d’images contraires, celle d’une personne aimée dans un scénario d’amour et celle d’une personne haïe dans un scénario dévastateur. L’ambivalence n’est pas celle de pulsions opposées, mais celle de scènes qui nous mobilisent par la conflictualité de leur mise en acte concurrente.
Jadis, une forme connue du délire mélancolique était le délire lycanthropique (ndlr : maladie mentale d’un homme qui se croit changé en loup). J’ai connu dans les années 50 une femme qui croyait sa figure transformée en celle d’un loup. Elle ne se prenait pas pour autant pour un loup mais la figure du loup lui tenait lieu de visage, incarnant la scène dévastatrice du loup regardant le sujet terrifié. Figure du fantasme, elle était à la fois celle qui regarde comme un loup et celle qui est regardée par le loup. Plus exactement elle était occupée, lieu où s’accomplissait une scène où il y a un regard de loup. Cette scène appartient à la réalité psychique, c’est-à-dire à une psychose hallucinatoire d’accomplissement (et non de désir). Le loup est dévorant dans la scène hallucinée. Dans la réalité psychique, le mal se réalise. Il s’impose de l’intérieur. Il s’accomplit dans le ça.
Venons-en à la distinction que Freud opère à la fin de son travail quand, après avoir développé amplement le point de vue économique, il propose de se soucier du point de vue topique. Dans la perspective économique, il fallait prendre en compte le pulsionnel en tant qu’énergie véhiculée par l’attachement à l’objet, c’est-à-dire au concept de libido. Dans le cas du deuil, le renoncement à la personne ou à la situation perdue se fait par détachement progressif de l’objet-lieu. Renoncer à l’objet perdu prend un certain temps. Mais comment appliquer ce modèle à l’objet mélancolique ? C’est précisément ici que Freud propose d’en venir au point de vue topique. Il parle alors de l’abandon non plus de l’objet-lieu mais de la représentation-chose elle-même. “Mais en réalité cette représentation est vicariée par d’innombrables impressions de détail (traces inconscientes de celleci)”. Il s’agit certes d’un processus de longue durée comme dans le travail de deuil ; non plus d’un renoncement à l’objet réel mais aux innombrables figures du fantasme. “Dans la mélancolie par conséquent se nouent autour de l’objet une multitude de combats singuliers dans lesquels haine et amour luttent l’un contre l’autre … Ces combats un à un, nous ne pouvons les situer dans aucun autre système que dans l’inconscient, dans le royaume des traces mnésiques de choses (en opposition aux investissements de mot). C’est-à-dire pour nous dans le royaume des représentations hallucinatoires d’actions, dans celui de la réalité psychique.”
Point n’est besoin de géométriser, comme aurait dit Lacan, de décrire un en dedans et un en dehors, un objet mauvais ou bon. Paula Heimann dès 1939, prenant ses distances tant vis-à-vis de Anna Freud que, implicitement, de Mélanie Klein, écrivait à propos d’un cas de possession diabolique : “On peut dire que l’analyse soigne la maladie dûe à des souvenirs inconscients en ce que ceux-ci sont vécus par le patient comme un monde intérieur d’une intense réalité psychique”. Et d’ajouter quelques lignes plus bas : “J’espère avoir réussi à faire sentir le sentiment d’absolue réalité que la patiente éprouvait dans ses fantasmes à propos de ses diables et l’état d’anxiété intense dans lequel la plongeaient ces diables. Il n’est pas besoin de leur conférer une sorte d’autonomie, de personnification, pour expliquer leur pouvoir de fascination. Celui-ci résulte du fait que leurs figures ont la force hallucinatoire que leur confère leur statut de réalité psychique. C’est dans cette force hallucinatoire que se trouve la source énergétique de ce qui mobilise l’esprit, aussi bien dans le symptôme que dans sa guérison”.
Le moi du déprimé répond à cette prise en compte de la réalité psychique de deux manières pathologiques. Il peut se laisser envahir par la scène et délirer avec le ça. C’est ce qu’a dénoncé Freud dans L’Homme Moïse quand il mettait en garde contre le danger d’une interprétation trop directe de la réalité psychique inconsciente. Il peut développer une position phobique vis-à-vis de cette image destructrice interne et s’enfermer dans une défense névrotique. Reste évidemment la position tierce, celle de se familiariser avec la réalité psychique inconsciente.
III – Guérir de la mélancolie
Tout l’article Deuil et mélancolie peut être lu en définitive comme un questionnement sur la guérison. Il ne s’agit pas de proposer une méthode pour traiter les états de dépression. La question est plus subtile. Il s’agit de savoir comment le malade guérit spontanément de l’état mélancolique et comment la psychanalyse nous aide à comprendre ce processus. Ici encore la comparaison avec l’état de deuil prend son importance. Car comme le deuil l’état mélancolique est aussi le siège d’un processus d’auto-guérison. En quoi l’auto-guérison mélancolique, comparée à celle du deuil, éclaire la nature même de la maladie mélancolique ?
Or la question de l’auto-guérison du deuil n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Deux processus sont à considérer. Le premier est la prise de conscience de la disparition de l’objet aimé, l’expérience de la perte ; le second est le renoncement à l’objet désiré, le désinvestissement libidinal. On voit déjà que ces deux processus ne se situent pas sur le même plan. Le premier porte sur le destin de la représentation, le second sur l’objet de la pulsion. Le moi du sujet, en fonction du principe de réalité, permet qu’opère progressivement le travail de déplacement du lieu de l’objet aimé (il ou elle n’est plus là) tandis que le détachement vis-à-vis de l’action fantasmatique opère sur un autre plan (il ou elle ne m’est plus rien qu’un souvenir).
Qu’en est-il dans l’auto-guérison mélancolique ? Dans le deuil, le renoncement proprement dit porte sur l’objet-lieu. Il convient ensuite de trouver d’autres lieux pour répondre au désir et à l’accomplissement du fantasme. Qu’en est-il dans l’état mélancolique ? Doit-on s’en tenir au modèle de la réparation maniaque et d’un repli du désir sur le moi lui-même dans un mouvement de ré-investissement narcissique idéalisant du moi. Mais la manie ne peut être tenue pour la seule manière de guérir de la dépression.
Mais quittons un instant le texte et revenons à notre pratique clinique. Depuis des décennies, notre expérience de l’évolution de la mélancolie et des effets de l’interprétation psychanalytique ont considérablement enrichi notre connaissance de la diversité des processus d’auto-guérison et de résistance à l’auto-guérison. Ces deux journées vont en témoigner. Je me limiterai ici à évoquer deux dimensions de ces processus, la dimension réparatrice et la dimension de la vérité. Nous sommes, dans les états mélancoliques les plus avérés, confrontés à l’expérience réelle de la perte. Qu’il s’agisse des carences affectives précoces ou des événements de l’histoire personnelle de l’adolescent ou de l’adulte, voire du vieillissement, nous sommes confrontés à des réalités “matérielles”. Le clinicien est donc sollicité pour aider au renoncement de ces objets perdus. Or que fait ici le clinicien sinon faciliter un travail de deuil ? Si dans le contre-transfert nous sommes exposés à des expériences de cruelle impuissance, c’est néanmoins dans cette visée réparatrice du travail de deuil que nous situons notre tâche.
Plus troublante encore est la question de la vérité. Le mélancolique a tort de demeurer mélancolique. Si la thérapie “morale” de la dépression, l’utilité de confronter le pessimisme à la vérité des réalités de l’existence ont nourri bien des échecs et des déceptions, il n’en demeure pas moins que notre contre-transfert est toujours mis au défi de la tromperie et de l’erreur qui occupent l’esprit du patient. La résistance que nous rencontrons ici ne nous met pas seulement dans un sentiment d’impuissance mais aussi dans une provocation avec la fausseté. Le mélancolique a tort. Il le sait ou il ne le sait pas mais dans tous les cas il n’est pas en mesure de le reconnaître. Sommes-nous alors là pour lui faire connaître le vrai ? Certes, notre éthique nous conduit à regarder la vérité en face ; “le douloureux aussi peut être vrai” écrit Freud au même moment dans L’Ephémère (La Passagèreté) mais notre contre-transfert est sans cesse interpellé par ce refus de la vérité. Le mélancolique a tort mais il ne veut ni le reconnaître ni nous en donner quitus. Si l’éthique du psychanalyste est bien une éthique de la vérité, ce n’est pas à la fin de distinguer le vrai du faux mais, au contraire, de reconnaître le vrai du faux, le vrai de l’illusion, le vrai de la réalité psychique comme radicalement autre de celui de la réalité matérielle.
Il s’agit de traiter le mélancolique ni nécessairement en réparant la perte ni en rétablissant la vérité mais en l’aidant à compenser l’absence et à accepter l’illusion, nous ne pouvons faire que l’aider à développer le processus d’auto-guérison. Nous sommes ainsi confrontés à nouveau à la perlaboration nécessaire. Il s’agit de travailler la représentation-chose, de déconstruire les ensembles liés à des processus secondaires et de faire travailler, de “pétrir” les liens primaires, les associations qui tissent l’écheveau des pensées et des affects autour de ce que Freud a appelé l’ombilic du rêve et que je situerai volontiers au cœur du ça, c’est-à-dire de l’inconscient proprement dit : “Il se trame donc dans la mélancolie une multitude de combats un à un pour l’objet dans lesquels haine et amour luttent l’une avec l’autre, l’un pour détacher la libido de l’objet, l’autre pour affirmer cette position de la libido contre l’assaut”. Dans un langage moins dépendant de la métaphore de l’objet on pourrait dire qu’il se trame dans la mélancolie une multitude de liens entre figures hétérogènes ; des scènes s’opposent, se succèdent et se condensent dans lesquelles l’ambivalence constitutive de l’inconscient est mise en acte.
Accompagner le mélancolique dans ce travail, c’est participer, par nos propres associations de pensée, à ce travail de co-pensée et donc à ce dégagement progressif des pensées des contraintes mélancoliques. Notre tâche est moins de dévoiler la vérité que de développer dans le royaume des traces mnésiques inconscientes la liberté de pensée.