Un cadre éthique pour une pratique de psychologue en institution psychiatrique
Recherche

Un cadre éthique pour une pratique de psychologue en institution psychiatrique

Notre réflexion sur le cadre des soins trouve sa source dans notre pratique de Psychologue au sein du groupe ORPEACLINEA1, en psychiatrie. Penser l’éthique comme devant présider à l’élaboration du cadre des pratiques constitue une préoccupation majeure pour les établissements de soins du groupe qui ont favorisé depuis de nombreuses années la création d’espaces de réflexion ayant notamment abouti à la réalisation de Chartes Ethiques2. C’est aussi la large place faite aux Psychologues qui a conduit tout naturellement ces derniers à mieux circonscrire le champ et la nature de leur travail auprès des patients. Il convient en effet d’observer que les temps de travail sont très importants, et que le nombre de Psychologues par établissement permet de constituer de facto des équipes. Cette heureuse configuration a notamment pour avantage de faire sortir le Psychologue de son traditionnel isolement. Elle présente cependant le risque de favoriser un certain « consumérisme ». Aussi pour éviter cet écueil, nos engagements éthiques s’entendraient alors comme autant de « puissances de refus » (Olivier Douville, 1998) aux fins de définir et limiter le champ de notre exercice.

C’est dans ce climat qu’a pu être créé un Collège des Psychologues3 que nous coordonnons depuis bientôt cinq ans en parallèle à notre travail en institution, et qui constitue aujourd’hui un espace pour penser à distance de la pratique quotidienne. Les thèmes débattus lors de nos rencontres sont presque toujours de nature éthique : ils relèvent du positionnement, des limites que le praticien se donne dans l’exercice de sa profession, et de sa prise de position personnelle par rapport à des questions que la déontologie ne peut résoudre seule… L’objectif principal étant de pouvoir rester au plus proche de l’essence même de notre profession qui se trouve également être un des fondements de l’éthique moderne : entendre, respecter et comprendre la personne dans sa singularité et dans son intégrité.

Ainsi ne peut-il y avoir de position éthique sans un cadre défini et délimité. A l’instar de Paul-Claude Racamier, le cadre des soins et, par là-même, le champ d’exercice du Psychologue peuvent se définir selon les facteurs suivants : un lieu, des temps, des règles, des seuils, des personnes, un objectif, une ambiance, une conception (Paul-Claude Racamier, 2001). C’est cette trame que nous avons choisie comme guide à notre réflexion.

Avant toute chose, penser le cadre qui constituera le lieu d’exercice pour le Psychologue…

Les règles ne suffisent pas à elles-seules à définir le cadre et le processus des soins. Si la notion de règle est fondamentale, elle n’est cependant pas suffisante à rendre compte de la fonction fondamentale du cadre thérapeutique au-delà des références à l’Œdipe et aux exigences surmoïques. Le cadre, lorsqu’il se réfère aux règles de l’institution et des soins prodigués, renvoie effectivement à un niveau de structuration, vestige de la période œdipienne ; pourtant il constitue aussi, en deçà, une contenance, un repérage temporo-spatial, le soutien organisateur de l’identité des personnes et le support des soubassements narcissiques. Or, ces questions renvoient bien plus à la préhistoire infantile, au « maternel primaire » (P.C. Racamier, 2001, p. 27-29), bien avant l’Œdipe.

Les patients accueillis lors d’hospitalisations traversent des moments où leur fonctionnement psychique devient justement fort discontinu. Or, que le cadre soit pensé aussi en deçà de l’organisation œdipienne et puisse donc potentiellement faire écho à la qualité du tissu psychique des patients, constitue tout son intérêt : pour que le cadre des soins soit porteur, encore faut-il qu’une même langue y soit parlée implicitement. Le cadre doit donc pouvoir reprendre, selon nous, les différents niveaux de structuration des frontières du soin : de la limite différenciatrice, à la limite interdictrice.
L’institution comme lieu d’accueil des personnes hospitalisées est donc à entendre comme un maillage contenant, pare-excitant et ordonné. C’est dans ce cadre que le Psychologue exerce et participe avec le reste de l’équipe à « l’hébergement psychique » (P.-C. Racamier, 2001) des patients.

Le sens et l’objectif de la prise en charge psychologique…

La question de l’objectif est bien celle de la pertinence de l’intervention du Psychologue auprès des patients dans le cadre d’hospitalisation de court séjour. Quel sens donner aux entretiens avec le patient, si ponctuels soient-ils ? Différentes réponses ont été apportées lors des rencontres du Collège.

De manière générale, les entretiens nous semblent pertinents lorsqu’ils offrent un espace de libre parole où le patient peut avec nous tenter de retrouver du sens derrière ce moment de « crise » dans sa trajectoire de vie, grâce à la sollicitation, dans un espace propice et accueillant, de ses capacités associatives. Encore une fois, peut-être s’agit-il de lui montrer à partir de ce qu’il nous dit, ce que nous entendons comme quelque chose qui se répète et dont il pourrait se saisir : qu’il retrouve une place de sujet où il puisse penser ce qui lui arrive autrement, comprendre un peu du sens subjectif de ses symptômes.

Lorsque la prise en charge est courte et se résume à trois ou quatre rencontres, l’objectif doit rester modeste : entendre ce que le patient souhaite déposer, lui faire entrevoir en quoi consiste notre écoute, et peut-être l’amener à formuler une demande qui nous permettra de le réorienter vers un professionnel à sa sortie. Le patient se saisira de cet espace ou pas, le tout étant peut être de le proposer.

Inversement, lorsque la prise en charge est longue, la question du sens et de l’objectif est complexe. Nous exerçons au Pavillon des adolescents, à la clinique Villa des Pages où l’essentiel des prises en charge s’étale le plus souvent sur plusieurs mois, lorsque les patients sont hospitalisés pour un motif originel tournant autour de leur conduite alimentaire. Dans la mesure où la nature du travail et du lien thérapeutique s’inscrivent dans une hospitalisation qui s’annonce longue, le risque serait de laisser s’instaurer un lien thérapeutique fort auquel il ne pourrait être mis un terme que brutalement lors de la sortie du patient. Dans une telle hypothèse, il est donc important de considérer que l’hospitalisation bien que longue arrivera à son terme au bout de quelques mois et qu’il nous appartient en conséquence de fixer nous-mêmes des limites claires. La vigilance du Psychologue se doit d’être d’autant plus accrue, qu’il ne saurait maîtriser l’investissement du patient. Cette dernière question est particulièrement bruyante dans le travail avec les adolescents dont la capacité d’investissement en demi-teinte est relativement restreinte! De surcroît, la problématique de séparation/individuation est souvent au cœur de ce qui va se jouer sur la scène de l’institution. On voit bien ici combien la question de la fin du suivi se pose avec acuité.

Le Psychologue s’efforce donc avec l’équipe de maintenir une frontière très claire entre le dedans et le dehors, ce d’autant que le patient peut être réhospitalisé, ce qui conduirait à une véritable confusion où les acteurs de la prise en charge seraient postés de chaque côté des murs de l’institution. Ainsi ne poursuivons-nous jamais le travail en cabinet privé, même dans les cas où le suivi institutionnel s’est engagé durant de nombreux mois. Néanmoins, nous travaillons très en amont de la sortie les orientations vers des praticiens : le relais se fait ainsi progressivement et l’équipe soutient le désinvestissement de l’hospitalisation et de ses protagonistes, mais aussi le réinvestissement vers l’extérieur.
A ce stade, il convient d’aborder la question du consentement, c’est-à-dire celle de l’adhésion du patient à l’objectif des entretiens que nous lui proposons. Nous n’aborderons pas ici la complexité à le recueillir chez des personnes en état de vulnérabilité et pour qui la désorganisation est telle qu’elle peut écorner leur capacité à consentir de manière éclairée. Dans tous les autres cas, il ne nous paraît pas utile d’emprunter la voie de l’explication formelle. En effet, son caractère intellectuel visant l’éclaircissement de l’objectif des entretiens et ayant vocation à offrir au patient la possibilité d’exprimer une quelconque volonté d’y adhérer, nous semble être un leurre. Seul l’acquiescement s’entend comme la rencontre de deux volontés. Le consentement est d’une autre nature : il ne résulte pas de l’expression de volontés communes mais bien de sentiments communs. Con-sentir signifierait donc sentir avec. Il s’agirait alors pour le Psychologue de « faire sentir » au patient et non de lui expliquer ce qu’implique de parler à un Psychologue pour rechercher ce que nous pourrions appeler son con-sentiment. Danielle Quinodoz (2002), au sujet de la cure analytique, préconise d’aider le patient à sentir en quoi consiste ce type de travail plutôt que d’en passer par l’explicitation littérale afin qu’il ne soit pas reçu comme un objet arbitraire mais comme la condition nécessaire au travail. Si dans l’esprit de son auteur, cette préconisation concerne la cure analytique proprement dite, elle nous semble néanmoins applicable au travail institutionnel, en ce qu’elle nous enjoint à utiliser certes un langage qui parle au patient mais surtout des mots qui le touchent psychiquement.

La demande du patient, la réponse de l’équipe…

Nous voyons les adolescents dans le cadre d’hospitalisations libres, uniquement lors d’entretiens individuels et sur indication du médecin psychiatre référent du patient. Ceci sous-entend que nous ne les recevons jamais sans avoir au préalable réfléchi à la pertinence de la prise en charge avec le médecin et l’équipe soignante.

Sur cette épineuse question de l’indication médicale, de nombreuses exigences de genres différents entrent en résonnance. D’un côté, les principes généraux de notre déontologie préconisent que « toute personne doit pouvoir s’adresser directement et librement à un Psychologue ». D’un autre côté, la nouvelle législation en vigueur (Loi du 4 Mars 2002 et les recommandations de HAS), dispose de pouvoir retrouver dans le dossier unique du patient son parcours dans l’institution, et les motivations qui ont conduit le médecin, responsable de la prise en charge globale, à construire tel ou tel projet de soin associant différents partenaires dont nous sommes souvent. Bref, la balance s’équilibre sans fin entre ces deux types d’exigences. C’est pourquoi nous avons choisi d’aborder cette question sous un angle différent : outre les obligations légales ou déontologiques, en quoi l’indication du médecin peut-elle constituer un précieux outil de lien et de cohésion salutaire à l’accueil du patient ?

Signifier à un patient que nous avons entendu sa demande, mais que nous l’invitons à en parler au préalable à son médecin, constitue souvent en soi un message structurant : ce temps formalisé par « le passage obligé » auprès du médecin est au fond un temps propice où peut s’élaborer la pertinence de la prise en charge. D’ailleurs nous savons que dans la réalité, la demande du patient est bien moins claire et accessible que nous pourrions le penser. Bien souvent, elle est d’abord née dans l’esprit du médecin psychiatre avant que d’apparaître dans celui du patient ! Le temps de la discussion que suscite l’indication constitue donc un temps d’élaboration autour de ce qui motive l’orientation du patient vers le Psychologue. Plus encore, il nous apparait bien souvent que l’indication médicale est au fond une inscription qui marque l’équipe dans sa globalité du sceau de l’unité, là où le corps institutionnel dans son entier tente de résister aux mouvements de clivage induit par les patients. Nous ne sommes ainsi jamais ce praticien isolé que le patient peut consulter d’emblée, engageant tout le cortège de ses fantasmes et mouvements défensifs. Par cet itinéraire tracé, le patient sait qu’il s’adresse à une équipe unifiée et cohérente.

Nous rejoignons à nouveau Paul-Claude Racamier lorsqu’il évoque l’organisation temporelle et spatiale d’une institution. Entre autre chose, il fonde cette organisation sur les seuils de la prise en charge qui seuls feront sentir au patient lorsqu’il entre dans le soin et lorsqu’il en sort (Racamier, 2001). Cette approche est d’autant plus précieuse avec de jeunes patients pour qui l’alliance de l’équipe dans son ensemble est sans cesse soumise à leurs assauts fantasmatiques, dans une sorte de diviser pour mieux régner tout-puissant. L’enjeu inconscient est en effet bien souvent que quelque chose de leur fonctionnement psychique puisse continuer à se déployer sur la scène de l’institution dans un mouvement de répétition qui, quoique fort coûteux, constitue souvent ce qu’il y a de plus familier pour eux.
En marge de ce qui vient d’être évoqué, la question de l’aménagement dans le temps et dans l’espace nous semble une question tout à fait fondamentale : la temporalité, et le repérage dans l’espace, sont des notions fondatrices du fonctionnement psychique. La question est donc de savoir si nous pouvons participer modestement à son réaménagement lors du séjour en institution : un temps pour chaque chose et des lieux différenciés. Sans aboutir à une fétichisation des rituels, il s’agit de transmettre aussi par cette voie un message clair. Là où le collectif est maître, retrouver le singulier et l’intime…

Entendre le sujet dans sa globalité… l’écueil du diagnostic4

Diagnostiquer c’est identifier la maladie par ses symptômes. Pourtant, bien que le Psychologue travaille toujours dans le souci de repérer la qualité des mécanismes de défenses, le niveau de fonctionnement psychique, et qu’il entretient, il est vrai, un rapport d’extrême contiguïté avec la démarche diagnostique (lorsqu’elle s’entend au sens strict, c’est-à-dire quand elle se fonde sur les manifestations symptomatiques), est-elle vraiment utile dans le cadre de nos prises en charge ? La tentation est souvent grande d’un corps à corps intellectuel avec le reste des acteurs du soin, en particulier le médical, et d’emprunter cette voie du diagnostic. Pourtant, il est fatalement réducteur dans la mesure où sont prises en compte les manifestations symptomatiques du fonctionnement psychique, essentiellement la part « malade » du patient, sa part adaptative passant au second plan. La démarche diagnostique nous éloigne donc souvent d’une compréhension globale du fonctionnement psychique d’un patient et nous empêche de l’entendre dans son unicité et sa singularité. Le diagnostic devrait selon nous rester une affaire médicale puisqu’il est à l’origine du choix de la médication et du projet de soin pour un patient donné. Il constitue une démarche déductive/exclusive, parfaitement complétée par la nôtre, descriptive/exhaustive. Mais voilà que surgit toute la complexité du travail institutionnel : être avec les acteurs de la prise en charge dans une réflexion pluridisciplinaire qui poursuit le but d’une vision unifiée et unificatrice du patient, tout en restant différencié les uns des autres.

Respecter le sujet là où il en est… les limites de l’interprétation

Attendre, s’abstenir, faire taire les théories, et suspendre son jugement voilà un projet bien ambitieux, et d’autant plus difficile à réaliser que, si le diagnostic n’est pas de notre ressort, l’interprétation l’est indubitablement ! Pourtant là aussi la question ne va pas de soi lorsque le Psychologue travaille en institution.

Rappelons tout d’abord que l’interprétation interprète le transfert. Tout ce qui n’est pas interprétation de transfert n’est pas à proprement parler une interprétation. Il s’agit alors d’interventions d’une autre nature que nous sommes amenés à faire, et qui s’apparentent plutôt à des remarques, des liens que nous faisons dans le matériel amené par le patient, mais aussi des interventions étayantes. Ce peut être aussi parfois l’explication qui nous vient faute de mieux ! On sait combien ces interventions sont peu porteuses, mais il est parfois souhaitable de donner quelque chose au patient dans le vide qu’il traverse. Peut être qu’alors l’explication transfigurée en hypothèse ou voire même en constructions constitue-t-elle un tour de passe-passe acceptable.

De surcroît, l’interprétation devrait pouvoir reprendre, stricto-sensu, le matériel amené par le patient, en lien avec ce qui se joue dans la relation thérapeutique actuelle, à savoir le transfert, en lien encore avec les relations du passé. L’interprétation, pour être ni trop intrusive, ni trop excitante, ni trop invasive dans la vie actuelle du patient, se situe donc, dans l’idéal, au centre de ce triangle, tant sur le plan dynamique que sur le plan économique. Que se passe-t-il lorsqu’un des « sommets » du triangle vient à manquer dans nos interprétations ? Lorsque l’interprétation ne prend en compte que le transfert, elle sollicite excessivement la relation au praticien… Ou bien encore lorsqu’elle ne prend en compte que l’actualité du patient, elle peut être entendue comme une intervention active dans sa vie. L’interprétation dévoile le transfert mais aussi l’élabore et lui donne sens à la lumière de l’histoire du patient.
Autant dire qu’en institution nous sommes bien loin de ces considérations. Car nous pensons que le recours systématique à l’interprétation telle que nous l’avons définie, peut être une véritable violence faite à la personne. Une violence lorsque nous sollicitons à outrance le transfert, pour le rompre violemment à la sortie du patient. Une violence encore car, nous manquons de recul et de distance ; et pour qu’un processus soit en place et permette ce type d’intervention auprès du patient, il faut du temps. Or, le temps de l’hospitalisation n’est pas toujours en harmonie avec le temps psychique du patient.

Les risques de l’approche normative et de l’effraction interprétative

C’est sans doute en matière d’investigation psychométrique qu’il devient particulièrement ardu pour le Psychologue de respecter l’intégrité psychique du patient. Comment concilier notre intervention clinique avec le respect de la temporalité et de l’autonomie psychique du patient ? Comment éviter que nos hypothèses interprétatives à partir du matériel des tests ne constituent pour le patient « testé » une effraction dans le cours de son processus élaboratif ?

C’est ainsi, qu’il est entre autre souhaitable, à notre avis, d’effectuer avant toute investigation psychométrique un pré-entretien où peuvent être abordées les questions suivantes : Comment le patient se représente-t-il cette situation de test ? Comment va-t-il a priori se positionner par rapport à l’examinateur ? Outre les précieux éléments cliniques recueillis à cette occasion, cela nous permet de saisir la manière dont le patient appréhende cette rencontre particulière… et d’en tenir compte. Comment associer le patient à ce travail, le rendre acteur ? Qu’en est-il de sa demande propre, désintriquée de celle de son médecin ? Gageons que l’exigence éthique pourrait être la suivante : que le bilan soit construit certes en fonction de l’indication médicale, mais aussi et peut-être même, surtout à partir des questions que le patient se pose pour lui-même. Cet élément nous semble tout à fait fondamental dans la mesure où, puisque nous sommes par ailleurs contraints à un retour après le bilan, cette restitution des « résultats » ne pourra respecter l’intégrité de la vie psychique du patient que si elle est en parfaite adéquation avec l’élaboration du patient.

C’est à cette seule condition que les réponses apportées peuvent participer du processus thérapeutique : si elles s’inscrivent dans la continuité du cheminement du patient, si elles peuvent faire écho, et de ce fait être « utilisables »… Ainsi, respectons-nous la temporalité psychique du patient et tentons-nous de faire en sorte que le sujet testé n’ait jamais l’impression que nous lui parlons d’un étranger et qu’il ne se sente jamais prisonnier de notre savoir au travers d’un exposé exhaustif de son fonctionnement intellectuel et affectif.

L’ensemble des tests, échelles et évaluations psychométriques, ne sont donc que des « commodités professionnelles » venant enrichir, appuyer et agrémenter la réflexion clinique. Elles restent donc un moyen et non une finalité en soi, dans lequel le patient doit garder sa place d’acteur principal.

Etre un tiers pour l’autre… Le tiercéisation en institution

Travailler en institution psychiatrique requiert une certaine forme d’identification au patient, que l’on peut appeler empathie, accordage, partage d’affect… Or « si l’identification est inévitable, comment s’identifier sans se confondre ? (…) Comment sentir avec sans épouser la pathologie ? » (R. Roussillon, 2004, p. 70-71). Ou à l’inverse comment ne pas chercher une position de repli, où l’identification serait évitée au profit de la différenciation outrancière entre patients et soignants ?

L’identification semble être le point essentiel sur lequel toutes les déshérences psychiques deviennent possibles sur la scène de l’institution tant pour les soignants que pour les patients : la confusion identitaire, la détresse psychique ou au contraire l’indifférence et le cloisonnement.
C’est sans doute le travail en lien et en équipe, c’est-à-dire lorsque chacun des acteurs du soin devient un tiers pour l’autre, qui constitue une des voies possibles pour sortir de l’impasse. « Retrouver le contact empathique avec des états extrêmes (des patients), y être accompagné par la présence d’un autre capable de partager au moins en partie ces états, être ainsi moins seul et moins exclu de l’humanité par la nature même de ces états » (R. Roussillon, 2004, p. 73).

Conclusion…

Les développements qui précèdent mettent en évidence que définir un cadre éthique sous-entend que l’accueil et l’hébergement psychique du patient se donne comme priorité de respecter au mieux sa singularité et son intégrité. Pour cela, le Psychologue tente de définir au plus près sa place au sein de l’équipe et ses missions, de limiter le champ de son exercice professionnel tant à l’égard du patient, que vis-à-vis du reste des acteurs du soin. Penser l’institution comme un lieu ordonné mais aussi contenant et pare-excitant, structuré dans le temps et dans l’espace, définir des objectifs précis et répondre au plus juste aux demandes latentes et manifestes des patients, être là au bon moment, marquer les seuils d’entrée et de sortie du soin, travailler en équipe tout en restant différencié, et penser les restrictions nécessaires à nos interventions diagnostiques, interprétatives ou d’évaluation seraient les ressorts primordiaux d’un cadre de soin « humanisant » qui cherche à préserver l’intégrité et l’autonomie psychique des personnes hospitalisées. Au-delà de ces considérations éthiques, il demeurerait que la meilleure garantie offerte au patient d’un accueil unifiant résiderait dans la « tiercéisation » de la relation thérapeutique, que permet l’institution, à savoir quand chacun des protagonistes est tout à la fois partenaire et tiers pour l’autre.

Notes

  1. Groupe privé regroupant des maisons de retraite, des cliniques psychiatriques et de soins de suite.
  2. Des philosophes interviennent dans chaque institution dans le but de rédiger une Charte éthique des engagements de l’équipe… L’ensemble des professionnels est réuni à cette occasion et invité à réfléchir sur des notions telles que l’accueil, le respect, l’écoute, la conscience professionnelle, et la compétence. La charte ainsi rédigée collectivement par l’équipe constitue le point de référence d’une position éthique identifiée comme ancrage et appartenance à une institution donnée.
  3. Créé en 2004 à l’initiative de la psychiatrie, il regroupe aujourd’hui près de 80 professionnels.
  4. Du grec diagnôstikos, dia signifiant « en traversant, en divisant », et gignoskein apprendre à connaitre » : apprendre à connaître en divisant…

Références bibliographiques

Douville, O. (1998). « Dimension éthique, problèmes déontologiques », Psychologie Clinique, L’Harmattan. p. 7-22.

Quinodoz, D. (2002), Des mots qui touchent, Paris, PUF, coll. Le fait psychanalytique.

Racamier, P. C. (2001), L’esprit des soins, le cadre, Les éditions du Collège.

Roussillon, R. (2004), « L’identification narcissique et le soignant dans le travail de soin psychique ». Malaise dans la psychiatrie, changements dans la clinique, malentendus dans les pratiques, Erès, p. 67-78.