Un deuil prénatal et son retentissement dans la fratrie
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Un deuil prénatal et son retentissement dans la fratrie

Lorsque qu’un couple se trouve confronté à une perte prénatale, la vie des aînés est aussi touchée par cet événement. En fonction de leur âge et de leur développement psychoaffectif, leur capacité à traiter psychiquement cet événement sera de tonalité différente. Le premier impact de cet événement pour eux, passera par les modifications qu’il induit chez leurs parents, par leur moindre disponibilité à leur aîné, l’expression visible de leur tristesse. Mais l’enfant aura aussi à traiter la signification de cette perte par lui-même et pour lui-même. Cet événement va représenter une épreuve dont l’intégration sera rendue complexe par différentes données. Son âge de développement, son intégration préalable des notions de procréation et de mort, son anticipation de l’arrivée du puîné, déclineront ce travail psychique de différentes façons.

La virtualité de cet enfant à venir, est une phase transitoire pour tout aîné. Mais ici la perte de cet enfant, rendra impossible la rencontre avec un bébé incarné physiquement, étape importante de l’objectalisation de ce puiné. Une des questions que nous avons à nous poser, tant sur le plan théorique, que parce qu’elle rejoint les interrogations des parents est la suivante : est-ce que cette virtualité du bébé est protectrice pour l’aîné, ou au contraire vient-elle complexifier le processus de deuil, devant l’absence d’objet envers lequel adresser ses pulsions y compris ses pulsions agressives ? Nous pouvons néanmoins souligner dès à présent que cet aspect potentiellement protecteur de la virtualité du bébé a déjà été mis à l’épreuve pour les parents eux mêmes. Or, l’on sait bien que cet énoncé est plutôt une exception et que pour la plupart des parents l’isolement ressenti face à la non reconnaissance par leur entourage, et par la société, de l’existence de ce bébé constitue une entrave à leur processus de deuil.

Grossesse et rôle fraternel

Identification et différenciation

Une jeune mère enceinte, d’un bébé porteur d’une cardiopathie vient consulter pour sa fille aînée âgée de 2 ans ½. Depuis quelques semaines, l’enfant répète sans cesse qu’elle a envie de vomir. Au fil de la consultation, la chaîne associative : cardiopathie, mal au cœur, envie de vomir apparaîtra à la maman. Celle qui était appelée « mon bébé » était jusqu’à présent son aînée. Mais il y avait alors un autre « mon bébé ».

Cette petite fille se trouvait alors prise, entre ses propres mouvements et les propos qu’elle entendait concernant cette grossesse douloureuse, dans un double mouvement d’identification : être tout à la fois le bébé dans le ventre de sa mère, mais aussi, être sa mère enceinte d’un bébé. Chez les tout jeunes enfants de 2-3 ans, il n’est pas rare de les voir mettre en scène ce travail d’identification et de différenciation au bébé qui est dans le ventre de la mère. Cette étape est d’autant plus nécessaire lorsque ce bébé est en péril. En effet, une confusion des bébés est possible, le changement parental dû à leurs inquiétudes, leur relative indisponibilité envers l’aîné, et les paroles qu’il entend concernant « le bébé » malade peuvent être sources d’angoisses et d’insécurité pour lui. Ainsi même virtuel, ce bébé se doit d’exister à une place différente de l’ainé, cela aura une vertu protectrice son égard.

Par ailleurs, Michel Hanus souligne bien que le processus de deuil nécessite des pré-requis. Le premier d’entre eux est de pouvoir distinguer l’objet perdu comme différent de soi-même. En effet, l’enfant dont l’appareil physique œuvre à construire les représentions de Soi et de l’autre, ne peut considérer la perte de l’autre que lorsque l’autre existe en tant que tel. Le second, nous y reviendrons, concerne la représentation de la notion de mort (Hanus 1998). Ces pré-requis ne sont pas encore stabilisés dans le développement précoce de l’enfant.

Le corps maternel

Le corps maternel est l’objet de modifications agissant comme des potentialisateurs fantasmatiques : les seins maternels en se modifiant pourront provoquer une nostalgie de la proximité précoce mère-bébé, le ventre qui contient le bébé, dont l’étirement paraît étrange, conduit aux questions sur les orifices de cette poche. L’enfant, scrutateur de ces modifications, va être ainsi confronté à la question de la sexualité parentale et à une mise en travail de ses représentations sur le corps maternel. Ainsi une grossesse est l’occasion d’une curiosité et d’une élaboration de la sexualité. Lorsque la grossesse est difficile pour la mère, la plainte, les douleurs, les inquiétudes, les angoisses ou la tristesse peuvent être perçues par l’enfant.

Notre expérience clinique auprès de femmes enceintes nous a permis de constater bien souvent à quel point des grossesses pathologiques chez la mère d’une femme enceinte pouvait laisser des traces qui se révèlent parfois par des angoisses très envahissantes lors de la grossesse de la jeune femme. Les processus d’identification à leur mère propre intègrent ses angoisses bien souvent non élaborées. La grossesse témoigne de l’activité sexuelle de la mère et vient signifier la place du père, procréateur, auprès d’elle. Lors de la grossesse de la mère, l’aîné se trouve confronté à la perte de la possibilité de fantasmer une place œdipienne privilégiée vis-à-vis de sa mère. L’intrusion du tiers que ce bébé vient incarner la lui ravie. Pour protéger l’image paternelle de l’agressivité éprouvée à son égard, il n’est pas rare d’observer un déplacement de cette agressivité sur le rival représenté par le bébé. La disparition du bébé pourrait valider chez les enfants pour qui cette conflictualité a été vive, la pire de leur crainte, à savoir la destructivité contenue dans leurs pensées.

Interruption de la phase développement de l’accession au rôle fraternel

Le modèle multidimensionnel d’Irving Léon souligne l’obstacle que la perte du bébé produit dans la ligne développementale que représente pour une femme l’accession au rôle maternel (Leon 1996). Dans la fratrie, on peut aussi considérer cet aspect. En effet, si l’arrivée d’un puiné est source de conflits internes, la naissance, la confrontation à cette réalité et les processus d’adaptation que l’enfant construit, avec l’étayage de ses parents, est une occasion de recomposition d’une part de cette conflictualité (Rabain, 1995). Ainsi le renoncement à l’omnipotence infantile, à l’amour œdipien, à la toute disponibilité parentale, l’intégration de ce partage sans perte pour autant, la confrontation à l’agressivité sans la destructivité sont des étapes de l’accession à la position fraternelle, gage d’une maturité psychoaffective accrue. Lorsque l’enfant disparaît, ce processus reste béant, l’absence de validation par l’épreuve de réalité de cette fraternité non destructrice peut laisser actifs les processus conflictuels.

L’annonce par les parents

Différenciation et contenance

Le temps de l’annonce pour les parents est un temps délicat. Il leur appartient, dans le cadre sécurisant de la relation de confiance établie avec leurs enfants de leur raconter les surgissements inquiétants dans le déroulement de cette grossesse et ce qui concerne la santé du bébé. Lorsque l’annonce est soudaine, dans le cadre des morts fœtales in utero, l’anticipation n’est pas présente pour les parents eux-mêmes, mais ils peuvent parfois éprouver le besoin d’accorder un peu d’anticipation à leurs enfants, et de ne pas leur annoncer tout de suite la perte radicale. Mais ensuite, il sera nécessaire que des mots soient énoncés sur la disparition du bébé. Parler de la mort, en utilisant ce terme n’est pas toujours une évidence pour les parents éprouvés, ils aimeraient protéger leur enfants de la détresse qu’ils éprouvent. Or, bien que présente, la détresse de l’enfant n’est pas identique à la leur. Les aider à penser ce premier espace de différenciation entre leur vécu et celui de l’enfant va leur permettre de retrouver une fonction contenante auprès d’eux. Lorsque la perte du bébé a lieu suite à un processus de diagnostic qui peut aboutir à une Interruption Médicale de Grossesse (IMG), la temporalité est différente, il ne s’agit plus d’une annonce unique, mais bien parfois d’annonces répétées aux-quelles les parents vont être confrontés. Tant qu’une incertitude perdure sur le pronostic pour leur bébé, il leur est parfois difficile de parler à leurs aînés. Pourtant ceux-ci perçoivent la préoccupation des leurs parents. Et, c’est en partant de ce ressenti que les parents pourront, lorsque le moment sera venu pour eux, annoncer le décès du bébé à leurs ainés. Durant la période d’incertitude les parents peuvent aussi s’appuyer sur les doutes et inquiétudes des médecins, pour permettre une anticipation parfois de quelques jours. Les parents peuvent s’accorder quelques heures ou parfois quelques jours pour pouvoir se restaurer suffisamment pour être disponibles lors de la discussion avec leur aînés, ce temps de mise en pensées pour eux-mêmes est indispensable afin de ne pas répercuter le potentiel impact traumatique de cette annonce, à la mesure de ce qu’ils ont eux-mêmes ressenti. L’attente n’est pas nécessairement un secret, si il est implicite ou explicite que l’on expliquera plus tard (Beauquier-Maccotta, Fostini, et Ricignuolo 2014).

Le choix des mots et la représentation de l’enfant

La disponibilité de l’enfant à un tel échange peut être courte, selon son âge, mais le plus important est qu’il perçoive que la détresse ressentie peut être partagée, par des mots, avec ses parents, et que cet échange peut se répéter quand il en éprouvera le besoin. Sinon, le non-dit laisse l’enfant seul, et il se crée alors un scénario propre alimenté par ses terreurs infantiles (Derome 2013). Selon le terme, mais surtout selon les représentations des parents qui y sont rattachées les mots choisis pourront varier. Dans les fausses couches du premier trimestre, est-ce le bébé qui est mort ou la grossesse qui s’est arrêtée ? La cohérence de ce que les parents transmettront avec ce qu’ils ressentent et se représentent est primordiale. Les parents se confrontent à un travail complexe dans lequel ils doivent trouver une formulation pour leurs aînés alors que la situation est parfois encore indicible pour eux mêmes.

Les mères elles-mêmes expriment parfois, à travers ce qu’elles craignent du regard de leur enfant, leurs propres angoisses : le crainte que leur ainé ne puisse plus les considérer comme une « bonne mère » alors qu’elles échouent à donner la vie à un second enfant bien portant, vient aussi révéler leur blessure narcissique profonde dans cet échec et leur sentiment de culpabilité dans la décision d’interruption. Il importe de souligner la gravité et le caractère exceptionnel de ce qui touche le bébé afin que l’enfant ne soit pas inquiet, et qu’il puisse différencier cet événement d’une « maladie », comme lui pourrait en connaître. Nous leur conseillons parfois de souligner que le bébé était atteint d’une malformation ou d’une maladie tellement grave qu’il ne pouvait pas vivre. Pour certaines familles et en fonction de l’âge de l’enfant, parler de la décision de l’IMG est impensable. Néanmoins, il est important que la formulation choisie pour les parents ne ferme pas la porte à ce qu’un jour, ils puissent raconter aussi cette part de l’histoire, dans un récit plus apaisé. La représentation d’une mère archaïque toute puissante, ayant droit de vie ou de mort sur ses enfants, qui peut émerger chez les femmes pour qui une IMG est envisageable, nécessite d’être élaborée avant qu’une transmission sur l’IMG puisse être faite auprès des enfants. La terreur que les parents prêtent à leurs enfants est à la mesure de l’angoisse suscitée par cette représentation pour eux-mêmes.

Au moment même où les compétences des parents sont mises à mal par leur échec à donner vie à un bébé bien portant, où cet évènement provoque une terrible blessure narcissique, la préoccupation qu’ils vont pouvoir exercer auprès de leurs aînés, bien que couteuse pour eux, est aussi l’occasion d’un rappel de l’exercice de leur fonction parentale et une requalification dans ce rôle (Ricignuolo et Fostini 2013).

Présence de l’enfant lors de rituels de deuil

La rencontre avec les aînés a été beaucoup pensée et travaillée pour le post-natal, dans les circonstances d’hospitalisation du nouveau-né, de prématurité, et a pu montrer son intérêt clinique par l’aide que représente une perception sensorielle directe de l’enfant pour penser la présence du nouveau bébé. Les craintes que l’univers de la réanimation soit traumatisant pour les enfants ont été évoquées, mais finalement le contexte inhabituel de l’appareillage de la réanimation n’est pas systématiquement ce que les enfants retiennent (Ricignuolo and Fostini 2013).

En ce qui concerne la rencontre avec un bébé décédé la variabilité des situations est encore plus grande. Lorsque les parents se posent la question d’une rencontre des aînés avec le bébé décédé, il est important d’entendre le sens que cette rencontre aurait pour eux comme pour les enfants. C’est souvent une référence culturelle et groupale qui vient donner sens à la demande des parents. De la même manière, en ce qui concerne les obsèques et différents rituels, il est important que les parents puissent penser le sens que la présence, ou non, des enfants aurait, tant pour eux-mêmes parents, que pour les enfants. La présence des aînés aux obsèques nécessite qu’une personne de référence puisse être présente auprès d’eux et disponible pour eux, d’autres familles feront le choix d’un accompagnement différé de quelques jours au cimetière par exemple. Là encore, les représentations des parents seront déterminantes dans les choix qu’ils feront pour que cette cérémonie, quelle que soit la forme qu’elle prend, soit chargée de sens pour l’enfant aussi. Il s’agit pour eux de lui transmettre la valeur de ce rituel autour de la mort, la conscience de l’existence temporaire de ce bébé dans l’histoire familiale. Ce travail collectif de symbolisation de la perte prendra alors une valeur signifiante pour l’enfant, possible zone d’étayage dans sa vie future.

La notion de mort chez l’enfant

C’est au cours de la seconde guerre mondiale, et par ses effets traumatiques, que les premiers travaux concernant le deuil chez l’enfant sont parus. Les premiers constats ont permis de se décentrer d’un point de vue adultomorphe pour prendre en compte la réalité psychique des enfants. Deux études réalisées à la même époque ont montré l’intégration de la notion de mort chez l’enfant (Nagy 1959), (Anthony 1971). Ainsi, il est classiquement décrit qu’avant l’âge de 5 ans, spontanément, un enfant ne reconnaît pas le caractère irréversible de la mort. Il attribue aux morts les mêmes caractéristiques qu’aux vivants, l’animé et l’inanimé sont encore difficiles à différencier. La première représentation de la mort n’est pas différente de celle du sommeil, puis progressivement, il va lui attribuer des caractéristiques différentes de la vie, c’est l’intégration de la notion de l’insensibilité. Entre 5 et 9 ans, la mort est souvent personnifiée, elle prend la forme d’un événement contingent, auquel on pourrait donc échapper. Son caractère définitif est progressivement assimilé, et son caractère irréversible peut être pensé, avec les angoisses que cela génère. A partir de 9 ans, la mort peut être intégrée au processus de la vie, son caractère universel ainsi que le fait que l’enfant lui même puisse penser à sa propre mort se construit vers cet âge-là.

Ainsi, parler de la mort avec un enfant doit se faire dans un échange, un aller-retour qui permet d’approcher ses propres représentations et de mettre en mots pour lui les notions qu’il n’a pas encore acquises (Derome 2013). Utiliser le mot de mort est parfois difficile pour les parents, mais cela est nécessaire pour que l’enfant, quel que soit son âge, ait un mot, qui signe un évènement grave, éloigné de son propre quotidien, pour expliquer la disparition du bébé et la douleur parentale. Néanmoins, ce mot continuera à prendre sens au fil de son développement.

L’aptitude au deuil de l’enfant

La particularité du traitement d’une perte chez l’enfant, est d’intervenir chez un sujet en développement. L’intégration de la notion de mort, on l’a vu, n’est pas toujours pleinement acquise, et la représentation de l’objet perdu, ce bébé n’est pas encore ni stable ni clairement différencié de lui. Ainsi le processus de deuil ne se déroulera pas nécessairement dans une chronologie proche de l’évènement, ni de manière continue. Ce processus pourra d’autant plus se déployer que l’enfant aura la certitude que ses propres besoins essentiels seront satisfaits (Hanus 1976). Les étapes de son propre développement vont venir remettre à l’ouvrage la dynamique du deuil. « Le deuil, s’il ne se termine jamais chez celui-ci (l’adulte), ne peut pas évoluer jusqu’à son terme chez celui-là (l’enfant). Comme il survient chez un être en plein développement, une partie en reste toujours à faire plus tard » (Hanus 1998).

L’accessibilité pour l’entourage du processus de deuil d’un enfant est complexe. Les mouvements intimes qui y président sont parfois révélés par une chaîne associative, par un évènement ou une parole qui surviennent dans le quotidien. Les parents peuvent parfois être surpris par ce surgissement inattendu. Le processus de deuil produit parfois un fantasme de réunion avec l’être perdu. L’enfant confronté à l’abstrait de la mort, a besoin d’introduire des représentations imagées, d’un lieu capable d’accueillir le mort. L’enfant peut alors formuler ce désir de réunion à travers ce lieu. Pour les parents ces propos peuvent faire écho à leur propre désir de réunion, qui s’inscrivent dans un mouvement plus mélancolique autour de la perte de ce bébé, et frôle la question suicidaire. Mais pour l’enfant, il est important de savoir justement comment est construite sa représentation de la mort afin d’entendre ces paroles au plus juste du sens qu’il leur attribue. Ce travail d’intégration se poursuivra au cours de sa vie. Certaines étapes, comme l’accession à sa propre parentalité seront aussi des temps de nouvelles élaborations de ce deuil, et parfois d’une meilleure distinction entre son propre deuil, lié au fait d’avoir perdu un frère ou une sœur, réel ou potentiel, et l’identification au deuil de ses parents.

L’aîné : projections et identifications

La fonction de l’enfant aîné pour les parents

L’enfant aîné tout en étant inscrit dans la préoccupation parentale va être l’objet de projection de leur part.

L’enfant Porte-Parole

Parfois, porte-parole de leurs propres mouvements internes, c’est à travers le discours rapporté de l’enfant que les parents vont pouvoir aborder la question de l’ambivalence à l’égard du bébé malade ou décédé ou de leur culpabilité.

L’enfant et le fantôme

L’aîné aura aussi à grandir avec l’image de son puiné décédé qui lui sera associé dans la psyché de leurs parents. Rival invisible, parfois nourri d’une grande idéalisation, cette image, quand elle est indicible et impensable pour les parents peut être une confrontation quotidienne à un idéal inatteignable et générer un sentiment sentiment d’incompétence.

L’enfant régressé

Chez certains parents, le deuil d’un bébé en période anténatale laisse comme une plaie béante là où la rencontre avec le bébé vivant était attendue. L’espoir du maternage et de ses plaisirs, la gratification de la fonction parentale éprouvée dans l’interaction avec le bébé est alors absente. Pourtant cet attente développementale est présente (Leon 1996) pour les parents. Il nous est arrivé de rencontrer des parents endeuillés qui, après un deuil, « régressaient » dans le maternage avec leur aîné, contraignant cet aîné à des soins de plus petit, tentant de combler ainsi cette part d’eux même inassouvie, perdue avec la perte du bébé.

Le rival survivant

Pour d’autres parents, l’enfant vivant peut devenir l’objet de projections agressives. Sa vie devient le criant témoignage de la perte de l’autre enfant. Les parents et d’autant plus lorsque la décision d’une IMG par exemple a été difficile pour eux, projettent inconsciemment sur leur enfant leur culpabilité.

L’enfant qui surcharge

Pour ces parents endeuillés, si l’on se rapproche du modèle de la dépression maternelle dans les interactions précoce, l’existence de cet aîné vient les contraindre, par ses besoins essentiels qu’ils se doivent de satisfaire, à sortir de l’isolement du deuil. Néanmoins, sur le plan cognitif comme affectif, la double tâche d’être avec l’enfant vivant et de penser à l’enfant mort peut être insupportable. Les parents se font un devoir de penser et d’être avec leur enfant décédé, c’est pour eux une manière de continuer à le faire exister, de lutter contre leur sentiment de culpabilité en ne se défaisant pas de ce lien à lui. Ainsi la présence de l’aîné peut être source d’irritabilité pour le parent qui se sent incompétent à mener cette double tache.

La place dont l’aîné se saisit vis-à-vis de ses parents

Enfant Thérapeute

Le fait d’être aussi une source de consolation pour leurs parents est, pour les enfants dont les parents sont endeuillés, une manière de traiter cet événement traumatique. A travers cette place, ils peuvent tout à la fois se sentir actifs face à cette perte qui confronte toute la famille à l’insupportable impuissance. Et en même temps, dans leur propre économie psychique, cette place d’enfant thérapeute vient aussi agir quelque chose de cette rivalité fraternelle, par cette place, il épouse une place d’enfant qu’ils peuvent fantasmer comme préféré, sans pour autant dénier l’existence du bébé décédé. Mais parfois, cette position les inscrit dans un rôle qui n’est pas le leur et les éloigne des enjeux développementaux de leur âge (Oppenheim 2011).

Enfant de remplacement

Dans d’autres circonstances on voit des deuils anciens ressurgir dans une expression symptomatique, à l’adolescence parfois. On peut alors reconstruire que le deuil du parent, dans son versant mélancolique, a conduit à se protéger de l’anéantissement lié à la perte du bébé en déplaçant sur son aîné des gestes de maternage régressif qui réconfortaient le parent, comme si le bébé avait été là. C’est une version inversée de l’enfant de remplacement, ici le traitement de la perte, insoluble, est déplacé sur l’aîné. Il devient pour le parent, dans certaines parcelles de leurs interactions, l’enfant mort. Ces interactions inscrivant alors des sensations corporelles non métabolisables, dont seul un passage par l’agir pourra permettre l’émergence. Nous avions ainsi rencontré une adolescente dont la grossesse très précoce était venue révéler ce lien à sa mère dans un deuil non résolu d’un bébé, quand notre patiente avait 3 ans (Beauquier-Maccotta, Fostini et Ricignuolo, 2014), et certains enfants vont incorporer ces représentations.

L’enfant parfait

Les attentes des parents envers le bébé qui n’a pas survécu, le mandat transgénérationnel qui lui était confié ne disparaissent pas avec son décès (Soubieux et Soulé, 2005). Ces attentes peuvent se déplacer sur un autre enfant, enfant qui naitrait après cette perte, mais aussi parfois sur les enfants aînés. Ces attentes et projections, souvent nourries par une idéalisation de l’enfant perdu, peuvent prendre une allure très irréaliste car désafférentée des compétences et des qualités réelles de l’enfant. Si celui-ci peut les percevoir comme ayant un caractère réparateur pour ses parents, il peut tenter de s’y conformer pour soulager ses parents, prenant néanmoins le risque d’un échec ou, au contraire, s’en dégager bruyamment dans une rébellion face à ces attentes.

Conclusion

Nous avons ici tenté de dresser quelques pistes décrivant les mouvements à l’œuvre, bien évidemment les tableaux peuvent être plus souples et transitoires et les projections évoquées ne feront entrave pour le développement de l’enfant que si elles sont massives et durables. Un tel événement dans la vie d’un enfant est susceptible d’influencer sa trajectoire de vie. L’échange et l’élaboration avec les parents de la manière dont ils vont pouvoir accompagner leurs aînés sont prépondérants. Pour certaines familles des consultations thérapeutiques viendront soutenir ce processus.

Les points de repères dans une annonce de décès prénatal à un aîné :

Choix du moment :

  • Disponibilité suffisante des parents
  • Formulation psychique des évènements construite par les parents et pour eux-mêmes.
  • Lieu représentant un sentiment de sécurité et de continuité pour l’ainé

Références aux émotions :

  • S’appuyer sur ce que l’enfant a pu percevoir pour ressentir l’état émotionnel des parents ces derniers temps.
  • Si les parents peuvent monter leurs émotions aux enfants ceux-ci s’autoriseront aussi plus facilement à partager les leurs.

Choix des mots :

  • Phrases simples, mais le vocabulaire peut être plus complexe, il vient signifier un univers très différent de celui de l’enfant et sera à réexpliquer au fil du développement de l’enfant
  • Compréhension de la notion de mort différente et se construit petit à petit : Intégration progressive des notions de insensibilité, irréversibilité, universalité.

Ecoute de l’enfant :

  • Attention à ses représentations.
  • Intégration que, malgré l’affliction, la parole est permise.
  • Laisser place à l’ambivalence, à l’imperfection, ne pas renforcer l’idéalisation du bébé.

Références groupales :

  • Les parents peuvent souligner qu’ils sont aidés dans cette épreuve par les soignants, l’entourage …
  • Références que d’autres familles connaissent cela.
  • Participation réfléchie aux rituels.

Introduire une Temporalité

  • Evolution de la tristesse même si il est difficile pour les parents de se projeter.

Bibliographie

Anthony, S. 1971, The Discovery of Death in Chilhood and After, Allan Lane, London, The Penguin Press.

Beauquier-Maccotta, B., O. Fostini, and C. Ricignuolo. 2014. « La fratrie après une mort périnatale », Revue de médecine périnatale 6 (2) : 96–102.

Derome, Muriel. 2013, « Accompagner La Fratrie Au Funérarium. », Le Carnet Psy, 175 (8) : 38. doi :10.3917/lcp.175.0038. Hanus, Michel. 1976, La Pathologie Du Deuil, Paris, Masson. et 1998, Les Deuils Dans La Vie, Paris, Maloine.

Leon, Irving G. 1996, « Conception Psychanalytique de La Perte D’un Enfant En Période Périnatale, Un Modèle Multidimensionnel », Devenir, no. 1.

Nagy, M. 1959, « The Child’s View of Death » In The Meaning of Death, H. Feifel. New York, MacGraw Hill Cy. Oppenheim, Daniel. 2011, « Parents En Deuil », Revue Internationale de Soins Palliatifs 26 (1), 11.

Rabain, Jean-François, 1995, « La Rivalité Fraternelle » In Nouveau Traité de Psychopathologie de L’enfant et de l’Adolescent, Lebovici S., Diatkine R., Soulé M., IV, 2549–76. PUF.

Ricignuolo, Céline, and Olga Fostini. 2013, « Quelle Place Pour Les Frères et Sœurs ? : Histoire de La Première Rencontre entre La Fratrie et Le Nouveau-Né Hospitalisé », Le Carnet Psy 175 (8) : 35.

Soubieux, Marie-José, and Michel Soulé, 2005, La psychiatrie foetale, PUF.