Elle conserve de son enfance les joues roses et les boucles blondes, et sans doute aussi une gaucherie charmante dans sa manière de se mouvoir, comme si son corps de femme n’était pas tout à fait en place. Assise, tout change dès qu’elle se met à parler : de l’épisode violent qu’elle vient de traverser, de ce qui, à son avis, l’a provoqué et la conduit chez moi, de ses attentes par rapport à l’analyse. Je suis frappée par le contraste entre l’intellectualisation de son discours et l’inflation progressive mais tenace d’une dramatisation sensible dans le ton de sa voix et la précipitation de ses mots. Je suis touchée par son désarroi face à l’expérience psychique extrême à laquelle elle a été soumise et séduite par le contact avec elle, direct, confiant, ouvert, et par l’incroyable vivacité de son intelligence et de sa sensibilité.
Au premier abord, l’histoire pourrait paraître banale, une passion ordinaire, celle d’une jeune fille éperdue d’admiration pour son professeur, dont elle est l’élève préférée, le lien intellectuel privilégié entre eux du fait de ses hautes performances universitaires. Et puis, un jour, elle assiste, une fois de plus, une fois de trop, à une scène entre le professeur et une autre élève, une scène violente, effractante par la force destructrice des mots, par l’humiliation qu’elle engendre. Sidérée dans un premier temps, Salomé est ensuite envahie par des cauchemars récurrents au cours desquels elle est poursuivie par un homme brandissant une hache, elle se réveille toujours à temps, haletante, affolée, incapable de se rendormir par crainte du retour du rêve obsédant. Dans les mois qui suivent, elle s’épuise, l’angoisse la gagne et s’empare d’elle, d’abord sans véritable motif, puis associée à la peur que son professeur se fâche contre elle et à la conviction affolante qu’il la hait et qu’il va la tuer.
Cette brève évocation clinique appelle un certain nombre de premiers commentaires en référence à des constructions psychanalytiques classiques : et tout d’abord, la prégnance de la séduction dans ses configurations incestueuses et œdipiennes répétées au-delà de l’adolescence. Le fantasme « On bat un enfant » y occupe une place privilégiée mais nous savons bien qu’il constitue une des traductions parmi les plus évidentes de la séduction du père. Les deux premières phases du fantasme se repèrent presque trop clairement : dans la première, Salomé est la spectatrice passive des « coups » portés par le professeur (le père) à sa camarade (la sœur) ; dans la seconde, fantasmatique, c’est elle qui est battue. Le symbolisme sexuel du rêve de la hache s’impose, bien sûr… convoquant une comptine enfantine (que vous connaissez peut-être) où la fille d’un roi est tuée à coups de hache par son père parce qu’elle veut entrer au couvent alors qu’il a décidé de la marier !
La qualité de ces configurations change lorsque le fantasme bascule dans la conviction et que l’angoisse et l’effroi se mobilisent face à un danger considéré comme réel. Mais ne pourrait-on pas penser qu’il s’agit seulement d’une excessive représentation à la mesure de l’intensité pulsionnelle qu’elle tente de traiter, et considérer qu’elle s’inscrit dans un contexte hystérique marqué par la dramatisation ? Après tout, Freud a changé de point de vue en abandonnant (pas complètement d’ailleurs) sa neurotica, pour autant la croyance dans la réalité de la séduction n’a pas déserté le vie psychique !
Par ailleurs, un double mouvement se repère d’emblée : narcissique du côté de l’idéalisation et de la tyrannie qu’elle exerce notamment dans la peur de décevoir ; objectale dans l’investissement massif d’une figure d’homme indéniablement paternelle, en tout cas, dans une première approche. Dès le second entretien, la dramaturgie œdipienne s’impose : un père adoré, admiré, trop souvent absent, et en contraste absolu, une mère détestée, à la fois crainte et méprisée, bref une configuration assez courante à l’adolescence où l’ambivalence se traite par une distribution exclusive de l’amour et de la haine. Un produit psychique déterminé en effet par la puberté et les changements qu’elle impose puisque c’est précisément depuis cette période que les relations de Salomé et de sa mère ont brusquement sombré dans une conflictualité irritante et intraitable, bien différente de l’immense proximité qui les unissait auparavant sur un mode fusionnel. Aujourd’hui la séparation entre elles est radicale et cette radicalité prend une ampleur excessive au service d’une exclusion qui sépare le père et la mère dans des représentations totalement opposées.
C’est cette démesure qui me fait penser, assez vite, que la figure du professeur, si massivement investie, condense à la fois l’image de la mère idôlatrée de l’enfance et du père chéri qui lui, continue d’incarner l’idéal. Quel rapport avec le thème de ce colloque, direz-vous ? Voilà une situation classique où le passage à l’âge adulte ravive, dans un second après-coup, celui de l’adolescence et vient, par la voie du déplacement, compliquer la coexistence d’investissements d’objets pluriels. Certes, mais c’est peut-être cette distribution pulsionnelle sur des objets différents qui devient tout à coup difficile, comme si la triangulation devenait insupportable, comme s’il fallait maintenir à tout prix une figure idéale, une figure et une seule puisque c’est bien vers l’unique que tend le narcissisme. C’est la massivité de l’excitation qui retient l’attention, une excitation pulsionnelle portée à son acmé dans sa valence libidinale et érotique et dans sa valence haineuse voire destructrice.
Au cours de notre troisième rencontre, Salomé me confie le vrai motif de son tourment : de manière complètement inattendue, elle s’est sentie passionnément amoureuse de son professeur à la reprise des cours. La peur qu’elle avait éprouvée précédemment s’était brusquement transformée en une irrépressible attraction sexuelle, la mettant dans un état élationnel à la fois excitant et menaçant : la menace cependant est directement associée maintenant à l’angoisse de ne pouvoir satisfaire ses désirs, à l’inquiétude de ne pas vraiment séduire l’objet de sa passion et à l’excitation immense et inapaisable que cette situation engendre. Pour lui, elle est prête à tout abandonner, sa vie d’étudiante, son petit ami, ses meilleures amies, sa famille et même son père. Mais l’aime-t-il ? Est-il prêt, comme elle, à s’engager dans un grand amour alors que sa vie à lui est faite depuis longtemps ? Et ne risque-t-il pas de la rejeter si elle se précipite vers lui corps et âme ?
Elle a bien été rejetée par sa mère, elle croit l’avoir déçue quand elle est devenue une femme : répétition sans doute de la conviction de n’avoir pas été suffisamment satisfaisante quand, dix ans après elle, est né un petit frère, seul garçon après une série de filles, et dont elle est persuadée qu’il est l’unique objet d’amour de la mère. De sa passion ancienne pour elle, entre elles, elle parle avec amertume et résignation. Cependant, je suis frappée par le rabaissement systématique de la mère dans ses propos, très en opposition avec l’idéalisation indéfectible du professeur, comme si cette idéalisation, ayant abandonné son premier objet, s’était massivement déplacée sur un autre, le père évidemment d’abord, puis aujourd’hui le professeur.
Qu’en sera-t-il du transfert avec moi ? C’est l’exaltation qui contamine les séances, une exaltation amoureuse dont l’inflation prend parfois une dimension envahissante et dont l’amplitude m’inquiète : je suis la spectatrice attentive convoquée pour écouter le déploiement de la passion de Salomé, le récit, détail par détail, des rencontres avec le professeur : je sais bien qu’à son insu, elle attend de moi que je la conforte, que je l’assure du bien-fondé de cet amour, que je confirme les indices susceptibles de montrer la réciprocité de cet amour. Je sais bien qu’elle attend de moi que je l’autorise à déployer cette relation incestuelle, dont l’érotisation révèle une excitation insatiable. Cependant, la mort, conjurée en quelque sorte par ces excès d’Éros, n’est jamais très loin : la peur d’être tuée a, certes, disparu des préoccupations conscientes de Salomé ; pour autant, la destructivité inhérente à l’inceste se maintient en se retournant contre le moi. Salomé est aux prises avec un surmoi sévère, exigent et punitif qui s’acharne contre elle-même sauvagement : ce n’est pas la culpabilité de sa passion amoureuse qui est invoquée, ce lien, curieusement ne se fait pas, pas encore en tout cas, et pour l’instant je n’en dis rien ; ce qui obsède Salomé pourrait se comprendre comme un effet de cette culpabilité inconsciente et du besoin de punition : une auto-critique systématique, presque compulsive, sous-tendue par l’angoisse d’être décevante définitivement.
L’exaltation et la destructivité appellent la mélancolie et la manie mais cette fois, c’est surtout à la seconde que j’ai décidé de m’attacher, – non pas au sens psychiatrique mais en termes de mouvement à l’instar du mouvement mélancolique qui m’a si longtemps occupée : à vrai dire, j’avais complètement oublié la phrase de Christian Bobin que j’avais donnée à Manuelle Missonnier pour le programme… En la redécouvrant à mon retour de vacances, et alors que ma conférence était déjà presque terminée, j’ai éprouvé une forte inquiétude : quel rapport entre cette citation et mon propos ? Que venait faire, dans mes associations initiales, cette mère mélancolique ?
Evidemment, comme dans la mélancolie, dans la manie, l’exaltation, l’excitation, mais aussi l’idéalisation ont en commun d’affecter aussi bien les destins du moi que ceux de l’objet. Au départ, il faut bien que l’ancrage maniaque soit formidablement puissant pour résister aux effets des expériences traumatiques et aux ruptures qu’elles engagent : le maintien d’un haut degré d’excitation dans ses formes les plus excessives et totalitaires peut être considéré comme le but de la manie, indispensable au déni. Mais par ailleurs, que sont ces expériences traumatiques ? Faut-il toujours les appréhender en termes de séparation, de perte et de deuil, dans les perspectives classiques qui considèrent la manie comme une réaction à la mélancolie ? Elle se voit alors régulièrement cantonnée à sa place de « défense contre » la séparation, contre la perte, bref contre tout ce qui s’inscrit dans le champ de la dépression et par généralisation outrancière, dans ce que l’on appelle la clinique du vide.
Nathalie Zaltzman1 s’oppose vigoureusement à cette construction théorique réductrice, car dit-elle, pour Mélanie Klein, la perte d’objet n’est jamais consommée dans le désinvestissement libidinal : l’objet demeure indestructible, il reste constamment à réparer, à sauver, à aimer, « Même mort, même abandonné, même périmé, même nuisible et reconnu comme tel par un jugement de réalité, il devra se transformer en 2. De fait, les conceptions « défensives » de la manie laissent une place insuffisante à l’identité, aux identifications primaires et secondaires qui sont les traces, les cicatrices mais aussi les héritières porteuses de résolution de toutes les expériences de perte.
L’ambivalence y occupe une place notable, c’est une évidence, en particulier dans la dynamique conflictuelle qui pourra se déployer grâce à elle. Or, cette ambivalence et ses implications sont massivement masquées par les mouvements maniaques : ils se veulent tout amour, excès d’amour, folie d’amour, autant d’emportements pris par l’emballement de l’excitation et d’une libido déchaînée qui se nourrit d’elle même en croyant tirer sa force de l’objet. La colonisation idéalisante et l’aliénation mutuelle du moi et de l’objet ne souffrent aucun frein, aucune limite qui viendrait signaler les indices même subtils d’une éventuelle déception : ce n’est pas tout à fait ce qui se passe pour Salomé, chez qui je remarque une alternance entre des moments effectivement dominés par l’exaltation maniaque qui fait triompher et le moi et l’objet mélangés l’un à l’autre, et d’autres où la tonalité de l’humeur mais aussi la dynamique des contenus s’inverse par le rabaissement destructeur de l’un et de l’autre tout autant confondus.
Dans cette occurrence, la déception ne concerne pas seulement l’objet déceptif, elle désigne tout autant le moi décevant : l’affirmation de toute-puissance qui caractérise le moment maniaque, n’est rien d’autre que la restauration d’un moi érigé et victorieux, opposé au « pauvre moi » mélancolique. Si l’autre est déçu, c’est que le moi s’est révélé décevant, la part sadique du rabaissement mais plus encore la part destructrice pour le narcissisme rappellent évidemment Deuil et mélancolie : lorsqu’il décrit le mouvement mélancolique, Freud considère la déception par l’objet comme une expérience déterminante dans sa mise en route. C’est aussi au risque de déception par la mère, dès lors que sa sexualité se dévoile, qu’il rapporte la coexistence surprenante de l’idéalisation et du rabaissement, la première venant masquer le second.
Revenons à Salomé : en amont du déclenchement de sa passion amoureuse, la déception se condense autour de plusieurs motifs. La déception par le professeur excité et hors de lui dans la scène avec l’étudiante ; la jalousie et la déception de ne pas être l’objet exclusif de son attention ; la honte et la déception d’être excitée par la scène. Ce sont ces déceptions mortifiantes qui sont balayées par l’exaltation qui proclame haut et fort la réhabiliation de l’objet décevant et partant, du moi qui s’identifie à lui. C’est l’amour alors qui se déchaîne, au sens littéral du mot, dans un mouvement fusionnel encore, confondant l’objet et le moi. La folie de l’amour n’apparaît jamais si vive que lorsqu’elle réalise cette forme particulière de décollement qui l’apparente à la manie. Le principe économique y impose sa loi : la libido retirée de l’objet perdu, retenue par l’acharnement mélancolique, vire en son contraire, libérant de folles quantités d’énergie qui s’attachent de manière relativement indifférenciée à des objets idéalisés, trophiques pour le moi, le temps d’une illusion. La folie de l’amour, celle qui stigmatise l’état amoureux dans ses commencements, ne s’inscrit-elle pas dans cette configuration conquérante ?
Excès d’amour, excès d’Éros ? Quelles articulations avec la destructivité ? Bien sûr, l’emprise des pulsions de mort impose un obstacle sidérant aux potentialités de représentation, ce serait là, d’ailleurs, sa visée destructrice. Mais on peut tout autant signaler les actions délétères d’Éros : il se représente et s’incarne, il désigne le lien malgré tout, le lien malgré tous, c’est là son code de passage, l’habillage qui facilite l’accommodation et le compromis. Cependant, sa démesure, son emballement indifférent, sa masse pulsionnelle témoignent d’un « surcroît d’investissement » dangereux. L’inflation d’Éros est flagrante, et en même temps insaisissable, puisque les frontières sont effacées qui permettraient de dire, « c’est moi ou c’est elle », alors que surgit un « moi/elle » qui ravive inlassablement les traces des identifications primaires : elles montrent l’action empiétante de l’identification au premier objet, à ce premier « autre » que représente la mère – paradoxalement « autre » -puisque mal différencié, mal identifié, un objet mélangé au moi du fait de la disparition des limites ordonnée par le moment maniaque.
C’est là que j’insère la citation de Christian Bobin et mon désarroi lorsque j’ai retrouvé cette phrase que je peux résumer ainsi : pas de trace de mère mélancolique chez Salomé ! Une mère active, réservée, un peu taiseuse, une mère hypervigilante et contrôlante, mais mélancolique ? Et surgit tout à coup un souvenir de notre premier entretien au cours duquel Salomé m’avait beaucoup parlé de sa grand-mère maternelle. Elle avait été très affectée par sa mort, avec la conviction d’avoir perdu la tendresse et la complicité qu’elle ne trouvait pas auprès de sa mère. Et puis, comme en passant, elle m’avait dit que sa grand-mère avait perdu un enfant en bas âge, un fils chéri, et qu’elle en était restée endeuillée toute sa vie… Les voilà qui reviennent, l’enfant mort et la mère mélancolique… et Salomé, en quête de lumière : « On ne louera jamais assez les mères mélancoliques. Leur trône est au milieu du ciel. Elles ont jeté leur châle sur le soleil. Il sort de leurs yeux une nuit si grande que leurs enfants s’émerveillent du plus petit brin de lumière… » Salomé se dispute sans cesse avec sa mère, elle est furieuse, outragée, folle de rage, et sans doute, à son insu, désespérée. Je sens bien, chez elle, une sorte de jouissance à convoquer les scènes quotidiennes entre elles, à la maison, très régulièrement, en séance. Je me dis qu’elle répète avec moi les représentations contrastées de son père et de sa mère, elle me met à la place de son père et peut-être du professeur, car l’idéalisation est forte, qui lui fait regretter que je ne sois pas sa mère. Je me dis aussi qu’elle m’assigne à une place de témoin de ces scènes où on ne sait plus qui attaque qui, laquelle bat le plus fort, laquelle va détruire l’autre.
La colère rebelle de Salomé donne raison à Nathalie Zaltzman3 qui la considère comme un soubassement de l’hypomanie. La mélancolie et la manie sont si proches d’un point de vue topique qu’elles peuvent engendrer deux états d’humeur aussi différents que la douleur et la colère. « Dans la mélancolie les reproches s’adressent indéfiniment à l’ombre de l’objet, source de douleur par sa perte. A qui, à quoi s’adresse la colère du maniaque ? »4. Lorsque le moi est fragilisé, il retrouve les mesures d’autoprotection développées dans des situations d’atteinte narcissique violentes auxquelles l’enfant a été soumis par un parent. Si le moi triomphe, c’est que l’objet est déqualifié et son meurtre accompli, contrairement à ce qui se passe dans la mélancolie : alors, en-deçà de l’exaltation de Salomé, c’est peut-être la colère immense contre l’atteinte narcissique et ses effets mélancoliques qui se déchaîne.
Le processus mélancolique peut prendre fin, soit parce que l’objet finit par être abandonné comme sans valeur parce que déceptif, soit parce que la fureur du moi contre lui-même s’épuise. Mais les deux ne sont-ils pas intrinsèquement associés ? La fureur contre le moi ne se déplace-t-elle par vers l’objet lorsque le mouvement maniaque prend le relai de la mélancolie ? Salomé n’est-elle pas, ne croit-elle pas être fâchée à mort avec sa mère parce qu’elle a cru qu’elle l’était contre elle, déçue, fâchée à mort contre sa fille ? Et n’est-ce pas ce scénario qui s’est répété avec le professeur ?
Mon hypothèse serait que l’exaltation de l’amour maniaque se nourrit de cette énergie, de la colère ancienne contre l’objet et qu’elle entretient un commerce particulier avec les pulsions de mort. L’érotique de l’absence pourrait y trouver ses sources : le déni de la disparition de l’objet qui assure sa pérennité, voire son éternité empêche la reconnaissance des mouvements agressifs et destructeurs dont la violence est passible de mort du fait de la retaliation.
La douleur de la déception constitue le commencement de la mélancolie, elle fomente la condensation de la double perte, perte de l’autre et perte de moi, déclenchée par la conviction d’un abandon irréversible, une défaite de l’idéal. Cela s’impose en contradiction absolue avec un autre point de vue qui affirmerait brutalement que rien, jamais, ne se perd, et que l’unité et la complétude demeurent. Face à ce dilemme, la ruse maniaque agit, avec l’intensité et l’obstination de la compulsion, associant et confondant l’acte et le vivant, l’agitation et le mouvement. La rébellion périodique de la manie ordinaire orchestre les oscillations de la joie et de la douleur, du triomphe et de la culpabilité. Ce sont ces alternances qui empêchent la tyrannie et la culture mélancoliques d’effacer la part libidinale la plus précieuse, la plus volatile, celle de l’intime. L’amour maniaque permet peut-être que cette intimité soit gagnée grâce à la traversée de moments élationnels, grâce à l’exaltation des relations du moi et de l’objet, sans que s’impose une partition de l’aimer et de l’être aimé.
Le fol amour de Salomé pour son professeur s’est éteint. Et sa peur aussi, les cauchemars ont disparu pour laisser place à des rêves érotiques dont les soubassements œdipiens sont clairs. Elle a été brillamment admise dans une prestigieuse université étrangère, elle a décidé de partir, de quitter sa famille (et son analyste) : elle ne veut pas d’une vie ordinaire, elle veut que sa vie lui appartienne, et elle veut la vivre passionnément.
Notes
- Zalzman, N., 1987, « L’épisode hypomane en cours d’analyse. Colère et tabou du meurtre », Topique n°39, Souffrance et mécanismes de défense, p. 29-48.
- op. cit. p. 33.
- Zaltzman, N. 1987, op. cité.
- Zaltzman, N. 1987, op. cité, p. 35.