Vieillir en France
Éditorial

Vieillir en France

La canicule a été révélatrice : la longévité a une face cachée. La longévité actuelle est un fruit de civilisation, à ceci près qu’en améliorant la durée de vie, nous produisons aussi de la fragilité. Sans les efforts collectifs qui prolongent leur existence, nombre de vieillards seraient déjà morts, depuis longtemps, canicule ou pas. Habituellement la fragilité du sujet vieillissant est silencieuse. Elle reste l’affaire des familles et des professionnels qui supportent les malades dépendants. Voici qu’elle enflamme nos écrans comme un incendie médiatique. Certains journalistes se découvrent même une vocation de policiers à la recherche d’incendiaires. Leur empressement à rechercher des responsables – réels ou supposés – aurait-il pour objet d’alléger leur culpabilité face à leurs parents âgés ? Il est vrai que nos vieillards ne savent pas encore vivre sous les tropiques, où un pic de chaleur n’est pas une affaire sanitaire si redoutable : combien de morts en Afrique Noire, en Irak sans eau ni électricité, en Inde ? Assez peu, parce que la chaleur y est connue, qu’on se protège en buvant de l’eau, en portant des vêtements mouillés, en se tenant à l’ombre, en se faisant secourir par ses enfants. La lutte contre la chaleur y est préventive, élémentaire et solidaire.

En août, où étaient les enfants des vieillards déshydratés ? Sur la plage. La France en vacances les a laissés mourir. Difficile à admettre, et pourtant. la véritable défaillance a été beaucoup plus relationnelle que technique. Où sont les sous-développés de l’entraide ?

La France est riche d’un superbe système de santé, mais elle est pauvre en générosité de voisinage. Tous coupables, voilà la vérité difficile à admettre. Et d’aucuns de frapper à la porte du Prince pour lui demander aide et protection. Aurions-nous oublié que le Prince, c’est nous, depuis déjà deux siècles ? Pas seulement parce que nous lui avons coupé la tête par révolutionnaires interposés, mais parce que L’état est devenu une assemblée de copropriétaires, un syndic chargé d’agir sur ordre des citoyens. Dès lors, pourquoi frapper si fort à la porte du palais, comme si un Prince y vivait encore ? Décidément, les soins aux vieillards sont une affaire sérieuse, bien trop sérieuse pour être laissée aux journalistes.

Nous boirons tous la coupe de la mort comme les disparus de l’été, mais en attendant une chose est sûre : si nous voulons vivre assez bien notre vieillesse, choisissons dès aujourd’hui nos voisins de quartier. A nous de décider, canicule ou pas.