« Tu es l’Egoceros, de ego qui veut dire chèvre et ceros qui est la corne » (Opicino, ms. P 20r).
Les œuvres ainsi que les concepts sont empiriques et, comme tels, historiques. Leurs dispositifs de production (culturels, sociaux, psychiques) relèvent d’univers symboliques complexes et hétérogènes. Moins une œuvre est académique, plus est grand le risque d’anachronisme dans son approche, même venant d’un contemporain, car le temps de l’œuvre résiste parfois à toute prise - et le risque s’accroit avec l’éloignement socio-historique du récepteur. Aussi, est-ce avec prudence qu’il convenait d’aborder l’œuvre d’Opicino de Canistris, scribe de la Pénitencerie d’Avignon au XIVe siècle, dont les notes auto-biographiques et les singulières cartes psycho-géographiques, longtemps inaccessibles au grand public, révèlent aujourd’hui à l’œil du XXIe siècle leur insaisissable beauté. C’est avec une telle modestie méthodologique que Sylvain Piron, historien médiéviste, se propose de re-problématiser ce que fut l’œuvre de ce vivant parlant singulier, né à Lomello, près de Pavie, en 1296, passé par la République maritime génoise et mort à Avignon vers 1353, en ses fonctions de prêtre et de scribe pontifical.
En ses pages introductives, l’auteur rappelle « l’effort d’accommodation requis » (p. 7), le « travail de restauration imaginaire » (p. 7) à faire, l’absence de « compréhension spontanée » (p. 7) et la nécessaire déprise des « conventions liées aux habitudes visuelles » (p. 8) pour aborder ce singulier corpus : le savoir de l’historien est ici requis, soit ce que l’on peut reconstituer comme ayant fait cadre psychique et social aux productions d’Opicino. Mais, si le travail d’Opicino intéresse l’auteur, c’est aussi et surtout en ce qu’il n’est pas entièrement réductible aux normes de son temps, en ce qu’il déchire l’étoffe de son savoir d’historien, y laissant…