Alain Braconnier : La première question que l’on aurait envie de vous poser porte sur votre approche anthropologique de la relation humaine. Vous avez même parlé de « méta-anthropologie ». C’est une position qui va dans la continuité de votre travail et qui vous permet de re-questionner la théorie psychanalytique.
Jean Laplanche : Ce que j’appelle la situation anthropologique fondamentale, c’est une tentative de remettre en question ce qui est considéré comme le fondamental en psychanalyse. Par exemple, la question de la situation œdipienne, qui est considérée comme fondamentale; bien sûr elle est historiquement importante, mais est-ce qu’elle fait le propre de l’homme? Je viens d’acheter un livre sur les origines de l’humanité1, le deuxième tome s’intitule Le propre de l’homme. Effectivement, qu’est-ce qui fait le propre de l’homme pour les analystes, est-ce que c’est vraiment la situation familiale et l’Œdipe ? Les anthropologues vont discuter ce qui fait le propre de l’homme : est-ce le langage, le rire, l’outil, etc.
Pour ma part, je suggère que ce qui fait le propre de l’homme – c’est tout au moins ce à quoi j’arrive quand j’essaie de « décaper » un peu le fondamental –, c’est la confrontation, dans leur hétérogénéité, entre l’adulte et le tout petit enfant. Je pense qu’il y a là quelque chose de plus fondamental que la situation triangulaire familiale, laquelle est un dérivé, une façon de mettre en ordre ce qui résulte de cette confrontation adulte et enfant. Ce que j’appelle le fondamental s’appuie entre autres sur la constatation que la famille patriarcale, dans laquelle est née la psychanalyse, n’est quand même pas le propre de toute société humaine, loin de là. Nous avons des sociétés qui fonctionnent tout à fait différemment et qui ne s’organisent pas autour de…