Andy Warhol – Unlimited
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Andy Warhol – Unlimited

Exposition Andy Warhol – Unlimited
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Paris, jusqu’au 7 février 2016

Andy Warhol est un peintre, un écrivain, un philosophe, un cinéaste, mais il a choisi de se faire connaître comme un « business man de l’art » et un communicant provocateur. La provocation fait partie de son système de pensée. Il excelle dans l’art du détournement, de la dérision, du camouflage.

Peintre, il l’est, même un très bon, comme en témoignent quelques œuvres. Mais il a préféré la sérigraphie, le cinéma, et surtout la création d’un art de vivre dans le New York des années 60 dans la fameuse Factory, lieu crée par lui, où il règne comme un roi tout en pratiquant un art qu’il veut populaire. En cela, Warhol est – et se proclame – éminemment américain et son art se veut démocratique. « Je ne crois pas que l’art devrait être réservé à une élite, je  pense qu’il devrait être destiné à la masse des Américains. »

Le clou de l’exposition, c’est la grande série des Shadows de cent huit toiles, exposée pour la première fois dans son intégralité en dehors des USA. C’est elle qui justifie le titre de l’exposition Unlimited. On a pu comparer cette œuvre aux Nymphéas de Monet. L’enjeu n’est-il pas le même ? Rendre compte de la lumière et de la couleur, entrer dans un espace-temps sans limites. Mais, à la différence de Monet qui exalte l’éblouissement émerveillé de la lumière, sur l’œuvre de Warhol plane l’ombre de la mort. Il a connu la maladie (la danse de Saint-Guy à six ans qui l’a obligé à rester longtemps alité) et en 1968 a failli mourir lorsqu’une militante féministe lui a tiré dessus a bout portant.
 
Sa grande affaire, c’est l’image. C’est ce qui l’a rendu célèbre. Les peintres pensent en images. Warhol, lui, pense aussi bien en images qu’en mots. En effet, il a beaucoup écrit et ses textes sont remarquables. C’est un esprit brillant qui pratique la conversation à la manière du 18ème siècle,  qui manipule la langue et les idées avec une virtuosité manipulatrice à la Houellebecq. En le lisant, on sourit tout le temps. C’est drôle. Il prend tout à rebrousse-poil, il s’empare des poncifs, dénonce les idées reçues. Le détail le plus trivial suscite toutes sortes d’idées inattendues.

A-t-il compris qu’il aurait plus de succès en fabriquant des images plutôt que d’écrire des essais philosophiques ? Car il était obsédé par la célébrité qu’il assume sans fausse modestie, tout en la dénigrant avec une mauvaise foi évidente. Je me demande ce que retient de cette exposition le public, le grand public, qui s’y presse. Croit-il l’artiste qui dit : Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, vous n’avez qu’à regarder la surface de mes peintures, de mes films, de moi. Me voilà. Il n’y a rien derrière. » Ou perçoit-il, derrière les apparences, la dépression sous-jacente ?

Comme tout mélancolique, Andy Warhol cultive l’ennui  et exalte le rien. Il pourrait faire sienne la devise du mélancolique : « A quoi bon ? » Le tragique n’est jamais loin, mais il est travesti, recouvert par le frivole. C’est un parfait exemple de la défense maniaque. « On peut rire ou pleurer. Chaque fois  qu’on pleure, on pourrait aussi bien rire, on a toujours le choix ». Warhol illustre la liste de Winnicott  qui énumère les caractéristiques opposées de la dépression et de la défense maniaque. Il joue sans cesse sur les contraires. Il met en balance la surface et la profondeur. Il réalise les Flowers et les Electric Chairs de la série Death and Disaster en même temps, comme s’il n’y avait aucune hiérarchisation des valeurs. « On n’imagine pas combien de gens accrochent le tableau d’une chaise électrique dans leur salon – surtout si les couleurs du tableau vont bien avec celles des rideaux.» La chaise des tableaux est celle dans laquelle Julius et Ethel Rosenberg ont été exécutés.

Simone Korff-Sausse
Psychanalyste SPP