Anorexie et maternité: un ventre plein pour apaiser un ventre vide?
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Anorexie et maternité: un ventre plein pour apaiser un ventre vide?

Anorexie et féminité

L’anorexie mentale est souvent perçue comme étant en lien avec une peur de quitter l’enfance et de devenir femme : un moyen inconscient de suspendre le développement physiologique et psychologique empêchant ainsi le passage à l’âge adulte. L’aménorrhée, symptôme cardinal de l’anorexie, met en exergue ce désir de rester enfant, de ne pas entrer en rivalité avec la mère sur le terrain de la féminité et donc de la maternité. Par la dénutrition et l’amaigrissement, l’adolescente marque le refus du corps sexué, en effaçant tout signe de féminité, gardant ainsi le « contact du et avec le corps de l’enfance, pour une large part indifférencié d’avec le corps maternel » (I. Nicolas, 2009). C’est ce fantasme de « même corps », « corps pour deux », que l’adolescente doit apprivoiser pour pouvoir se réapproprier subjectivement son corps et affirmer sa féminité. Ph. Jeammet (2005) souligne que « l’anorexie signe plutôt l’échec à traduire en termes de castration le trou, le vide. L’anorexique se confronte à un au-delà du défaut phallique : à l’ouverture féminine du corps, à l’immaîtrisable de celle-ci par la psyché ; la présence du trou, son altérité, ne se laissent précisément pas résorber par la référence à l’absence du phallus. L’angoisse devant la génitalité féminine entraîne un déplacement du bas vers le haut, une régression à l’oralité ».

Selon M. Corcos et M.E. Dupont (2008), il y aurait un dysfonctionnement dans les interrelations précoces sous-tendu par « la défaillance du maternel chez les mères de ces patientes, en particulier dans l’investissement du corps autonome, vivant et érotique de l’enfant ». Cette défaillance ne favoriserait pas l’intégration du féminin et favoriserait une organisation sadomasochiste, fixant le sujet à ses objets infantiles. S. Decobert, J. et E. Kestemberg (1972) évoquent ainsi une régression « vertigineuse » chez ces sujets, en ce qu’elle ne rencontre aucun point de fixation et d’organisation au niveau des zones érogènes : « celles-ci, dans leurs modalités spécifiques d’organisation de la relation objectale, sont « inefficaces », « balayées » par le mouvement régressif qui ne trouve à s’arrêter qu’au niveau des précurseurs de la relation avec l’objet et de l’organisation du moi ».

Pour Ph. Jeammet (2004), certaines mères donneraient l’impression d’un amour sous conditions : « si tu es sage, si tu es comme je veux, je vais te montrer mon amour, sinon je me détache ». L’enfant imiterait alors les modèles parentaux plus qu’il ne s’y identifierait, ce qui nécessiterait un minimum d’agressivité pour s’autoriser un droit d’inventaire et rejeter ce qui lui déplaît en eux (elle). La pulsion initiale ne viendrait donc pas de soi mais de l’autre, la mère : c’est le plaire à l’autre qui gouvernerait la vie, et la mère apparaîtrait alors comme partie intégrante du narcissisme de la fille, sur fond de développement d’un faux self. Selon S. Decobert, J. et E. Kestemberg (1972), la mère serait ainsi vécue « non pas comme l’objet d’amour privilégié mais comme cet objet d’amour dont la perte constitue le danger psychique, c’est-à-dire la désorganisation du moi » ; vécue en d’autres termes comme un objet inclus dans le vécu narcissique. L’anorexie viendrait ainsi marquer une rupture à l’adolescence : « dans une distorsion perceptive de l’image du corps, elle considère qu’une partie ou la totalité est trop gros et plus spécifiquement les parties renvoyant au féminin et au maternel » (Corcos et Dupont, 2007).

Anorexie et maternité

M. Bydlowski (2000) : « Si je devais résumer le désir d’enfant, j’utiliserais une charade : mon premier est la volonté d’être identique à ma mère du début de ma vie ; mon deuxième est mon vœu d’obtenir, comme elle, un enfant de mon père ; mon troisième est la rencontre de l’amour sexuel pour un homme du présent ; et mon tout est la conception et la naissance d’un enfant. ». Le désir d’enfant peut donc être entendu comme détenteur d’un double enjeu : l’identification au parent de même sexe et l’achèvement du processus œdipien dans la mise en acte des désirs incestueux. Cependant, l’expérience analytique auprès de patientes anorexiques montre le plus souvent que le changement d’objet, de la mère au père, n’a pas eu lieu. S’instaure alors, avec force, une relation duelle soulignant l’importance des failles narcissiques, du choix d’objet narcissique, des difficultés identificatoires de ces patientes, les fixations prégénitales mettant ainsi en exergue l’insuffisance de triangulation œdipienne. Le désir œdipien de s’unir sexuellement au parent de sexe opposé laisserait donc place au désir préœdipien de (re)fusionner avec le parent de même sexe. L’attrait pour le père, le désir d’en obtenir un enfant, ne pourrait donc pas se mettre en place, ou, tout du moins, serait fortement refoulé : entrer en rivalité avec sa mère, la « renier » pour le père, serait source d’angoisses insoutenables pour la petite fille, tant attaquer son objet narcissique reviendrait à s’attaquer elle-même, toutes deux ne faisant qu’un.

Sur le versant homosexuel de la maternité, enfanter, c’est reconnaître sa propre mère à l’intérieur de soi. Le désir d’enfant sera ainsi marqué par le rapprochement de la mère et de la fille sur le mode sensuel des débuts, avant l’Œdipe. C. Squires (2003) souligne ainsi que « le lien préœdipien est favorisé par l’investissement du corps gestationnel, (…) ce qui est une façon de retourner vers le dialogue corporel des débuts avec la mère. Ce mouvement vers l’intérieur du corps consisterait à rejoindre les contenus maternels internes, alors que les étapes de la constitution œdipienne seraient traversées en sens inverse ». La grossesse pourrait alors renforcer à nouveau le lien mère-fille, si puissant chez les anorexiques : elle serait l’occasion d’un rapprochement, toujours et encore désiré. On pourrait ainsi envisager chez ces femmes « un désir de grossesse pour la grossesse » (M. Bydlowski, 1997), cette dernière s’inscrivant, alors, dans une problématique préœdipienne, traduisant la recherche désespérée de la mère des débuts. En travaillant sur le désir d’enfant chez des adolescentes anorexiques, I. Nicolas (2009) avait d’ailleurs montré que ce désir est de deux ordres : « d’une part le désir de rester enfant, avec le refus du féminin et du maternel qui l’accompagnent, en lien avec le refus de la séparation, d’autre part les fantasmes de grossesse » (renvoyant à la fois au fantasme d’être la femme enceinte et d’être le bébé porté dans le ventre de sa mère). Pourrait-on alors parler d’une mise en acte de ces fantasmes ?

Néanmoins, comme le souligne M.-J. Mouras (2003), « un certain nombre de femmes expriment en fait le désir de grossesse pour l’impression de complétude qu’elle procure, pour prouver à soi, et quelques fois aux autres, qu’elles sont capables de procréer mais elles ne sont pas pour autant prêtes à accorder au bébé le statut de sujet désirant, prêtes à le concevoir dans son altérité ». Il s’agirait alors de confirmer sa féminité sans désir de maternité, la grossesse permettant ainsi d’accéder au statut de femme, si longtemps refusé, et par là d’engager un processus de séparation avec sa propre mère, sous forme d’un compromis : accéder au statut de femme mais refuser le statut de mère, laissant ainsi une part de sa toute puissance à sa propre mère. La culpabilité induite par ce mouvement de prise de distance, via la rivalité affichée, serait ainsi atténuée par le fantasme de ne l’attaquer que partiellement, en ne lui prenant que l’un de ses attributs. Cependant, on ne peut rester sourd à cette résonnance œdipienne, à travers une rivalité, bien que non assumée, tout de même recherchée. De plus, la mise en route d’une grossesse sous-tend l’engagement dans un lien amoureux hétérosexuel, ce qui, comme le soulignent M. Corcos et ses collaborateurs (2008) « apparaît comme un bon indice d’une meilleure adaptation socio-affective et concerne sans doute des patientes moins en difficulté, ou ayant pu s’accommoder en partie de la problématique sous-jacente aux troubles des conduites alimentaires ».

Ainsi, le fait de parvenir à nouer une relation amoureuse satisfaisante, pourrait être envisagé comme constituant une première « étape œdipienne », introduisant la jeune femme à la triangulation, jusqu’ici rendue impossible par la nécessité vitale de maintenir une relation duelle avec son objet narcissique. L’objet amoureux, le conjoint, interviendrait alors comme substitut fantasmatique du père, éloignant la fille de sa mère, réactualisant la problématique œdipienne contournée dans l’enfance.

Dans la continuité de ce chemin de maturation positive, la grossesse pourrait traduire alors la possibilité, à présent, de se confronter aux désirs incestueux et matricides œdipiens, de traiter psychiquement l’excitation liée à l’entrée en rivalité avec la mère, sur le terrain de la féminité et de la maternité, sans angoisse d’être anéantie, détruite, par la séparation que cela implique. En accédant à ce nouveau statut, en s’attribuant le maternel, elle s’opposerait finalement à l’idée que sa mère soit la seule détentrice du pouvoir de procréer. Ainsi, devenir mère pourrait être l’occasion d’un assouplissement, d’un réaménagement, du lien mère-fille, libérant cette dernière de l’emprise exercée par un imago maternel tout puissant. Finalement, le désir et la mise en route d’une grossesse sont-ils le signe d’un travail psychique (remaniement identitaire) ayant un impact « thérapeutique » sur la problématique anorexique ? La qualité du lien mère-fille, au cœur de cette problématique, est-elle susceptible d’être modifiée positivement et durablement, permettant à la fille d’accéder au statut de femme et à celui de mère ?

La rencontre clinique avec Aline & Sophie

a – Quelques aspects méthodologiques incontournables

En collaboration avec l’équipe du Pr. Corcos (Institut Mutualiste Montsouris, Paris), j’ai rencontré plusieurs femmes présentant des antécédents d’anorexie et enceintes de 7/8 mois. J’ai choisi de me pencher plus particulièrement sur deux d’entre elles, toutes deux secondipares, afin d’observer l’évolution du processus de séparation-individuation entre la première et la deuxième grossesse : d’une part, le remaniement identitaire inhérent à la grossesse avait-il eu des effets bénéfiques sur la relation mère-fille lors de la première grossesse, et d’autre part, ces effets, positifs ou négatifs, s’inscrivaient-ils dans la continuité ou non ? Par ailleurs, une recherche menée par H. Riazuelo (2004) est venue appuyer le choix de ce critère de secondiparité dans la mesure où ses résultats mettaient l’accent sur la nécessité de ne pas tirer de conclusions de ce qui pourrait être observé lors d’une première grossesse : « l’expérience de la maternité ne semble donc pas acquise une fois pour toutes avec la première grossesse, et les naissances successives peuvent, elles aussi, entraîner nombre de remaniements ». Elle a ainsi montré que la première grossesse renvoit davantage à un versant incestueux de l’Œdipe, tandis que la deuxième active la rivalité avec la mère sur un versant œdipien plus agressif. Mais encore, le remaniement identitaire inhérent à la grossesse apparaît comme étant moins engagé au cours de la deuxième grossesse, les deuxièmepares cherchant moins à s’identifier à leur mère. Enfin, les désirs d’enfant ou de maternité seraient plus marqués pour les deuxièmepares que le désir de grossesse. Pour finir, je ne pouvais ignorer que, de par l’émergence de la PMA, la procréation a dans une certaine mesure été dissociée de la sexualité, interrogeant les fantasmes d’auto-engendrement. Ainsi, je n’ai pris que des femmes dont la grossesse était spontanée, J. André (1995) soulignant également que « le succès du don d’ovocyte, par exemple, a le « mérite » inattendu pour certaines femmes de briser la filiation biologique avec leur propre mère. L’enfant devient possible parce qu’il ne sera pas le « petit-enfant » de la mère/grand-mère ! ».

b – Quand l’ombre du lien mère-file s’étend sur la grossesse

Les propos recueillis lors des rencontres avec Aline et Sophie m’ont laissé envisager leur première grossesse comme l’occasion d’une tentative de prise de distance vis-à-vis de l’objet maternel, alors que la seconde semble, au contraire, s’être inscrite dans un mouvement régressif visant finalement l’annulation de cette tentative de séparation. La première grossesse, vécue sous le signe d’une certaine béatitude, semble les avoir comblées, certainement de par l’intense sentiment de complétude qu’elle leur a procuré. Pour Aline, bien que la première ait visiblement été motivée par un désir de se séparer, de s’émanciper de sa mère, le mouvement de régression s’est enclenché d’ores et déjà au cours de cette même grossesse, pour ensuite se poursuivre lors de la seconde. Néanmoins, toutes deux semblent ne pas avoir été conscientes de la réalité objective de cette première grossesse en ce qu’elle aboutirait à la naissance d’un enfant. Cette ignorance, consciente ou non, de la finalité de leurs actes, explique sans doute pourquoi, contrairement à de nombreuses femmes souhaitant par la grossesse confirmer leur capacité à procréer ainsi que leur féminité, elles n’y ont pas mis un terme. On ne peut nier que le fait d’être enceinte leur ait permis d’exploiter leur féminité, celle-ci n’en restant pas moins marquée par les difficultés passées à intégrer leur corps sexué. La grossesse aurait donc été un moyen leur permettant de supporter cette identité féminine, nouvelle, expliquant qu’elle n’ait pas été interrompue, un peu comme si elle était un costume permettant d’être une autre : « être grosse, ce n’est pas moi, je peux donc me permettre d’être femme, puisque mon « vrai moi » est mince et non féminin : je me déguise, je joue un rôle, je joue à être une femme ». Ce déguisement a donc été porté le plus longtemps possible en ce qu’il permettait d’apaiser les conflits avec la mère, conflits conduisant au refus d’une identité féminine, finalement, peut-être, enfin désirée : il permettait de détourner la rivalité engendrée par cette identité de genre en étant une autre personne. Cette rivalité était alors tolérée en ce qu’elle se produisait non pas entre la petite fille et la mère, mais entre la femme enceinte et cette dernière.

Cependant, l’arrivée de l’enfant a non seulement mis un terme à cette illusion de pouvoir être une autre, ramenant la femme « devenue mère » à ce qu’elle était « physiquement », neuf mois auparavant, mais l’a également confrontée aux conséquences de cette grossesse : un enfant et donc l’identité de mère. Le refus de cette identité, manifeste chez chacune, vient alors confirmer que l’objectif visé n’était pas un enfant, mais bien un désir de grossesse : revêtir une identité nouvelle permettant de se dégager de l’emprise maternelle par « procuration ». L’enfant aîné semble alors essentiellement investi narcissiquement, souvenir d’une victoire temporaire (celle d’avoir pu, un temps, rivaliser avec la mère) et idéalisé certainement pour ne pas se confronter à la réalité de ce qu’il représente : la preuve vivante, concrète, indéniable, d’une séparation effective avec leur propre mère, d’une rivalité affichée, mais refusée, voire niée : « je ne suis pas mère ». Ainsi, même si la grossesse témoigne, tout de même, d’un désir latent de se libérer de l’emprise maternelle, la séparation n’est que temporaire, source d’une intense culpabilité, de fortes angoisses, mises en exergue par le refus du statut de mère et une féminité mal assumée après la grossesse. La deuxième grossesse apparaît ensuite comme une tentative de réparation (offrir un enfant à leur propre mère pour leur rendre leur statut), une tentative de re-fusionner avec la mère (mise en acte d’un fantasme de « corps pour deux ») et est vécue de manière beaucoup plus conflictuelle, car, cette fois, elles sont conscientes de la réalité de l’enfant à venir, bien que celui-ci ait d’emblée une fonction de réparation. Ce dernier, objets de sentiments très ambivalents, semble porter toute la conflictualité qui relie ces femmes à leur propre mère, témoignant de l’intrication entre cette deuxième grossesse et le mouvement régressif du processus de séparation-individuation activé précédemment. En somme, la première grossesse leur aurait permis d’accéder au statut de femme (de façon plus ou moins temporaire et assumée), et la deuxième à celui de mère, non pas subjectivement dans une identité maternelle pleinement vécue et assumée, mais parce qu’elles sont conscientes qu’elles vont donner la vie (de façon opératoire).

Par ailleurs, en ce qui concerne les conjoints, il semble très clairement qu’ils aient représenté un substitut fantasmatique de leur propre père : pour la première grossesse, il est ainsi décrit comme un objet idéal, à l’image de l’admiration que les petites filles vouent généralement à leur père au moment de l’œdipe. En obtenant un enfant du conjoint, elles auraient inconsciemment obtenu un enfant de leur père, triomphant de la mère. Cependant, cet élément reste à nuancer dans la mesure où, lors de la deuxième grossesse (et même pendant la première, dans le cas de Aline), il s’agit finalement d’annuler cette prise de distance trop douloureuse et conflictuelle pour elles, témoignant d’un retour en-deçà de la triangulation œdipienne. Pour Aline, le conjoint reste malgré tout très idéalisé, ressenti comme très présent, alors que pour Sophie, lors de cette deuxième grossesse, son compagnon apparaît comme étant absent, voire comme un élément persécuteur, par projection, sur lui, de ses sentiments hostiles à l’égard de l’enfant à venir. On peut également supposer que fantasmatiquement, pour cette deuxième grossesse, il porte la responsabilité de cette situation intenable pour elle, en ce qu’il l’aurait mise enceinte.

Conclusion

Pour ces deux jeunes femmes, il semble que la maternité ait été l’occasion d’un remaniement identitaire, certes, mais temporaire : l’attrait de la régression, dans le maintien d’une relation mère-fille fusionnelle, archaïque, étant trop intense pour y résister. La tentative de se séparer, mise en acte lors de la première grossesse, bien qu’elle échoue finalement, traduit, néanmoins, un désir latent de se libérer de l’emprise maternelle. Cependant, face à l’angoisse et à la culpabilité induites par la confrontation aux fantasmes matricides, (ré)activés par cette situation, les capacités de traitement psychique se trouvant débordées, la seule issue possible est celle de la régression à une position archaïque, préœdipienne, rejouant ainsi ce qui s’était passé dans l’enfance lorsque, petites filles, elles s’étaient détournées de la problématique œdipienne, mais aussi à l’adolescence. Ainsi, cette première expérience de la maternité pourrait être entendue comme une (nouvelle) tentative d’élaboration du conflit œdipien, par le biais du conjoint, substitut fantasmatique de leur propre père : être enceinte du père pour pouvoir explorer sa féminité et rivaliser avec la mère, au moyen d’une identité et d’un corps empruntés, temporaires, celle et celui de la femme enceinte. Néanmoins, même si le versant œdipien du désir d’enfant est ici actif, il ne semble pas que l’on puisse parler d’un désir d’enfant, puisque c’est avant tout la grossesse, et la fonction qui lui est attribuée, qui sont visés. Comme le souligne J.-P. Mouras (2003) concernant les grossesses adolescentes, il semble que l’on puisse parler d’un désir œdipien mal assumé, tant la deuxième grossesse (voire le vécu de la première) vient mettre en exergue une fixation à la mère préœdipienne, sur un versant homosexuel, narcissique, du désir d’enfant (retrouver la mère des débuts ou encore se racheter, en lui offrant un enfant idéal, à défaut de l’avoir été elle-même). Ainsi, la grossesse est certes l’occasion d’un remaniement identitaire important, mais il ne semble pas que nous puissions conclure à des effets thérapeutiques durables et positifs sur la relation mère-fille.

Cependant, il aurait été pertinent de poursuivre cette recherche en suivant ces deux femmes dans les années à venir, afin de voir ce qu’il en aurait été des interactions précoces mère-enfant et de la relation mère-sa propre mère : celle-ci serait-elle susceptible d’être réaménagée, une fois le deuxième enfant mis au monde et « offert » en signe de réparation ? Par ailleurs, en continuant à rencontrer régulièrement ces femmes, dans le cas où une troisième grossesse se dessinerait, cela permettrait de suivre, dans l’ici et maintenant, le cheminement qui les conduirait à ce désir. Enfin, compte-tenu de la complexité de ce qui se joue au cours de cette période périnatale pour les femmes présentant des antécédents d’anorexie, du taux élevé de décompensations dépressives dans le post-partum et des implications en termes de qualité de la relation mère-enfant, il semble évident que cette population nécessite une attention particulière lors de l’accès à la parentalité. Des études ultérieures, et plus poussées, seraient donc les bienvenues, afin d’envisager des stratégies préventives permettant de les accompagner au mieux, non seulement lors de la grossesse, mais également lors de la rencontre avec l’enfant et de la mise en place des premières interactions.

Notes

André, J. (1995), Aux origines féminines de la sexualité, Paris, PUF.

Bydlowski, M. (2000), Je rêve un enfant. L’expérience intérieure de la maternité, Odile Jacob.

Corcos, M., & Dupont, M.E. (2007), Approche psychanalytique de l’anorexie mentale, Nutrition Clinique et Métabolisme, 21, 190-200.

Corcos, M., Lamas, C., Pham-Scottez, A. & Doyen, C. (2008), L’anorexie mentale, déni et réalités, Rueil-Malmaison, Doin.

Decobert, S., Kestemberg, E., Kestemberg, J. (1972). La faim et le corps, Paris, PUF.

Jeammet, Ph. (2004), Anorexie et boulimie : Les paradoxes de l’adolescence, Paris, Hachette.

Jeammet, Ph. (2005), « Gérer la distance relationnelle aux objets d’attachement : une tâche essentielle de l’adolescence » In A. Braconnier (Ed.), L’adolescence aujourd’hui (pp. 11-20), Ramonville Saint-Agne, Erès.

Mouras, J.P. (2003), « A propos des maternités adolescentes », in Brun C., Gilbert V., Jouinot P., Lamour M., Mouras M.J., Mouras J.P., Polack-Cornillot M., La périnatalité, Paris Bréal, Collection Amphi Psychologie, chapitre 3, p. 70-90.

Mouras, M.-J. (2003), « Clinique de la périnatalité », in Brun C., Gilbert V., Jouinot P., Lamour M., Mouras M.J, Mouras, J.P, Polack-Cornillot M., La périnatalité, Bréal, coll. Amphi Psychologie, chapitre 2, p. 37-68. Nicolas, I. (2009), « Désirs d’enfant et adolescence anorexique ». In André, J., Chabert, C., Daubech, J.-F., Giuffrida, A., Guyomard, P., Karla, S., Nicolas, I., Squires, C., Désirs d’enfant, Paris, PUF, chapitre 5, p. 85-100.

Squires, C. (2003), « Et si c’est une fille ? », in André J., Nestour, A., Faure-pragier, S., Rousseau-Dujardin, J., Squires,C., Fédida, P., Mères et files, la menace de l’identique, Paris, PUF, chapitre 5, p. 119-140.

Riazuelo, H. (2004), « Les spécificités de l’attente d’un second enfant » in Missonnier, S., Golse, B. & Soulé, M. (sous la direction), La grossesse, l’enfant virtuel et la parentalité, Paris, PUF, p. 145-160.