Bion — […] En analyse, nous nous intéressons à quelque chose qu’on pourrait, au bout du compte, exprimer en termes très cérébraux. Dans la pratique, cela dit, ce n’est pas comme ça que la chose se présente. Voilà, entre autres, pourquoi nous devons accepter que les patients n’arrivent pas chez nous avec des petites étiquettes collées sur eux, indiquant “maniaque”, “dépressif”, “maniaco-dépressif”, “schizophrène”... Non pas que ces scories ne méritent pas notre attention, [mais] on ne peut se permettre de rejeter nos conjectures imaginatives sous prétexte qu’elles ne seraient pas scientifiques – ou alors pourquoi ne pas se débarrasser des graines d’une plante sous prétexte qu’elles ne sont ni un chêne ni un lys, mais je ne sais quel machin ? C’est pareil pour tout ce qui se passe dans votre cabinet d’analyse.
Et considérez-le plutôt comme votre atelier, non pas comme votre cabinet d’analyse.
Ça en vaut la peine. Quel genre d’artiste êtes-vous ? Êtes-vous un céramiste ? Un peintre ? Un musicien ? Un écrivain ? D’après mon expérience, un grand nombre d’analystes ne savent pas vraiment quel genre d’artiste ils sont.
Question — Et s'ils ne sont pas des artistes ?...
Bion — Dans ce cas, ils n’ont pas choisi le bon métier1.
Psychanalyste britannique, né en Inde, contemporain de Donald Winnicott et d’André Green, analysant de Melanie Klein, mais tout d’abord de John Rickman (considéré par Jacques Lacan comme l’un des meilleurs analystes britanniques de l’époque), Wilfred Ruprecht Bion (1897-1979) est sans doute l’auteur psychanalytique ayant le plus solidement posé les bases d’une psychanalyse contemporaine – celle qui viendra renouveler les apports de Sigmund Freud et des postfreudiens, en cultivant les champs au-delà des névroses, en incluant le tiers dans la dualité interne de la séance, et en étendant les idées psychanalytiques au monde social.