Avons-nous renoncé ?
Éditorial

Avons-nous renoncé ?

Dans toutes les sociétés, l’identification à l’enfant petit n’a jamais été un processus allant de soi : l’enfant ne parle pas ou trop peu ; il ne peut exprimer l’ampleur de sa colère, de sa tristesse, de son angoisse ; surtout, il « appartient » à ses parents. La douleur qu’il peut ressentir en cas de maladie, et la réalité des maltraitances physiques, n’ont été reconnues que très tardivement. Pour la maltraitance psychique, souvent involontaire de la part de parents ayant vécu une enfance désastreuse, le déni est encore pire. Ils seraient rares, ces enfants devenus déficients intellectuels, ou violents, ou atteints de troubles psychiatriques. Une méthode simple permet cette affirmation : il suffit de ne pas évaluer précisément leur état quand ils sont nourrissons (alors qu’il existe, pour cela, des tests précis comme le Brunet Lézine), de ne pas prêter attention à des signes précoces de violence extrême dès que l’acquisition de la marche libère leurs mains, et de se réfugier derrière « les droits des parents ». Ceci se pratique à tous les niveaux du dispositif institué de protection de l’enfance.

En somme, la sauvegarde du développement affectif et intellectuel de l’enfant a peu d’intérêt pour notre société. Mais pour un spécialiste de la vie psychique du tout petit, la seule question qui compte est : comment va l’enfant réel ? Notre tâche n’est pas seulement de travailler sur l’après coup, de soigner, mais aussi d’empêcher et d’arrêter les coups psychiques qui laissent des traces souvent irréversibles. N’avons-nous pas trop renoncé devant l’immensité de la tâche ? N’utilisons-nous pas l’aspect « social » de ces situations pour nous défausser de leur dimension psychique ?