La première fois que le nom de Myriam David et la spécificité de son travail m’ont interpellée a été la rencontre avec l’un de ses textes, corédigé avec Geneviève Appell, qui décrivait les interactions mère-enfant de trois bébés suivis dès la maternité, puis à leur retour au domicile familial. D’emblée, la finesse de l’observation, l’authenticité de l’intérêt porté à ces bébés et à leurs mères, la sympathie que suscitaient les auteurs pour ces dyades relationnelles, la limpidité du texte rendaient accessibles les données et les conclusions de l’étude : à savoir qu’on trouvait un lien incontestable entre les modalités d’expression et d’échange utilisées élective-ment par les mères et celles que leur bébé développait en retour. On se sentait devenu plus intelligent de l’avoir lue. Je l’ai connue en personne en 1979, époque où j’étais engagée dans un travail hospitalier de psychiatrie adulte. Rendez vous est donc pris au Centre Alfred Binet, où vient vers moi une dame de taille moyenne aux cheveux très blancs, et au regard bleu très vif, souriant et malicieux, accueillante et chaleureuse. Elle me fit l’honneur de m’inviter à venir travailler avec elle puis de lui succéder dans sa responsabilité de médecin directeur du Centre familial d’action thérapeutique qu’elle avait créé, poste que j’ai occupé durant les vingt années qui suivirent, de 1979 à 1999. Si je pense à ce qui m’a toujours le plus frappée dans sa pratique, c’est son amour, son intérêt, son émerveillement face à tout enfant, et son attention sans failles portée au développement de l’enfant et à tout ce qui peut le favoriser, sans exclusive et sans mépris. La matérialité du quotidien, la vie du corps et la vie psychique étaient pour elle étroitement liées et méritaient le même soin et la même réflexion. Je l’ai vue passer de longs moments avec une assistante maternelle pour réfléchir à la meilleure manière d’habiller un enfant sur le point de rencontrer ses parents. Elle a ainsi été à l’origine d’une clinique et d’une théorisation qui restent révolutionnaires encore aujourd’hui, par leur manière d’intégrer dans une même pratique les données du monde matériel et celles de la vie psychique.
Fondamentalement, M. David se référait à la théorie psychanalytique, à ses auteurs et à ses concepts dans son élaboration de la clinique du placement familial, la première institution qu’elle ait créée, en 1966, pour y accueillir, au sein de familles d’accueil recrutées dans ce but, des enfants mis en danger par une vie commune avec des parents psychiquement trop perturbés pour élever leur enfant sans lui faire encourir des risques graves, d’ordre physique et psychique. Le travail sur la séparation, dont elle n’avait pas peur, contrairement à beaucoup, car cela lui apparaissait comme le préalable indispensable d’un soin possible, a été l’une des originalités de sa réflexion et de sa pratique dont elle a tiré un livre que tous les professionnels de l’enfance considère comme une référence essentielle. (Le placement familial de la pratique à la théorie, éd. Dunod, 2004)
Elle avait la capacité rare de prendre une distance intellectuelle tout en sachant s’engager affectivement et matériellement. Je l’ai vue, après une journée de travail, partir à huit heures du soir avec la psychologue référente de l’enfant, à la recherche d’une adolescente fugueuse dont elle était le médecin consultant. Elle n’était rigidifiée par aucun dogmatisme, grâce à quoi je pus venir travailler dans son institution, quoique initialement de formation psychanalytique lacanienne. Elle s’autorisait une grande ouverture : théorie de l’attachement, étude des interactions, travail avec l’observation, son fil rouge consistant dans l’attention portée à la clinique de l’enfant qu’elle ramenait régulièrement au centre du débat. “Et l’enfant ?” était son maître mot. Sensible à la souffrance de l’enfant, non jugeante, en particulier vis à vis des parents si maltraitants fussent-ils, pleine de compassion et ayant peut-être ramené de son expérience des camps ce questionnement qu’elle m’a parfois exprimé: “est-ce que nous savons ce que nous aurions fait à leur place, dans leur situation ?”. Elle avait le don de susciter en chacun de ses collaborateurs le meilleur de lui-même par sa bienveillante écoute et par son analyse constructive. Espérons qu’elle n’a pas emporté avec elle cette meilleure part de nous-mêmes, même si, comme chacun le ressent peu ou prou, nous sommes tous un peu orphelins aujourd’hui. Il nous reste à continuer à travailler dans le fil de sa pensée.