Chère Myriam (David)
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Chère Myriam (David)

Chère Myriam,

À l’évocation de mes années de travail avec vous à l’unité de soins spécialisés à domicile de la fondation de Rothschild, l’émotion m’envahit. Vous êtes si présente dans nos pensées. Lorsque je vous ai rencontrée en 1979 pour la première fois, sur les conseils de Serge Lebovici, ma participation à une recherche sur les relations de parents maniaco-dépressifs avec leurs bébés, aux USA, avait éveillé mon intérêt pour les interactions précoces. Vous m’étiez inconnue. D’emblée, votre souci permanent d’aller à la rencontre des plus démunis dans les relations humaines, la qualité de votre écoute et votre attention à l’autre m’ont touchée. Nos échanges, passionnants, me confortèrent dans mon choix de travailler avec les bébés et avec vous à l’Unité, dans une double optique de clinique et de recherche.

J’ai réalisé, après bien des années, avec quelle bienveillante prudence vous m’aviez introduit à ce monde relationnel si particulier des bébés et des parents en grande détresse, pas à pas.

– Ce fut d’abord par la recherche sur les familles carencées. Patiemment à partir d’entretiens avec chacun des soignants de l’équipe, vous rassembliez les pièces du puzzle. Vous nous faisiez aller plus loin dans la compréhension des relations mère-enfant, pour prendre la mesure de la complexité de la pathologie du lien. Ainsi, au-delà de l’apparente pauvreté des interactions, vous mettiez en évidence l’alternance d’explosions interactives et de temps relationnels désertiques qui m’ont fait ressentir que ces bébés avançaient en terrain miné et se retiraient peu à peu de cette guerre relationnelle, en se rendant inapparents, devenant ces enfants vides, que vous avez la première si bien décrits.

Votre honnêteté intellectuelle et votre rigueur vous entraînaient hors des sentiers battus : l’expérience clinique questionnait sans cesse la théorie, jamais figée.

Vous avez eu l’audace et le courage de dire, à l’encontre de l’opinion générale et bien avant les autres :

  • Il faut traiter simultanément corps et psychisme sans les opposer ;
  • Un bébé n’est pas un thérapeute et peut rendre fou ;
  • Le rapproché peut désorganiser ; la distanciation peut soulager ;
  • La mise à distance du bébé par la mère n’est pas uniquement de la négligence ; la mère tente ainsi de protéger son bébé de ses propres mouvements pulsionnels violents et de se protéger de la désorganisation induite par le rapproché avec son enfant ;
  • Tout placement se doit d’être thérapeutique ;
  • Pour s’humaniser et se développer, tout enfant a besoin d’un lien affectif continu, stable et fiable avec la personne qui lui prodigue les soins.
  • Ce furent ensuite les rencontres au centre de PMI du bd Masséna où je me joignais à vous chaque semaine.
  • Avec quelle minutie, vous vous attachiez à reprendre avec nous la vie quotidienne du bébé, tous ces petits riens qui le construisent et qui permettent le tissage des liens. En “déroulant” ces observations avec vous, le bébé reprenait vie autrement, avec son activité propre, sa détresse et ses compétences. Et seulement alors, le soin était pensé, ajusté au plus près de ses besoins. Vous nous faisiez faire de la dentelle, disions-nous souvent.

Je me souviens de ces synthèses, où nous arrivions angoissés, tendus, en désaccord. Alors là Myriam, magistralement, avec respect et beaucoup d’empathie pour chacun, quelle que soit sa place et son rôle (sans hiérarchie dans la compréhension de l’autre !) vous interveniez et tout s’éclairait ; vous redonniez à nos vécus une valeur sémiologique favorisant ainsi notre identification aux parents et au bébé, dans le souci de réanimer notre empathie tant à l’égard de la famille que des professionnels.

Non seulement vous révéliez les compétences du bébé mais aussi les nôtres !

Vous entendre évoquer, dans des moments exceptionnels et bouleversants, votre expérience concentrationnaire, m’a permis de réaliser d’où vous venaient votre empathie aiguë et votre sensibilité à toutes les détresses engendrées par les séparations, l’exclusion et la déshumanisation, détresses qui s’inscrivent si profondément dans le corps, dans le cœur et dans la psyché.

Myriam, pour la dernière fois, je voudrais vous dire ma gratitude pour l’inestimable richesse de ce que vous nous avez transmis et qui ne cessera jamais d’habiter notre pratique.