Voyez le succès constant des faits divers dramatiques, pourvu que le cocktail violence, sexe et sang soit bien dosé. Regardez les chiffres de vente des journaux, magazines et livres qui les offrent en pâture aux lecteurs. Écoutez ce qui anime le plus les conversations. Considérez le nombre de professionnels qui s’occupent de prévenir, soigner, sanctionner, juger, éduquer et réinsérer celles et ceux qui en sont les acteurs. Le public est toujours aussi important en nombre au rendez-vous de l’horreur. À chaque fois, le scénario est identique : la
simplification abusive de ce qui peut générer les faits criminels ; la réaction immédiate et l’émotion remplaçant la réflexion ; la recherche d’un responsable ; et l’adoption de « mesures » ou, mieux encore, d’un nouveau texte de loi qui garantiront le « plus jamais ça »…jusqu’au prochain épisode. Il ne sera pas dit que rien n’a été fait ! Pour les spectateurs fascinés autant qu’horrifiés, il importerait d’identifier chez l’autre ce qui les inquiéterait et les troublerait le plus, de tenter de se rapprocher des émotions que peuvent éprouver aussi bien la victime que son agresseur : le « happy slapping » en est un exemple chez les adolescents qui cherchent à déceler la peur chez la victime d’une agression filmée par téléphone portable, phénomène proche de la une de certains journaux télévisés ou papier, comme seule manière de rendre compte des sentiments extrêmes, de l’effroi et de la haine ?
Heureusement, il y a encore les fictions fort prisées de tous temps (pièces de théâtre, romans policiers, films) qui s’appuient sur ces ressorts : ne sont-elles pas souvent en deçà de la réalité -quoique- ? Ne sont-elles pas plus aptes à donner accès au fonds sadique, violent et haineux de chacun sans omettre, sauf à supprimer tout suspense, de rendre compte de la subtilité et de la complexité de l’âme
humaine autant que de sa sauvagerie.
Ne favorisent-elles pas la possibilité de composer d’autant plus avec cette complexité que ce n’est pas « pour de vrai » ?