Quitter son pays, soudainement, quand celui-ci se trouve en plein désastre, ne peut être qu’un traumatisme surajouté pour tous les enfants qui ont vu leur pays s’effondrer – au sens propre comme au sens figuré. Quitter Haïti en catastrophe pour être accueilli par sa future famille d’adoption, à l’autre bout du monde, pose encore davantage de problèmes, car mal quitter son pays d’origine, ne prépare en rien à bien arriver dans son pays d’accueil.
Qui peut dire si ces enfants ne s’en voudront pas toute leur vie d’avoir abandonné leurs familles de naissance ou les adultes qui prenaient soin d’eux, dans des souffrances qui leur auront été, à eux évitées, mais au risque de se sentir coupables d’être rescapés, honteux d’être survivants ? Certes, il est heureux que ces adoptions aient pu, en dépit de tout, être menées à bien. Mais n’aurait-on pas pu laisser un petit peu plus de temps au temps, afin que les enfants en instance d’adoption aient le temps de penser, de parler et d’écouter, urgence absolue, peut-être, avant même que de partir ?
Si l’on a su envoyer plus de 15000 soldats pour maintenir un semblant d’ordre social, n’aurait-on pu trouver quelques centaines de personnes aptes à parler aux enfants, à mettre des mots sur les images, et à offrir les gestes susceptibles de restaurer leur confiance dans la relation. Mais peut-être est-ce là trop demander …
La précipitation, par essence, arrive toujours la première ! Il n’y a jamais d’urgence à partir mal, et tout enfant, quel que soit son âge, a le droit de comprendre ce qui arrive, ce qui lui arrive.
Face à une catastrophe naturelle venue redoubler la catastrophe première de l’abandon, les souvenirs futurs ont d’abord besoin de temps pour devenir tout simplement possibles. Vouloir absolument protéger les enfants de cette étape, ne traduit, sans doute, que la peur des adultes des enfants qu’ils craignent eux-mêmes d’avoir été, et qui fonde l’impossibilité du renoncement des adultes à leur ambivalente volonté d’emprise sur les enfants. D’un tremblement de terre à l’autre, une fois de plus, hélas, l’amour risque de faire ses ravages, ou plutôt l’amour mal compris !