Esquirol et Marcé : contribution à la Psychiatrie de la grossesse
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Esquirol et Marcé : contribution à la Psychiatrie de la grossesse

Revenir à Esquirol et Marcé à l’heure du mouvement « anti DSM » peut paraître une provocation, voire une manœuvre politique plus qu’un retour à l’histoire et à la nosographie, aujourd’hui, bien malmenée. Les progrès considérables de la médecine depuis le XIXème siècle, tant sur les plans pharmacologique que psychanalytique, ont profondément transformé la clinique et sa compréhension. A l’heure où prévalent l’épidémiologie, la statistique, l’évaluation, la mensuration, la quantification, donnant une caution de « scientificité », à « l’art de soigner », le « retour à la clinique » – en référence à la pensée innovante de Louis-Victor Marcé – a une importance considérable. En effet, son œuvre originale est une référence fondatrice dans les champs qu’elle ouvre autour de la grossesse, de la maternité et du jeune enfant, constituant aujourd’hui la « périnatalité psychique », qui a également bénéficié des progrès de la psychothérapie institutionnelle.

Aujourd’hui, avec les feminin studies appelées chez nous, « études de genre », médecine, psychopathologie et santé mentale enfin « sexuées » se déclinent désormais au féminin. Depuis que « l’enfant est une personne » et du fait de la baisse de la natalité en pays développés, sa santé – mentale en particulier – intéresse les politiques et les divers spécialistes qui veillent sur son berceau jusqu’à l’adolescence qui fascine et effraie par le retour parfois violent de l’émergence pulsionnelle du corps pubertaire. Aujourd’hui, l’enfant – fût-il jeune – intéresse d’autant plus l’industrie pharmaceutique que le seuil de tolérance de ses parents – du fait, entre autres, des mutations socio-économiques et familiales – semble amoindri. L’enfant peut être un consommateur précoce et privilégié de « calmants » en tous genres à la faveur d’un comportement « troublé » comme le « déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité ». La psychopathologie périnatale a largement enrichi celle de l’enfant et de l’adolescent ouvrant des perspectives de prévention – non pas celle qui consisterait à « dépister la délinquance chez le bambin de 3 ans » – mais pour attirer plus précocement l’attention sur sa souffrance, en évitant toutefois le risque de médicalisation du relationnel et de l’interpersonnel.

La santé mentale périnatale se situe à l’interface de nombreuses disciplines : psychiatrie, obstétrique, médecine familiale et pédiatrie. Les affections psychiatriques du peripartum constituent la plus commune des complications de la naissance, et la dépression est aujourd’hui un problème majeur de santé publique. Il convient donc d’améliorer la reconnaissance de la maladie mentale comme fléau clinique répandu et pourtant encore bien méconnu ou même dénié. Il convient donc d’améliorer la recherche dans un contexte d’interdisciplinarité en santé mentale périnatale dans le but de favoriser le traitement précoce de la souffrance des femmes enceintes et réduire ainsi les pronostics néfastes pour leurs enfants ; ce qui passe par la promotion de la formation des professionnels.

C’est dans un tel contexte que se manifeste une opposition grandissante au système DSM – et non à la nosographie – qui conduit en particulier à la disparition des références de la psychiatrie française traditionnelle où la psychopathologie s’est considérablement enrichie par l’apport freudien. Depuis plus de deux ans, une Initiative pour une Clinique du Sujet : STOP DSM a joué un rôle majeur dans la mobilisation tant nationale qu’internationale contre la pensée unique du DSM et une psychiatrie à visée essentiellement pharmacologique.

Aujourd’hui, la fréquentation des congrès professionnels, comme la lecture de la presse spécialisée témoignent de plus en plus de l’écart entre la psychiatrie classique « à la française » et la nomenclature en cours ; qui paradoxalement était faite, à l’origine, pour favoriser les échanges internationaux et la recherche scientifique par l’adoption d’une langue unique. Il s’agissait pourtant d’instaurer un nouveau langage favorisant la communication entre cliniciens et chercheurs, dans une initiative de mondialisation de la psychiatrie, également soutenue par l’Organisation Mondiale de la Santé. Cela n’est pas sans rappeler une initiative – symbolique – similaire rapportée dans le récit biblique de la tour de Babel qui s’est terminé par l’échec que l’on sait et la multiplication des langues. Les classifications en cours répondent à une idéologie essentiellement organiciste des troubles – de la circuiterie – psychiatrique, ce qui implique une réponse pharmaceutique le plus souvent univoque.

Il convient donc de se mettre au travail en incluant les psychanalystes pour promouvoir enfin une « clinique du sujet » et ce, au-delà des groupes de pression pharmaceutiques, économiques, financiers… A l’instar du remarquable travail de Roger Misès et de ses collaborateurs dans la Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent, il convient à présent d’élaborer une Classification des Troubles Mentaux chez l’Adulte, à visée alternative au DSM, s’inspirant du travail considérable de l’école française de psychiatrie. D’où l’intérêt de revenir aux classiques Esquirol et Marcé entre autres.

Jean-Étienne-Dominique Esquirol (1772-1840) était l’élève préféré de Pinel. Marcé (1862) a comparé le travail de ces deux fondateurs de la psychiatrie universitaire. Pinel corrigea de graves abus et revendiqua, au nom de la médecine, de malheureux malades regardés jusque-là comme des coupables et abandonnés à la brutalité de leurs geôliers. Esquirol a également travaillé dur pour améliorer la condition de vie dans les asiles, et se consacrer à la description des symptômes. Dans sa thèse (1805), Des passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation, il soutient que l’étude des émotions est au fondement de l’étude de la folie.

Marcé lui rend l’hommage suivant : son remarquable talent d’observation, son tact exquis, sa nature aimable et bienveillante, son dévouement sans limites, sa vaste expérience, les élèves nombreux qu’il attire autour de lui … lui donnèrent une influence et une autorité dont il usa pour provoquer dans toute la France d’importantes améliorations en faveur des aliénés. En 1817, il commença le premier cours français de psychiatrie à l’origine de son texte Des Maladies Mentales considérées sous les Rapports Médical, Hygiénique et Médico-légale (1838). Ses publications sur la psychiatrie de la grossesse ont débuté par une note du dictionnaire de 1816, où il déclare avoir vu 51 femmes malades à la Salpêtrière, dont certaines devenaient folles après la naissance de leur enfant. En 1818 et 1819, il publia deux articles à l’appui de cette thèse. Il donne des statistiques détaillées des admissions à la Salpêtrière en 1811-1814. Bien que Haslam (de Bethlem) et Rush (de Pennsylvanie) aient déjà publié leurs chiffres, ceux d’Esquirol étaient plus détaillés : 92/1.119 patientes internées étaient devenues aliénées après la naissance d’un enfant. Il constatait que ce taux était plus élevé si le commun dénominateur concernait des femmes de moins de 50 ans – un tiers des admissions étant au dessus de cet âge limite ; 29 étaient célibataires. Ces patientes étaient hétérogènes sur les plans du moment de survenue de l’accès et du tableau clinique. Seules 37 ont commencées avant le 15e jour, et 49 souffraient de manie. Le taux de guérison (60%) était bien plus élevé que le taux général (34%) et celui de mortalité beaucoup plus bas (7% contre 29%). Il admit également des causes émotionnelles. D’autres causes incluaient des antécédents (non-puerpéraux et puerpéraux) et l’hérédité. Bien qu’il ne donnait pas de chiffre pour l’histoire familiale, elle figurait dans plusieurs de ses observations, et il recherchait très clairement des informations à ce sujet. Cela n’avait été mentionné qu’une seule fois auparavant – par Joannes Aegiddi Euthii, au 17ème siècle.

Ces 3 publications (1816, 1818 and 1818) donnent des comptes-rendus détaillés de 20 cas, qui comprennent deux patientes avec des épisodes dans le prepartum : une psychose éclamptique, un délire aggravant un abcès du sein ; quelques cas de dépression et 12 cas dans le post partum. Ils comprennent plusieurs cas d’intérêt presque unique :

  • Une femme a eu son premier accès maniaque (durant environ 2 semaines) lors de sa nuit de noces, le second, au premier jour de la conception, et de même à sa seconde grossesse.
  • Une femme devint aliénée à la faveur de ses 5 grossesses successives, dont elle guérissait à chaque fois lors de l’accouchement.
  • Une femme, dont la mère, la fille et la petite fille ont toutes souffert de maladies mentales, a eu des épisodes après 10 des 13 grossesses commençant avec la quatrième, et deux après la ménopause.
  • Une femme, dont la sœur souffrait de psychose puerpérale, a eu 13 épisodes puerpéraux (épargnant seulement la 2e grossesse), suivis de 2 épisodes non-puerpéraux, l’un avant la ménopause à la faveur d’une maladie fébrile, l’autre après la ménopause, à la faveur du décès de son mari et de son emprisonnement.
  • Une femme a développé une manie 3 jours après la naissance de son premier enfant, une hypomanie à chaque printemps, une autre attaque de manie lors de l’allaitement de son deuxième enfant et un 4ème épisode le lendemain d’une fausse couche (4 différents facteurs déclenchant).

Louis-Victor Marcé (1828-1864) a été le premier à écrire un compte-rendu complet de la folie des femmes enceintes, une tâche qui a fait peu d’émules. Cependant, dans sa brève carrière, il a accompli bien plus que cela. Avec la chirurgie à l’esprit, il écrit sa thèse de doctorat à la Faculté de Paris sur les kystes spermatiques (1856). Sa seconde thèse, présentée lors du Concours pour l’Agrégation (section médecine et médecine légale), traite Des altérations de la sensibilité, une revue essentiellement neurologique des troubles de la sensibilité. Entrant en compétition entre autres avec Charcot, il remporta le prix. Dans son second ouvrage, plus important, il passe en revue l’ensemble de la psychiatrie, donnant un vrai compte rendu de l’état de la science à ce moment. Il donne en particulier une place substantielle : à la paralysie générale, l’idiotie et le crétinisme, l’épilepsie, l’hystérie, la chorée, la pellagre et l’alcoolisme, aussi bien qu’à la manie, la mélancolie et les troubles bipolaires.

Bien que le daguerrotype fut introduit dès 1839, aucune photographie de Marcé n’a cependant été retrouvée. L’éloge écrit par son ami Laborde (1865) en donne ce portrait : [Il était] de taille moyenne, d’une constitution physique délicate, sa tête vaste, son front haut et large, portaient le signe révélateur de l’intelligence. Sa physionomie fine et spirituelle respirait surtout la bonté. Une légère teinte mélancolique, répandue sur ses traits pâlis par le travail, révélaient son penchant à la méditation. L’affabilité et la bienveillance étaient peintes sur son sourire, et si parfois ce sourire était traversé par une légère expression d’ironie, celle-ci était puisée à la source la plus innocente et la plus pure.

Marcé est né à Paris, fils unique d’un père qui décède quand il avait 6 ans. Il a trouvé un second père en la personne de son cousin, Dr A. G. Marcé, professeur de médecine à Nantes où il a lui-même obtenu son diplôme en 1851. Il s’installe à Paris, où il subvient à ses besoins en qualité d’enseignant, ce pourquoi il avait du talent, selon la description qu’en fait Laborde : Chez Marcé, l’exposition orale était facile, précise sans sécheresse, et toujours claire ; une sage modération dans le débit et une accentuation parfaite suppléaient avantageusement à la faiblesse naturelle de la voix très perceptible, néanmoins, et d’un timbre doux et agréable. L’art de présenter le sujet traité sous les faces les plus intéressantes lui était familier ; mais il avait surtout cette sûreté de méthode qui, alliée à la solidité de l’instruction, tout en facilitant le but poursuivi, sert merveilleusement l’orateur.

L’un de ses élèves était le fils de Théophile Jules Pelouze, un professeur de chimie qui a travaillé sur les explosifs (et enseigna à Alfred Nobel), tout en étant un expérimentateur et plus tard président de l’Hôtel de la Monnaie. Il acheta ensuite le Château de Chenonceau, où (après son décès en 1867) sa femme vécut jusqu’en 1878. Marcé a été présenté à la famille et épousa l’une de ses charmantes filles. Pour rendre ce mariage possible, il se tourna vers la psychiatrie, où ses mentors Baillarger et Moreau (de Tours) obtinrent pour lui une place de directeur d’un asile privé à Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne, qui a été la source de ses revenus. Il a ensuite été nommé directeur de la ferme de Sainte-Anne, créée pour occuper des internés de Bicêtre, et peu de temps après, prit la direction de Bicêtre. Il convient d’ajouter à tout cela ses fonctions enseignantes de professeur agrégé de la Faculté de Médecine. Plusieurs hommages ont été rendus à sa personnalité : [Il avait] des manières pleines de distinction et d’urbanité, simplicité de mœurs et de goûts, modestie, aménité de caractère, fidélité à toute épreuve, désintéressement, bienveillance, droiture, loyauté chevaleresque. Tous ces trésors de l’âme qu’on aime à rencontrer dans un ami, tous ces nobles sentiments qu’on se plait à applaudir chez les hommes d’élite, Marcé les possédait à un suprême degré.

Pour mener à bien toutes ces charges, cliniques, administratives et enseignantes, de front avec ses publications, il se réveillait à l’aube et travaillait tard dans la nuit. Dans l’avant-dernière année de sa vie, il a dû être malade ou épuisé. Il reconnaissait avoir besoin d’une meilleure hygiène cérébrale, et qu’un repos absolu lui était nécessaire. Il passa quelque temps avec la famille Pelouze à Chenonceau. Il décède en Août 1864, laissant trois adorables petits enfants. Les raisons du décès sont inconnues. Une source mentionne toutefois : une maladie cruelle et terrible ; mais ses collègues disaient qu’il aimait beaucoup travailler, ce qui l’aurait tué ; il rejoint ainsi le martyrologie de la science. Sa productivité durant cette carrière de 9 ans a été prodigieuse.

Dans sa monographie sur la folie des femmes enceintes, il a développé le concept de sympathie. En plus des psychoses du pre- et du postpartum, il s’est intéressé aux troubles intellectuels et aux craintes des femmes enceintes (faisant allusion à la tocophobie), la folie de l’accouchement et son importance dans l’infanticide (ce pourquoi il a été critiqué par Tardieu). Il écrit (dans une autre publication) sur l’influence de la grossesse et de l’accouchement sur le traitement de la maladie mentale, et critique l’idée que la grossesse soignait la folie ; il a vu plusieurs cas sur lesquels le mariage, la grossesse ou la naissance n’ont eu aucun effet. Il a discuté de la responsabilité légale de la femme enceinte. Il parle d’obsessions infanticides, et sous le diagnostic d’affaiblissement intellectuel passager, il a décrit un cas de psychose de Korsakow. Il a observé que quelques psychoses du postpartum étaient d’origine organiques, et sa cohorte incluait 3 cas de psychoses éclamptiques et quelques mères souffrant de péritonite ou d’abcès du sein. En dehors des psychoses organiques et de la dépression, il a décrit 49 cas de psychoses – 8 exclusivement dans le prepartum, 12 débutants durant la grossesse et continuant après la naissance, et 29 postpartum, dont 8 associées au sevrage. Les résumés étaient brefs, et aucun cas suivi sur le long terme. 35 étaient ses propres cas, ou glanés chez des collègues comme Baillarger et Mitivié. 14 ont été publiés dans des revues, dont deux en langue allemande et quatre en langue anglaise. En 1855, près de 60 cas avaient été publiés dans la seule littérature française, mais il devait être difficile d’accéder aux publications à cette époque ; quoiqu’il en soit, il est curieux qu’il ait omis tous les cas d’Esquirol sauf un, d’autant que quelques-uns d’entre eux sont des plus instructifs qui aient été jamais publiés.

Un cas publié dans cette monographie était particulièrement intéressant :

Une femme âgée de 34 ans a eu des troubles mentaux passagers après une fausse couche, et aussi dans quatre de ses grossesses ; ceux-ci commencèrent dans leurs derniers jours de la grossesse et se sont poursuivis durant l’allaitement jusqu’à 8-10 jours après le sevrage. Après son cinquième accouchement, la psychose débuta au retour des premières règles. Bien que sa qualification d’un trouble mental passager et troubles intellectuels manque de description détaillée des symptômes, ce cas fait cependant allusion à l’association entre l’après fausse couche, le prepartum et les psychoses menstruelles (3 déclencheurs).

Ailleurs il a publié un autre cas intéressant :

Une femme âgée de 26 ans, dont la tante paternelle a présenté un délire transitoire après chaque naissance, perdit son mari (d’une maladie chronique de la colonne vertébrale) 9 mois après la naissance de son premier enfant. A 13 mois elle allaita sa fille. Trois semaines après, elle présente une violente attaque « hystérique ». Deux semaines après, elle a eu ses règles à nouveau, et depuis lors elle s’est plainte en automne ou en hiver de 6 accès d’extrême émotivité avec violence, pleurs, loquacité, et tendances érotiques, tout ceci associé au flux menstruel. Elle a également présenté une galactorrhée. Ceci constitue la première description d’une psychose menstruelle après une grossesse normale, apparemment après sevrage, avec des allusions à un élément saisonnier (3 facteurs déclenchant).

Il a démontré ses pouvoirs d’observation dans un article sur les troubles mentaux de la Chorée de Sydenham, qui inclut une description d’hallucinations hypnagogiques et hypnopompiques qui survient avec une extrême gravité dans cette affection : une femme de 22 ans, ayant une syphilis congénitale, s’est présentée au bout du 15e jour d’évolution d’une chorée. Son sommeil était interrompu par des « rêves ». Avant de s’endormir, elle aurait vu des monstres des cadavres décapités, des corbeaux, des chauves-souris, et autres objets terrifiants. Elle a cru qu’ils l’étrangleraient et avait des difficultés à respirer. Ces hallucinations survenaient aussi au réveil où elle hurlait et dérangeait les autres patientes du service. Elle croyait son alimentation empoisonnée et entendait des voix lui disant qu’elle était damnée. Elle guérit en quelques semaines. Seule la thèse de Breton (1893) était documentée sur ces phénomènes en détail comparable.

Marcé, aussi bien dans ses ouvrages que dans un article publié en 1857, donne quelques pistes au sujet des causes de la folie puerpérale et du prepartum. Il reconnait l’existence de causes prédisposantes et occasionnelles. Les premières étant l’hérédité, l’épuisement, l’existence d’autres accès antérieurs (en particulier de folie puerpérale), des causes morales, anémie, un âge avancé et le nombre d’accouchements. Il est intéressant que lui-même, comme quelques autres auteurs de la moitié du 19ème siècle, trouvent que la multiparité et non la primiparité était un facteur de risque – la comparaison des âges des parturientes dans 2 services d’obstétrique a souligné que l’âge avancé était un facteur prédisposant. Les causes occasionnelles étant le retour des règles, des causes morales (encore), éclampsie, un travail pénible, absence de chloroforme durant le travail, hémorragie, abcès du sein, et le sexe de l’enfant. Il a été le premier à prendre en compte le rôle de la menstruation. En dehors de la femme aux 7 épisodes menstruels après sevrage (résumé plus haut), il a constaté que quelques psychoses du postpartum débutaient 5 à 6 semaines après l’accouchement, lors du retour des règles dans le postpartum ; son estimation est de 11/44 et 12/60 dans diverses cohortes. Vers 1855, les références aux troubles mentaux de la menstruation, dans la littérature mondiale, étaient peu nombreuses : Pritchard (1822) a décrit une manie « utérine » chez une femme qui a donné naissance à plusieurs enfants – la première de nombreuses mentions de psychoses périodiques après un épisode puerpéral. Parmi les premières descriptions de psychoses menstruelles, celle de Brière de Boismont (1851) était la plus évidente. Peu d’auteurs ont confirmé l’observation de Marcé du début coïncidant avec les premières règles. Mais il y a maintenant beaucoup de témoignages de l’association de psychoses puerpérales bipolaires ou polymorphes avec la psychose menstruelle, ceci étant le meilleur indice de l’étiologie de ces psychoses.

Marcé et Esquirol ont également rapporté le déclenchement au sevrage. Ceci n’avait été mentionné qu’une fois auparavant – par Willardts en 1770. Esquirol, dans ses statistiques de la Salpêtrière, fait état de 19 patientes qui débutèrent leurs troubles immédiatement après le sevrage. L’une de ses patientes a même eu deux épisodes de mélancolie avec des préoccupations mystiques après sevrage – l’un débutant deux jours après celui de son deuxième enfant, et l’autre le jour suivant celui de son 5e enfant. Marcé a eu 8 patientes qui débutèrent également leur pathologie au sevrage. Six des enfants furent longtemps allaités (10-21 mois). Une des patientes a eu deux épisodes dans le début du postpartum et un épisode au début du sevrage. Une autre patiente, après l’épisode du sevrage, a déclenché un épisode dans le prepartum. Cet ensemble suggère des liens avec d’autres déclencheurs en période de fécondité. Le début à la faveur du sevrage n’a pas beaucoup retenu l’attention de la littérature des 150 dernières années, bien qu’il y ait eu quatre descriptions de plus de patientes dont-deux auraient débuté au sevrage.

Esquirol et Marcé ont encore un message à délivrer pour ceux d’entre nous qui essayons de résoudre les mystères des psychoses de la grossesse. L’intérêt d’Esquirol pour l’hérédité et les statistiques a été largement exploité par la génétique moléculaire et l’épidémiologie. Cependant, tous deux ont décrit plusieurs cas atypiques qui renvoient à des facteurs étiologiques encore inconnus et suggèrent de nouvelles pistes d’investigation. Cette approche clinique fondatrice de la psychopathologie semble toutefois aujourd’hui tombée dans l’oubli, bien qu’elle offre encore la meilleure opportunité de progrès. Le retour à la clinique s’impose donc ! Au travail !

Appendix

tableau im1
tableau im2
Esquirol’s cases
tableau im3
Marcé’s cases (excluding depression and organic psychoses)
tableau im4
Exclusively prepartum cases
tableau im5
tableau im6
Pre- et postpartum cases
tableau im7
tableau im8
Exclusively postpartum cases. His own cases, or those of colleagues at the Salpêtrière – Baimmarger, Mitivié – or Charenton

tableau im9
Exclusively postpartum cases. Published by others
tableau im10
Weaning onset

Référence

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