Exposition : Pan, Taro Izumi
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Exposition : Pan, Taro Izumi

Le Palais de Tokyo est le temple de l’art (très) contemporain à Paris. On peut y voir actuellement plusieurs œuvres de l’artiste japonais Taro Izumi, qui propose une œuvre absurde, loufoque, poétique, décalée, mélangeant sculptures, photographies et vidéos.

Jean de Loisy, directeur du Palais de Tokyo, qui a organisé cette première exposition personnelle importante en France de ce représentant de la jeune génération japonaise, dit que Taro Izumi (né en 1976, qui vit à Tokyo) est l’incarnation de Susanoo, dieu japonais de l’orage et de la tempête, celui qui sème le désordre. En effet, Taro Izumi se joue des règles de l’histoire de l’art, il va même jusqu’à les « renverser comme Picasso en son temps ». Dans toutes ces installations, apparemment dérisoires, Taro Izumi ne cesse de renverser les codes pour produire cette œuvre singulière, qu’on dit proche de Beckett, de Satie, des artistes suisses Fischli et Weiss. « L’objet quotidien s’impose souvent comme un matériau privilégié dans mon travail. Détourné de sa fonction, il devient objet d’art ; nous évoluons, de fait, dans un monde où toutes les valeurs peuvent aisément être renversées. »

Parmi les installations du Palais de Tokyo, on retiendra « Tickled in a dream… maybe ? ». Lorsqu’on entre dans cette grande pièce, on a une impression de joyeux désordre, un grand bric à brac d’images et de sons. On est frappé par des empilages étranges de chaises, tables, tabourets, coussins, totalement inconfortables, qui semblent exclure tout usage. « Jamais je ne pourrais m’asseoir là-dedans ! », se dit-on. Elles sont posées sous de grandes photos de sportifs, puis on aperçoit d’autres photos où des personnes sont installées sur ces assemblages de chaises, qui du coup semblent très différentes, presque méconnaissables. Quel lien entre tout ça ? Il faut un peu de temps pour s’y retrouver et comprendre la démarche de l’artiste.

Taro Izumi est parti de photographies spectaculaires de sportifs, qui montrent des postures invraisemblables, saisies sur le vif, dont par exemple le fameux lobé retourné face au but de Platini. Puis il a réalisé une sculpture, qui est un assemblage d’éléments récupérés du quotidien, essentiellement des chaises, qui correspond à cette posture. Ensuite dans un troisième temps, il a installé des corps dans ce dispositif, qu’il a photographiés. Et on découvre alors que ces compositions de meubles épousent bien des postures corporelles réalisables, mais tout à fait inhabituelles, comme si un esprit malin, en créant ce mobilier, avait anticipé sur des formes inattendues du corps. Dès lors, c’est tout un questionnement sur le corps et une exploration de ses possibilités que propose Taro Izumi. « J’essaie ici de repenser l’architecture destinée aux images, de conformer le volume d’un corps aux règles d’une représentation imagée, de différencier le temps qui s’écoule au flux du temps morcelé, de redonner du volume à un monde compressé, de chercher une structure vivante au sein d’une surface plane… ».

Avec cet art contemporain, il ne s’agit plus de produire des belles formes, de chercher une sensation esthétique, mais de faire vivre au spectateur des expériences. C’est un art qui plaît aux enfants, qui adorent aller au Palais de Tokyo, ce qui ne veut pas dire que c’est un art enfantin, mais plutôt que Taro Izumi donne à voir la part du jeu dans les processus de création artistiques, et donc la part de l’infantile de l’artiste et du spectateur.

Cette œuvre jeune et actuelle constitue une analyse assez pointue et originale du rapport du sujet et son environnement. « Tickled in a dream… maybe ? » pourrait figurer le concept récent d’affordance, issu des sciences cognitives, qui rend compte de l’interaction entre tel milieu et tel organisme. Quand je suis devant un escalier, je ne le vois pas de la même manière si je suis un jeune sportif ou si je souffre du genou. A la limite, ce n’est pas le même escalier. Face aux dispositifs de chaises de Taro Izumi, j’éprouve cette impression qu’ils ne pourraient jamais accueillir mon corps. Puis l’artiste me montre que cette impression est relative et qu’il existe des corps qui peuvent s’y loger. Le corps doit-il s’adapter à la chaise ou la chaise doit-elle être conçue pour tel corps ?

L’œuvre de Taro Izumi illustre ces hypothèses stratégiques. L’environnement est fonction des possibilités du sujet lui permettant de se l’approprier et le sujet se perçoit ou est perçu différent selon les exigences de l’environnement dans lequel il évolue. Si les artistes sont des penseurs, alors certains artistes de l’art contemporain donnent à penser des concepts scientifiques, non pas de manière intellectuelle, mais de manière drôle et poétique. Et ce qui se présente comme un espace ludique surtout destiné aux enfants est en fait le lieu d’une pensée complexe. D’ailleurs le plaisir qu’on éprouve à circuler dans ces installations et l’envie de rire correspondent peut-être au plaisir d’y retrouver un processus psychique que l’artiste a décomposé afin de nous le faire parcourir.