Haro sur Orpea ! Bravo ! Mais la psychiatrie publique, alors ?
Éditorial

Haro sur Orpea ! Bravo ! Mais la psychiatrie publique, alors ?

Enfin, on crie au scandale sur Orpea et c’est tant mieux, car le niveau de maltraitance rapporté par Victor Castanet, l’auteur du livre Les fossoyeurs révélant ces pratiques, est tout bonnement insoutenable. Un article du Monde signé par Samuel Laurent nous apprend que « Clinea, l’autre « cash machine » du groupe Orpea, spécialisée dans les soins de suite et la psychiatrie, connaît les mêmes dérives que les Ehpad de la société 1».

Mais ce qui est tout aussi insoutenable, c’est que la psychiatrie publique est dans cet état déplorable depuis des lustres malgré les efforts des soignants qui font ce qu’ils peuvent pour sauver le soin psychique de la barbarie annoncée. Pourtant, les multiples dénonciations émises par les perchés du Havre, les grévistes de la faim de Rouen, les CMPP d’Aquitaine, les soignants d’Asnières, et de très nombreux services sectorisés réduits à l’impuissance s’accumulent depuis des années sans rien déclencher de significatif de la part des pouvoirs publiques.

La psychiatrie se meurt et nos dirigeants regardent ailleurs, vers les résultats attendus de promesses lointaines des neurosciences et des techniques comportementales.

Pourquoi le ministère déclenche-t-il aussitôt des enquêtes de ses services pour vérifier l’ampleur des dégâts dans cette chaîne d’établissements régis pour et par le profit immédiat des actionnaires, ce qui est à saluer, alors que les mêmes scandales existent en psychiatrie sans « mériter » les mêmes réponses des instances régulatrices ?

Serait-ce parce que les malades mentaux ne votent pas aussi massivement que les personnes âgées ? J’ai du mal à le croire, car les candidats aux EPHAD ne sont pas plus en forme que ceux de la psychiatrie. En revanche, les familles elles, sont un vivier de voix beaucoup plus intéressant, d’autant que notre destin d’humain nous conduit dans la plupart des cas à une vieillesse inéluctable. D’ailleurs, un groupe de familles des patients d’EPHAD est en passe de demander des comptes à la justice pour ces maltraitances coupables. Pourtant qui n’a pas dans sa famille ou ses amis, une connaissance présentant des troubles psychiques conséquents ? Mais la différence est que la plupart d’entre elles en souffrent profondément comme toutes celles qui ont un de leurs membres qui est ou devient dépendant, et elles n’osent pas en parler, en faire état et se plaindre des conditions dans lesquelles ils sont désormais traités en psychiatrie. Et on a beau prétendre dans les projets récents de réforme de la psychiatrie qu’il suffit d’informer nos concitoyens par une éducation ciblée pour que la maladie mentale soit considérée comme une maladie à l’instar des autres, ces idées naïves, quand elles ne sont pas manipulatrices, montrent à l’envi que ceux qui proposent de tels projets ne savent tout simplement pas de quoi ils parlent. Alors, aller revendiquer dans la rue et dans les tribunaux une reconnaissance des préjudices subis par la qualité des soins psychiatriques est une utopie lointaine qui fait les beaux jours de ceux qui y voient un gisement de moyens pour diminuer les charges sociales et les impôts …des hauts revenus !

Que faire ? comme disait un certain… Continuer inlassablement à dénoncer cette politique de santé qui ne tient pas assez compte des facteurs humains dans sa réflexion et dans les dispositifs qu’elle organise pour soigner nos concitoyens. Il va falloir attendre que le système s’effondre pour que les décideurs aient enfin à répondre de leur procrastination coupable.

Note

1 Laurent S., Patients maltraités, manque de personnel, profits à tout prix, Le Monde, mardi 8 février 2022.