Historique
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Historique

L’aspect proprement thérapeutique du psychodrame a été découvert par hasard, un jour de 1923, à Vienne, par Jacob-Levi Moreno quand il s’est aperçu que la jeune actrice du théâtre expérimental et de jeu impromptu qu’il avait créé avait guéri de sa violence conjugale en jouant des rôles de mégère cynique et vulgaire. À partir de cette découverte, et ayant émigré aux États-Unis, Moreno crée la sociométrie et ouvre une clinique psychiatrique à Beacon où il construit un “théâtre thérapeutique psychodramatique”, avec plusieurs gradins, et un balcon pour jouer les rôles de Dieu, de juge, etc.

Le psychodrame qu’il met au point comprend le protagoniste ou héros principal, sujet en souffrance qui jouera avec un à trois ego auxiliaires ou d’autres participants choisis dans la salle, dont certains feront son double, le meneur de jeu enfin qui dirige le jeu mais n’y participe pas. Il s’agit donc d’un psychodrame de groupe centré sur un individu mais faisant participer autant d’autres malades que des psychodramatistes. D’ailleurs, le modèle morénien, exporté dans toute l’Europe, restera une “expérience vécue en groupe, de groupe, par le groupe et pour le groupe”.

Après la Seconde Guerre mondiale naît en France un psychodrame psychanalytique pratiqué soit par des élèves directs de Moreno, soit inspiré seulement par son invention. Le premier est mis en œuvre par Mireille Monod au Centre Claude Bernard à Paris, avec entre autres Philippe Gravel, Geneviève Testemale, Simone Decobert ; il comprend deux psychodramatistes et un groupe d’enfants. Le second, après une phase de groupe appelée “psychanalyse dramatique de groupe”, par Serge Lebovici, devient rapidement un psychodrame psychanalytique individuel, c’est-à-dire ne comprenant qu’un seul patient avec des cothérapeutes psychanalystes. Les premiers vont reprocher aux seconds, par la voix de Didier Anzieu, de “mouler le psychodrame sur la technique et la théorie de la cure psychanalytique individuelle et de négliger de ce fait la spécificité thérapeutique du jeu dramatique”, et les seconds aux premiers “après avoir insisté sur la nécessité de ne jamais perdre de vue la dynamique de groupe (de montrer) involontairement combien il est difficile d’expliciter l’usage qui en a été fait dans l’expérience concrète”.

Dès son origine donc, le psychodrame analytique va souffrir de cette babélisation que vont entraîner les scissions du mouvement analytique français, babélisation responsable de nos jours de la méconnaissance du psychodrame individuel par les psychanalystes, surtout lacaniens, et d’une confusion constante entre un traitement de groupe, régi par une dynamique propre, et une écoute d’un seul patient qui s’approche beaucoup de la psychanalyse duelle. Pourtant, les psychanalystes, de quelque obédience soient-ils, ne cherchent plus à “conformer leur pratique à celle de Moreno”, centrée sur la spontanéité, la catharsis, la créativité “totale de l’individu et du groupe”, tout en utilisant largement des techniques moréniennes : renversement des rôles, jeu en miroir, réalisation dramatique des rêveries, et enfin direction du jeu confiée au patient, voire en en inventant de nouvelles. Car si Moreno a retrouvé la valeur archaïque du jeu par rapport au langage, c’est cette valeur retrouvée qui permettra à beaucoup de sujets incapables d’“associer librement” dans un premier temps, d’investir ensuite une psychanalyse.

Si le psychodrame de groupe permet aux participants de choisir, avec l’aide d’un ou deux psychodramatistes, un thème qu’ils vont ensuite mettre en scène et interpréter en conjuguant leur dynamique propre avec celle du groupe, le psychodrame individuel ne traite qu’un seul patient en jouant jusqu’au bout le fantasme qu’il apporte. Cette dernière situation décompose en quelque sorte le dialogue analytique : le patient discute avant et après la scène avec le directeur de jeu, qui la modifie éventuellement, et interroge celui-ci quand elle produit des effets inconscients. Mais le patient ne joue qu’avec les cothérapeutes, tous psychanalystes, qui ne sauraient distinguer l’interprétation analytique d’une interprétation théâtrale car ils ne peuvent communiquer avec lui qu’à travers le rôle que celui-ci leur a confié. Bref, le patient est au centre de deux axes : l’un, symbolique, ne passe que par la parole ; l’autre, imaginaire, n’admet que le jeu.
C’est dire qu’un champ de travail psychanalytique reste ouvert grâce à l’apport du psychodrame, ce à quoi s’emploient d’ores et déjà plusieurs associations (CEFFRAP, ETAP…) ou certaines institutions thérapeutiques (par ex. Centre de consultations Jean Favreau, service de pédopsychiatrie de la Salpêtrière, les CMPP à orientation psychanalytique). De la même façon, le psychodrame a pu préparer, dans les pays de l’Est notamment où elle était interdite, le développement de la psychanalyse.