Hommage à Daniel Widlöcher
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Hommage à Daniel Widlöcher

Daniel Widlöcher en disparaissant le 14 décembre 2021 a endeuillé l’Association psychanalytique de France (APF), et au-delà la communauté psychanalytique internationale. Il avait été un des membres fondateurs de l’APF en 1964, avec Jean Laplanche (1924-2012), et Jean-Claude Lavie (1921-2020). Il en avait été deux fois président en 1974 et 1975 et en 2007 et 2008, membre titulaire en 1971 et membre d’honneur depuis 2014.

Cette Association a été fondée dans un formidable mouvement créatif né du refus de tout dogmatisme ; un mouvement que Daniel Widlöcher partageait avec de fidèles compagnons, on pourrait dire des camarades tant la dimension communautaire, de lutte et de résistance a marqué son engagement analytique. Et tout au long de son parcours il ne cessera de transmettre ces qualités essentielles, l’exigence de la curiosité avec son refus de toute pensée unificatrice, et le désir d’action. Engagé dans la promotion de la psychanalyse et des exigences de sa transmission il sera donc président de l’APF mais aussi président de la Fédération européenne de psychanalyse (FEP) de 1979 à 1983 puis président de l’IPA de 2002 à 2006. Il y a succédé à Otto Kernberg et a précédé Claudio Eizirik.

Une formation en philosophie, un double doctorat en médecine et en psychologie, se sont alliés à une grande culture et un intérêt profond pour l’art, la peinture, la musique, la littérature pour maintenir tout au long de son parcours une interrogation toujours à l’affût, sur le fonctionnement du psychisme de l’homme. Psychiatre à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), il rencontre la psychanalyse avec Lacan à la Société française de psychanalyse (SFP). Un choix guidé par la proposition de Lacan d’ouvrir le champ de la psychopathologie et des concepts freudiens sur tous les autres champs des sciences humaines. Cependant Lacan en rompant en 1953 avec la Société psychanalytique de Paris (SPP) dont il était président du fait d’un conflit avec le directeur de l’Institut de formation (S. Nacht), et en créant la SFP (Société française de psychanalyse) avait inscrit de fait celle-ci en dehors de l’IPA. Une procédure de reconnaissance de la SFP par l’IPA conduit finalement à la rupture de certains de ses membres avec Lacan et à la scission de la SFP avec la création de l’APF en 1964. Et c’est sans doute par fidélité à ce principe de refus de tout impérialisme de pensée que Daniel Widlöcher participe à la rupture avec Lacan, et activement à la fondation de l’APF. Mais pas sans avoir été celui qui est allé le plus loin, le plus longtemps, pour tenter la conciliation, l’entente et la négociation, pour faire tenir ensemble les différends.

Dans cet esprit d’ouverture, de rencontre et de discussion Daniel Widlöcher a poursuivi son engagement au service de la promotion de la psychanalyse et de la formation des psychanalystes. Toute sa carrière de professeur en psychiatrie a été entièrement dévouée au groupe hospitalo-universitaire Pitié-Salpêtrière. Il a également enseigné la psychologie à la faculté de Lettres et Sciences humaines de Paris-Nanterre. Il a été Président de l’École des psychologues praticiens et de l’Association pour la méthodologie de la recherche en Psychiatrie, Président de l’Association psychologie et psycho-physiologie au CNRS et Directeur de l’Unité INSERM « Psychopathologie et pharmacologie des comportements ».

Mais d’abord psychanalyste et clinicien Daniel Widlöcher n’a cessé de témoigner que nous ne pouvons pas opposer les mécanismes de pensée de la vie psychique à ceux de la pratique de la psychanalyse ni à ceux des dynamiques institutionnelles et sans doute non plus à ceux de notre vie dite personnelle. Il a exploré les concepts métapsychologiques, les a confrontés aux avancées des champs scientifiques voisins. Il a surpris, interrogé, dérangé mais toujours enrichi les réflexions en ouvrant des horizons quand on croyait que l’affaire était entendue. Au-delà d’un accord, l’important n’était-il pas de convaincre qu’une démarche scientifique passe par des débats, des remises en cause et que, selon lui, seule l’interdisciplinarité permettrait d’entrevoir les conditions du changement. Parce qu’au fond c’est sans doute la question du changement et des résistances au changement qui traversent son œuvre. Le changement avait pour lui un territoire indiscutable, celui de la psychopathologie, et il n’y a qu’à regarder les titres des revues de psychanalyse que Daniel Widlöcher a initiées ou dirigées : Avec Pierre Fédida, La revue internationale de psychopathologie (PUF) ; ou les titres de ses ouvrages depuis Métapsychologie du sens (1986), Traité de psychopathologie (1994) ; Les nouvelles cartes de la psychanalyse, (1996) ; Clivage et sexualité infantile dans les états limites, Nouveau paradigme pour la psychanalyse ? (1999) ; Sexualité infantile et attachement, (2001) ; La psychanalyse en dialogue, (2003) ; Les psychanalystes savent-ils débattre ? (2008) ; Psychanalyse et psychothérapie (2008).

Il promeut une interrogation vivante des conceptions théoriques donc pour s’opposer au dogmatisme, mais aussi une interrogation vivante des conditions institutionnelles que nous nous donnons pour assumer notre mission de transmission de la psychanalyse. Il y a promu la défense de la doctrine analytique en alliant un souci de pluralisme et un refus de la banalisation des concepts et des pratiques. Il a fait valoir ce qu’on pourrait appeler « une diversité rassemblée » des modèles de formation. Il a été l’initiateur du mouvement des « Trois Modèles de Formation » qui ont été définitivement adoptés en 2007 lors du Congrès de Berlin sous la présidence de Claudio Eizirik. Ceux qui ont travaillé avec lui dans le bureau exécutif de la Fédération européenne de psychanalyse ou de l’IPA témoignent de sa « force tranquille », il ne perdait jamais son calme et restait toujours amène et respectueux de l’autre même lors d’affrontements d’idées.

Daniel Widlöcher n’a cessé de transmettre ces qualités essentielles : l’exigence de la curiosité avec son refus de toute pensée unificatrice, et le désir d’action. Sa proposition incarnée pour penser que la psychanalyse qu’il aimait et que nous aimons est à la fois une théorie et une pratique de la communication, une théorie et une pratique de la rencontre, ne craignons pas les mots, et une pratique de l’écoute où il se fait un travail très spécifique qu’il a appelé co-pensée au service de l’émergence du sens est cette chose si simple et claire que les psychanalystes qui l’ont rencontré, et ceux qui le liront, garderont.

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