Changer de territoire est pour le clinicien, dans le meilleur des cas, l'occasion d'un trouble dans la pratique. La déterritorialisation, les contraintes de l'environnement, les nouvelles sensations, pour peu que l'on accueille l'expérience autrement qu'en surface, s'avèrent profondément déroutants : nos petits trucs, nos petites machines, ne fonctionnent plus comme avant ; il faut se réinventer, ce qui peut être fort désagréable. Ainsi en fut-il de mes tout premiers pas en prison, et c’est l’une des raisons, avec les bouleversements sociaux, institutionnels et intimes liés au COVID, qui firent que cette expérience fut limitée dans le temps.
Un programme socio-ludo-psycho-éducatif intense
Le dispositif groupal à médiation, dans laquelle j’intervenais sous un statut, qui mériterait une analyse en soi, de « prestataire libéral », était inséré dans une construction institutionnelle complexe et ancienne, s’adressant à un public de détenus souffrant d’addictions diverses – jeux, alcool, drogues, etc. Un « programme » de cinq semaines voyait se succéder différents intervenants vacataires, dans un registre qualifié de « psychoéducatif ». Cela allait du sport, à l’expression artistique, aux émotions, à l’insertion professionnelle. Il rompait avec le quotidien de la détention en proposant, dans un autre espace de la prison, à des détenus de différents quartiers une trentaine d’heures d’activités de groupe par semaine.
Nous étions logés dans une salle d’activité artistique exiguë, dans la partie des lieux dédiée aux soins. Au plafond, une vitre, dominée par une grille métallique laissait apparaître un peu de jour terne. Sous l’effet des processus groupaux décrits ci-après, cette salle me parut certaines fois exagérément vaste, et d’autres fois particulièrement oppressante. À l’image finalement d’une expérience qui me semblait à la fois libératrice, excitante et très angoissante pour les détenus.