La réponse avant la question
Éditorial

La réponse avant la question

« Ne vous posez pas inutilement de questions, nous avons la réponse » ! Telle semble être la tendance dominante actuelle qui étend ses ramifications à tous les domaines de la vie personnelle, familiale, économique et sociale. « Nous savons ce qui est bon pour vous », disent à longueur de messages les médias, les politiques, les dirigeants, les rééducateurs, les coachs et autres officines qui veulent le bien des autres. Le temps des questions serait éducativement, médicalement et politiquement incorrect. Ce serait une perte de temps. Mieux vaudrait s’en remettre à ceux qui savent. Et ceux-là fleurissent ! Ils proposent d’aider à soulager de questionnements incertains aux vertus mal établies.

Dès la crèche, la tétine en bouche évite au bébé d’avoir à exprimer un besoin, comblé ainsi par avance. Sans frustrations et sans manque, il ne peut qu’être plus heureux à l’évidence. Quant à la période de latence, il importe de la réduire car il est bien connu que toute latence est frustrante et potentiellement douloureuse : la pré-adolescence -notion dangereuse et illusoire, pur produit d’un marketing efficace- est attendue dès la fin du cycle scolaire primaire, et sollicitée si elle n’apparaît pas assez vite. Des radios et des émissions « pour jeunes » à heure de grande écoute le soir visent à leur transmettre les connaissances de toutes les pratiques sexuelles à découvrir, occultant les avantages des questions et d’une curiosité sans réponse immédiate, le temps de la maturation psychologique et affective. Pour les plus grands, il n’est désormais plus acceptable d’attendre. La médecine doit soulager et guérir -le droit aux soins a laissé place au droit à la santé-, et vite de préférence : tous aux urgences ! Dans les entreprises, comme dans les hôpitaux, halte aux débats : place à des « vrais » dirigeants qui savent ce qui est bon pour la collectivité.

Les questions existentielles trouvent toutes apparemment une réponse sur le grand marché des stimulations. Vous voulez exister ? Nous avons les moyens de vous exciter. C’est dire combien les professionnels des soins doivent aujourd’hui ramer à contre-courant et peuvent souvent apparaître comme menaçants, surtout s’ils travaillent avec le souci éthique du respect de l’autre et la modestie d’un savoir qui se constitue avec l’autre.