Les professionnels de la santé mentale que nous sommes ont pour métier de s’intéresser aux mondes intérieurs de ceux qui s’adressent à eux. Les habitués des visites à domicile comme les experts immobiliers trouvent de leur côté dans les intérieurs qu’ils fréquentent un reflet souvent parlant des personnalités de leurs occupants.
Et chacun investit beaucoup de lui-même quand il le peut dans la décoration et l’aménagement de son intérieur, qu’il en soit conscient ou non.
Mais les temps changent, et vite. La génération née après internet (1990) a des usages et des investissements de son logement différents, témoignant en cela d’une évolution inédite de son rapport aux autres et au monde, autant que de son monde interne.
Le lieu de vie redevient l’abri que représentait la caverne en d’autres temps, lieu destiné à assurer une protection contre le froid, la pluie et le soleil durant les temps de sommeil. Pour satisfaire cette fonction ancestrale, il suffit d'un lit, d'un réfrigérateur… mais aussi désormais du wifi. Le présent est le temps qui compte. L’imprévisibilité du monde conduit à le privilégier. Les meubles de famille encombrent quand Ikea permet l’ameublement minimal utile partout sur terre.
Quant à l’accueil de la famille et des amis chez soi dans un salon réservé à cet usage, il fait figure d’usage antique.
L’intérieur est désormais à l’extérieur. La projection de soi se manifeste sur les réseaux sociaux en temps réel, lesquels permettent des retrouvailles improvisées en dernière minute ici ou là, au gré des disponibilités et des humeurs du moment et des pairs. Les intérieurs dans lesquels dorment les « millennials » ne représentent qu’une base de repos et de repli. Inutile donc d’y chercher un reflet autre que celui d’une génération « branchée », mettant en œuvre les compétences qui lui seront nécessaires demain dans sa vie personnelle et professionnelle.
Dr Patrice Huerre
Dernier livre paru : Lieux de vie, ce qu’ils disent de nous.
La révolution des intérieurs, Odile Jacob, octobre 2017