Le corps… renouveau ou retour en grâce
Éditorial

Le corps… renouveau ou retour en grâce

De quel corps pouvons-nous seulement parler quand on évoque la place du corps en psychiatrie ? Comment faire se manifester l’infraverbal dans le verbal, le transcorporel jusqu’à l’inter physiologie ? Comment dégager le rythme propre du sujet dans l’homme ? Dans quelles
harmonies et pour quelle prosodie ? Pour faire advenir quelle musique du sens ?

Au commencement : « je » est un corps infantile immature, plus ou moins investi et affecté, plus ou moins souffrant et jouissif.  « Je suis un corps » et non « j’ai un corps ». A l’adolescence, le processus de subjectivation se poursuit à partir de la découverte du « Je est un autre » qui n’est « autre » que le « Je pulsionnel inconscient » qui le violente de l’intérieur, et non un  je(u) intellectuel pur et a fortiori langagier.

De la sensorialité à la sensualité, du charnel au verbe, à la recherche  de l’inscription corporelle  de l’esprit, comment se forme la qualité du plaisir trouvé (halluciné-créé) par l’infans dans les interrelations précoces, retrouvé par l’adolescent et l’adulte dans le jeu de l’amour et du hasard ? Cette qualité rare de « l’étant » qui permet l’accès à l’affect et au sens et fait advenir une vie équilibrée entre deux écueils : l’existence (en dehors de soi) opératoire, et la vie à haut risque pleine d’intensités fatales qui naît de l’amorçage puis du déclenchement d’une dynamique circulaire essentielle, quand l’enfant (accédant au sens de par le plaisir obtenu au-delà de la simple satisfaction de ses besoins) parce qu’il a trouvé-créé le sens, éprouve un surcroît de plaisir… Cet accès au sens dans le plaisir étant lui-même à l’origine de la subjectivité du sujet, tant il lui permet de construire son style corporel et psychique. Sa signature. Sa petite musique. Celle qui précède sa pensée et l’anime pour que ses mots ne soient pas vides de chair et de morale.

Le corps du patient, contrairement à son langage, ne ment jamais. Même dans l’hystérie, l’hypochondrie ou la maladie psychosomatique. Le soignant peut y toucher du doigt dans une « consanguinité affective » et une « connivence sous cutanée », les mouvements de l’affect et le ruissellement des émotions. Mais évidemment tout va dépendre de l’intention et de la manière de toucher ce corps. Aussi froidement et techniquement qu’une évaluation médicale, avec anxiété par phobie de contact ou suffisamment de bienveillance et de chaleur. Il est temps de préconiser de « toucher » les patients au cœur autant qu’au cerveau, de parler aux émotions autant qu’à la raison… surtout lorsque cette dernière « déraisonne ». Le temps du Logos toujours second peut bien attendre.
                
Pr Maurice Corcos
Pratique des médiations corporelles à l’adolescence, Dunod, 2019