Le deuil périnatal, de par sa nature singulière, objectale et narcissique, nécessite un accompagnement spécifique. Plusieurs types d’approche thérapeutique peuvent être proposés pour les mères, les pères et les couples qui ont perdu un bébé à l’aube de la vie. Fréquemment ce sont des consultations thérapeutiques avant et après une interruption médicale de grossesse (IMG) ou une mort fœtale in utero (MFIU) mais aussi lors de la grossesse suivante et après la naissance du puîné. Ces consultations peuvent se poursuivre par une psychothérapie individuelle. Depuis quelques années, une autre approche de ces grossesses non abouties nous a semblé pertinente et indispensable. Il s’agit de la constitution d’un groupe thérapeutique dont l’objectif est de contenir les psychismes totalement désorganisés et éclatés des mères ayant vécu des événements très violents et destructeurs. C’est ainsi que depuis 2007 s’est créé, avec Joyceline Siksou puis avec Isabelle Caillaud, un groupe de mères endeuillées. Si l’origine de ce groupe repose sur des éléments cliniques prégnants, il s’appuie également sur de solides repères théoriques. En effet, avec la mort et la traversée d’un terrible moment de crise et d’ébranlement identitaire multipliant à l’infini les effets bien connus du post partum, s’associe le traumatisme qui est l’une des meilleures indications de groupe. La capacité de mettre en mots et en récit le trauma est un moment important dans l’élaboration des traumatismes.
Un groupe thérapeutique de mères
Ce groupe s’adresse à des femmes car il permet de recentrer l’élaboration psychique autour de la maternité et constitue ainsi une prévention des grossesses à venir. Mais aussi parce que le deuil périnatal touche les femmes en plein corps et ravive le vécu corps à corps de la mère avec sa propre mère dans ses aspects les plus primaires. La blessure narcissique marque plus que tout autre deuil cette perte intimement liée au corps de la mère : chair de sa chair. Avec la perte d’un fœtus, c’est d’une partie d’elle-même dont la mère doit se défaire, d’une partie d’elle ni séparée corporellement, ni psychiquement. Son corps traversé par la mort, n’a pas su retenir la vie et n’a pas pu fabriquer un bébé vivant et bien portant, ce dont elles se sent coupable. Peut-être ne donnerait-il jamais plus la vie, la mère est renvoyée aux liens à sa mère, aux souvenirs émaillant sa vie de femme, sa vie sexuelle mais aussi aux traces non dicibles, non représentées qui relient chacune à sa propre mère et au nourrisson qu’elle a été. Souvent, en groupe, les mères se remémorent l’histoire traumatique de leur propre mère : hémorragie, avortement, pertes aussi d’un fœtus, d’un nourrisson… oubliées jusque-là et des répétitions. Leur chagrin, leur honte mais aussi leur colère voire leur haine à l’égard du monde et notamment des autres femmes sont incommensurables et indicibles. Seules, celles qui ont vécu la même chose qu’elles, sont fréquentables. Seules celles-là peuvent les comprendre et entendre leur cri déchirant de la chair blessée, leur douleur sans nom.
Tania vient au groupe à la suite de la mort in utero de sa petite fille. Sa mère l’a beaucoup soutenue. Elle est venue de l’étranger pour rester un mois auprès d’elle. Tania est à nouveau enceinte. Elle ne l’a pas dit à sa mère de crainte de l’angoisser. Elle raconte alors au groupe que sa mère a perdu un bébé il y a 20 ans. Elle partait à la maternité accoucher. Le cordon s’est enroulé autour du cou du bébé qui est mort à l’accouchement. Ces circonstances, elle les apprises récemment, depuis qu’elle-même a aussi eu un bébé mort dans son ventre. Sa mère n’en avait jamais parlé auparavant. Tania a toujours été très touchée par la douleur de sa mère et s’est protégée, se construisant elle-même en faux-self. Un jour, Tania arrive dans le groupe, bouleversée. Elle avait appelée sa mère le jour de l’anniversaire de la mort de sa petite sœur sans s’en être rendue compte. Elle nous raconte qu’elle a senti que sa mère n’allait pas bien. Elle lui a demandé ce qu’elle avait. Celle-ci s’est mise à pleurer et lui a dit que depuis 20 ans elle ne cessait de penser à sa petite fille décédée et qu’elle pleurait chaque jour. Soudain une attention particulière du groupe se porte vers cette petite fille décédée il y a longtemps déjà. Elle est accueillie comme les autres bébés. Tania se sent alors soutenue par le groupe pour oser parler à nouveau de ce drame à sa mère. Et depuis, à chaque fois qu’elle appelle sa mère, elles échangent toutes les deux autour de leur bébé décédé. Quelque chose s’est passé entre elle. La distance qui existait depuis des années s’est modifiée. Un nouveau lien s’est créé de mère à mère endeuillée. Le travail de deuil de la petite fille décédée il y a 20 ans commence enfin à émerger, libérant Tania d’un fardeau qu’elle portait depuis l’enfance.
L’organisation du groupe
Le groupe a lieu toutes les semaines le vendredi pendant une heure. Nous sommes deux thérapeutes à animer le groupe, une pédopsychiatre et une psychanalyste. Nous avons fait le choix d’un groupe ouvert. Chaque semaine, nous accueillons une ou deux nouvelles mamans tandis que certaines habituées de longue date espacent les séances ; elles ont repris le travail ou elles ressentent moins le besoin de venir. Néanmoins, dès le début, nous précisons la nécessaire régularité des présences pour permettre la continuité de la construction psychique groupale. Nous consacrons ensuite un temps d’élaboration, indispensable dans ce type d’approche. Parfois, les femmes nous préviennent de leur absence ou nous alertent sur un vécu difficile au cours de la séance. Nous pouvons alors reprendre cette situation dans le groupe ou proposer un autre lieu pour elles.
Les indications
Viennent au groupe les femmes qui ont perdu un bébé pendant la grossesse (MFIU Mort Foetale In Utero, ou IMG Interruption Médicale de Grossesse), à la naissance ou à quelques jours de vie. Certaines continuent à venir lorsqu’elles attendent à nouveau un bébé. Nous recevons également des femmes enceintes qui ont perdu un bébé et qui n’ont pas pu élaborer sa perte et lui donner sa place. La plupart du temps, les sages-femmes et les obstétriciens des maternités avec lesquelles nous sommes en lien, adressent les mères endeuillées au groupe. Les services de néonatalogie, confrontés également à ces problématiques, peuvent le proposer. Cependant, nous accueillons bien d’autres mères qui ont eu connaissance du groupe par les forums, les associations, le bouche à oreille ou lors de formations faites dans les maternités ou dans les réseaux de soins. Certaines mères sont adressées par des collègues psychiatres ou psychologues qui les suivent déjà en psychothérapie. En effet, l’approche groupale est tout à fait compatible avec une démarche personnelle.
Le fonctionnement au sein du groupe
Après une présentation individuelle de chacune des participantes, nous engageons le lien avec le groupe autour du récit du traumatisme. Certaines femmes, débordées d’émotions et de douleur ne peuvent émettre que des sanglots étouffés. Elles pourront intervenir plus tard, une fois l’enveloppe groupale contenante sécurisante et rassurante constituée. Puis le travail associatif au sein du groupe va permettre qu’elles racontent un événement particulier de la semaine ou un trop plein d’émotions, une grande colère, un moment de désespoir, un conflit avec son conjoint ou avec sa mère, une date anniversaire douloureuse, une femme enceinte dans son entourage, l’arrivée d’un bébé dans sa famille, la reprise du travail, des résultats d’examens médicaux, une cérémonie, un lâcher de ballon, un projet de voyage, un espoir de grossesse, une remarque des enfants aînés, le manque, l’incompréhension… Nous reprenons les mots et les thèmes abordés en essayant de maintenir par ce qui s’échange une certaine fluidité associative tout en assurant une fonction de liaison maternelle. Plutôt que de réagir aux questions qu’elles se posent, nous favorisons la circulation de la parole entre les femmes. Les réponses qu’elles attendent sont celles des autres mères. Nous privilégions un premier temps de récit qui se répète parfois à l’identique de séance en séance, jusqu’à ce qu’un certain renoncement, décollement du trauma s’opère face au récit d’une nouvelle participante ou par l’effet de l’acceptation de la perte. Nous tentons de relever ce qui de l’histoire individuelle de chacune peut se rapporter à l’histoire de toutes, voire à l’histoire du groupe. En renonçant à l’interprétation immédiate des contenus, nous soulignons les paradoxes, les figures de l’étranger familier avec neutralité et implication au côté de la vérité engagée des femmes. En confirmant la présomption d’innocence des mères, nous évitons l’empêchement de penser et cherchons à en savoir plus en investissant la parole par rapport à la violence et à l’effroi de la perte. Comme le disait, Pontalis « tuer le mort » permet à la violence de s’exprimer symboliquement en accédant aux fantasmes et à l’angoisse qu’elle génère.
Nous respectons les silences élaboratifs ou qui laissent entendre la douleur, le non dicible, les difficultés pour certaines femmes à parler. Nous leur offrons la possibilité d’être là juste à écouter les autres si elles mêmes ne peuvent pas s’exprimer encore. Lorsque les femmes arrivent dans le groupe pour la première fois elles sont souvent « en morceaux », défaites, « en vrac », le dos courbé sous le poids du chagrin, la voix monocorde et l’œil éteint. Petit à petit, elles se redressent, quelque chose les tient, comme si elles avaient retrouvé leur colonne vertébrale, un appui dorsal. Elles se restaurent, reprennent de la verticalité en s’appuyant sur le groupe. La vie revient dans leur regard. Et c’est encore plus visible la semaine d’après où certaines sont devenues vraiment jolies et habitées.
Le groupe : lieu de vie, lieu de mort, lieu de recueillement, sépulture vivante
C’est pour faire face au tragique de la perte d’un enfant, ne pas s’enfuir, ne pas être lâche en répondant à l’impatience du cœur, pour se débarrasser au plus vite de la pénibilité des émotions, qui étreint les mères que, chaque vendredi, elles participent à ce groupe thérapeutique. Endiguer le flot pulsionnel, résister à l’impossible vengeance qui préside dans le travail de deuil périnatal et accueillir les sentiments puissants d’injustice, d’inégalité des destinées face à la cruauté de la vie et à sa propre cruauté, ceci est l’élaboration du groupe. Avec patience et tolérance, la haine et la soif de destruction peuvent être acceptées du fait de la présence des thérapeutes qui sont là et font preuve d’indestructibilité. Ainsi, les qualités de medium malléable qui survit face à la pulsion de mort dans son caractère vivant mais aussi dans sa créativité est la garantie de transformation pour les mères face au dommage narcissique qu’elles ont subi. Permettre de ne pas conserver l’enfant mort comme unique objet d’amour et aider à lutter contre les images d’effacement au prix d’être en lien avec l’inconscient au sens qu’il abrite des souhaits de meurtre, de toute puissance souveraine et de crime, est une des qualités thérapeutiques de ce groupe. La haine va prendre le dessus sur la cruauté et l’aveu des mères de devenir violentes et meurtrières à l’égard de leur rivale, et particulièrement des femmes enceintes, est fait de sentiments de honte et de culpabilité déposés dans le groupe, espace de parole.
Lors d’une séance du groupe, une femme raconte qu’elle est très en colère contre sa cousine qui vient d’annoncer dans la famille avec fierté qu’elle est enceinte. Elle n’aime pas éprouver de tels sentiments, elle ne se reconnaît pas, elle, si douce et généreuse habituellement. Les autres femmes vont alors intervenir, l’une après l’autre pour crier elles aussi leur colère contre les femmes enceintes, qu’elle soient dans leur entourage, dans la famille ou au travail ; elles sont envieuses, haineuses et jalouses du bonheur des autres couples. La présence de femmes enceintes dans le groupe ne modifie en rien ce déferlement de violence qui nous traverse littéralement, corps et psyché. Pour accueillir ces paroles, ces sentiments si violents parfois, il nous est apparu très vite que nous devions « nous laisser affecter sans penser puis penser ce qui nous affecte » et accepter d’être utilisées comme un « objet malléable » dont Marion Milner puis René Roussillon en ont donné les principales qualités : l’indestructibilité (l’objet doit pouvoir être atteint et détruit, changer de forme mais il doit survivre), l’extrême sensibilité, l’indéfinie transformation, c’est-à-dire la capacité à prendre toutes les formes « Si le medium malléable doit être à la fois indestructible et extrêmement sensible, c’est qu’il doit pouvoir être indéfiniment transformable tout en restant lui-même : c’est là son autre paradoxe », la disponibilité permanente et le caractère vivant. Claire fait part au groupe des violences corporelles qu’elle se fait subir en s’arrachant le ventre et en se donnant des paires de claques pour tenter de transformer et d’extérioser cette violence subie : « je me sens basculer à tout moment dans le gouffre de la mort, dans la destruction, dans une cruauté absolue à l’égard des autres, de ma famille et de mes amis ; personne ne me comprend, je suis seule. Heureusement, au sein du groupe, je peux exister, être telle que je suis, maudite, monstrueuse et meurtrière, être entendue, et peut-être retrouver des semblables ». Ainsi, l’aveu au sein du groupe thérapeutique de ces représentations et de ces sentiments dans une capacité d’association libre rend possible pour chacune des participantes de se retrouver du côté de la mère, de la mère en détresse hurlant sa douleur, non plus de la mère meurtrière et cruelle : « se centrer sur soi, sur sa douleur pour retrouver dans ce temps de survie de la douceur et du recueillement ». L’inscription autour des dates est essentielle dans ce travail en groupe. La reconnaissance du temps et l’inscription par les dates d’accouchement présumés, les dates de l’annonce de la catastrophe, les dates des IMG et les dates d’accouchement réel, sont le fondement du groupe : « à l’annonce du diagnostic, je suis devenue une tombe ambulante, je n’oublierais jamais la date ». C’est en résonance avec cette question du temps qui s’écoule, que le groupe est proposé à des temps précis, réguliers, jamais annulés, pour que l’absence d’une des deux thérapeutes ne soit pas en lien avec la mort. La co-thérapie proposée peut être centrée sur le groupe, son existence, avec un seul thérapeute présent. D’après Michel Neyraut, « au commencement est le contre transfert ». C’est ainsi que pour chacune des thérapeutes, le travail a été de cheminer avec ses propres représentations individuelles de la mort, du deuil périnatal et de la folie maternelle primaire ordinaire. La position thérapeutique de ce couple maternelle/féminin est secur e pour les participantes car l’analyse des traces mnésiques pour chacun des thérapeutes dans un temps de post groupe est le garant de la continuité et de la vie de ce groupe, de sa dynamique et de son efficacité thérapeutique.
Pour les nouvelles grossesses qui s’engagent pour les femmes qui participent au groupe, ce dernier va avoir une fonction de portage et permettre de se centrer sur la possibilité de la question de la peur de l’oubli du blanc, du trou, du manque de l’enfant, de la crainte de l’effacement pour donner une place à l’absent et accueillir le nouveau venu. La grossesse qui était insouciante devient angoissante car comment seront-elles capables de donner naissance à un enfant bien vivant au sein de ce corps qui a été une sépulture ? Après 3 mois où elle n’a jamais évoqué le bébé qu’elle portait, Ariane annonce au groupe qu’elle est enceinte « Je ne pouvais pas vous en parler ni même y penser. J’attendais l’échographie des 3 mois. Je ne l’ai pas encore dit à ma famille, j’avais trop peur de ne jamais y arriver et de revivre la même chose ». Une autre maman du groupe associe sur son angoisse sidérante car elle arrive au terme où elle a perdu ses jumeaux. « Ne me parlez pas de ma grossesse, je ne pourrais pas le supporter, je vais mourir de peur ». En même temps elle éprouve un sentiment de culpabilité à l’égard du bébé à venir « je suis une mauvaise mère car je ne veux pas parler de lui ». Les autres mères interviennent alors et lui disent à l’unisson « Mais tu n’arrêtes pas d’en parler ». Alors elle se met à rire. Sans doute aurait-elle voulu en parler autrement qu’en terme d’angoisse voire d’effroi. Je lui demande ce qu’elle fait chez elle « Je tricote une petite couverture » dit-elle. Et elle ajoute « quelqu’un m’a demandé ce que c’était, il n’était pas au courant de ce qu’il m’était arrivé. Alors j’ai répondu « c’est pour le panier du chat » ». On perçoit bien comment la rêverie maternelle est vite entravée par des représentations terrifiantes. Elise qui a perdu son bébé il y a bientôt un an et qui vient régulièrement au groupe depuis plusieurs mois enchaîne « Je commence à avoir le désir d’un nouvel enfant, mon bébé mort est toujours là, il a bien sa place. Je suis terrorisée à l’idée même de la pensée de ce projet mais c’est déjà une étape ».
Les différents thèmes du groupe
Après chaque séance nous essayons de donner un titre évocateur des thèmes abordés dans le groupe. En voici quelques uns : les maudites, le manque de l’enfant, les traces de l’absence, les rituels, de l’échec au manque, les enfants aînés, les frères et sœurs endeuillés, la reprise du travail, refaire un bébé, le deuil et le couple, les conjoints, la nouvelle grossesse dans le groupe, destruction et violence, de deuils en deuils, la mère interrompue, les mères des mères et leur chagrin, la colère et la peur de l’effacement, le millefeuilles du deuil, la grossesse et le courage des femmes, le corps des femmes et les douleurs, l’invincible de la mort, la peur de mourir de la peur, aller simple pour le paradis, la peur de l’effacement… Parmi tous ces thèmes, celui de la colère et de la violence est très prégnant. En effet le groupe favorise tout particulièrement l’expression de ces affects toujours présents qui peuvent bloquer le processus d’élaboration du deuil lorsqu’ils restent enfouis.
La violence c’est celle que ces femmes vivent de ne pas avoir pu mettre au monde un enfant vivant bien portant, c’est celle de ne pas avoir pu rivaliser avec leurs mères, leurs sœurs, c’est celle de ne pas avoir pu accéder à un nouveau statut, de ne pas avoir pu créer une famille, de ne pas avoir pu donner un enfant à leur compagnon, la violence c’est celle d’avoir vu son enfant mort inerte, sans cri. La violence c’est aussi celle de ressentir de la haine en soi contre les autres femmes enceintes ou qui ont des bébés. Mais la violence c’est aussi celle de l’entourage, de la famille et de la société. La violence ce sont toutes ces remarques des plus blessantes et des plus aberrantes « vous êtes jeunes, vous en ferez d’autres », « il n’a pas vécu » ce à quoi répond une maman « Mais alors qu’est-ce que j’avais dans mon ventre ? Une chose ? », « c’est banal de perdre un bébé, presque toutes les femmes font des fausses-couches ! » « Recommence, retravaille, ça te fera du bien » « ça fait 15 jours, sois forte, tu me déçois » (parole d’une mère à sa fille) La violence faite par l’entourage, la société, que deviendra-t-elle si elle n’est pas accueillie par des professionnels capables de la recevoir sans être détruits ?
Quelques extraits de séances et de leur processus
C’est vendredi. Il est 12h30. Plusieurs mères participent au groupe. C’est la première fois que Lise vient au groupe des mères endeuillées. C’est une jeune femme très frêle, toute pâle. Elle cache ses mains. Plus tard elle nous apprendra qu’elle avait des malformations à la naissance et qu’elle a dû subir de nombreuses opérations. Elle vient au groupe car elle a eu une IMG à 7 mois de grossesse. Elle avait retardé le plus possible cette décision car elle gardait l’espoir. Elle nous raconte « On m’avait posé un drain, j’ai fait une infection puis une péritonite suivie d’une embolie pulmonaire. J’ai failli mourir. » Elle nous dit que sa mère ne l’a pas soutenue, et que pendant toute la grossesse elle allait sans cesse voir l’équipe du diagnostic anténatal en demandant qu’on fasse une IMG à sa fille. C’était très dur pour Elise qui a toujours eu des relations difficiles avec sa mère sans trop comprendre pourquoi. « D’ailleurs elle ne parle que d’IMG et jamais de la petite fille qui est morte » nous dit-elle. Elle nous dit qu’un jour sa mère lui a lancé « Si j’avais su pour toi, j’aurais avorté ». Elise est triste et en colère. Une mère du groupe lui dit alors « Peut-être que cela a été dur pour elle de te faire subir toutes ces interventions chirurgicales. Elle aurait sans doute voulu t’épargner cette souffrance ». Lise écoute, un peu perplexe devant la remarque de cette maman. Elle revient la semaine suivante. Elle est transformée, vivante, plus jolie. Elle a parlé à sa mère, lui a dit ce qu’elle ressentait et qu’elle ne pouvait accepter qu’elle se comporte ainsi. Sa mère, pour la première fois lui a raconté les différentes interventions qu’elle a subies quand elle était bébé. Elle a pu lui dire la douleur qu’elle éprouvait à voir sa petite fille souffrir, se sentant totalement impuissante à l’apaiser. Sa mère est devenue plus proche et au lieu de parler d’IMG, elle parle maintenant de sa petite fille.
Sonia vient au groupe après la mort de son bébé pendant la grossesse. Elle entend des femmes raconter qu’elles ont vu leur bébé mort. « Moi, je n’ai pas voulu dit-elle car mon petit frère est mort à 2 ans et je l’ai accompagné jusqu’au bout et quand je me suis toujours dit que je ne reverrai jamais un enfant mort ». Avec beaucoup de douleur elle raconte les deux années de vie de son petit frère. Les femmes du groupe l’écoutent attentivement « C’est surtout moi qui m’en occupais, j’allais à l’hopital lui donner à manger car il ne voulait manger qu’avec moi ». Elle avait 8 ans. On perçoit que très tôt elle a du porter toute sa famille et qu’elle ne demande jamais d’aide à personne. Au groupe elle dit qu’elle est forte et qu’elle va surmonter la mort de son bébé. Les autres mamans du groupe interviennent « Tu ne peux pas tout porter » lui dit l’une d’entre elles « Tu a le droit de te laisser aller à ton chagrin » lui lance une autre. Elle va alors réaliser qu’elle fait porter beaucoup de choses à sa petite fille de 5 ans tout comme on l’a fait avec elle. Quand Sonia revient au groupe elle est transformée. Elle est allée voir sa mère et lui a parlé. Elle n’aurait jamais osé sans l’intervention du groupe. Elle s’est maintenant rapprochée de sa mère qui essaie de reprendre son rôle et de la soutenir.
Conclusion
Malgré ce que laisse entendre le poète « Avec le temps va, tout s’en va », le groupe des mères endeuillées affirme le contraire, le temps ne fait rien à l’affaire. Si la parole n’existe pas alors la distance ne permet pas de constituer un objet commun sur lequel pourra se faire le deuil et créer ainsi la nostalgie qui s’organise autour du manque. La douleur, la colère, la honte, la culpabilité, tous ces sentiments perdurent et empêchent le deuil et la reprise des processus de vie. Le temps ne pourra faire son œuvre qu’à la condition de permettre une élaboration du vécu traumatique de la perte du bébé. Si on sait accompagner ces mères, si on les aide à survivre et à retrouver du vivant en soi, on peut être très surpris par leur créativité psychique et les formidables mouvements de construction-co-construction-reconstruction psychiques qu’elles déploient devant nous.
Cette approche groupale constitue à nos yeux un formidable travail de prévention des deuils pathologiques, des grossesses ultérieures, des enfants qui naîtront après mais aussi des enfants déjà là. La rythmicité du groupe, du fait des rencontres hebdomadaires scande le temps du deuil et interroge le processus au travail ; ainsi tous les vendredis à la même heure, dans le même lieu, des mères endeuillées se retrouvent et partagent sans pudeur, dans l’intimité, leur souffrance, leur violence et leur peur en présence de deux thérapeutes. Le groupe a également un rôle important pour les couples. Souvent les femmes sont dans l’incompréhension ou la colère face aux réactions de leurs conjoints. Là aussi, la mise en commun de leurs ressentis leur permet de concevoir qu’un homme qui souffre peut avoir une manière différente de la leur pour survivre à la perte de leur bébé et aux angoisses qu’ils ont eu de perdre leur femme. Plus le fœtus a un statut, une existence, une identité plus il va permettre et faciliter la capacité de la mère à faire le deuil d’un objet séparé d’elle, un deuil dit objectal. Le groupe est un moment où les femmes peuvent parler de leur bébé et le faire exister. D’ailleurs quand elles reprennent leur activité professionnelle, elles demandent à ne pas travailler le vendredi, c’est le temps de leur bébé mortem lieu de sépulture.
Bibliographie
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