D’où vient ce que Freud a pu nous apprendre de la dépression, et ce que la psychanalyse nous en dit ? Bien sûr, de l’expérience clinique elle-même, et de la lisibilité qu’y introduit l’hypothèse de l’inconscient ; bien sûr, de la pratique de la cure de parole avec des sujets déprimés ; mais au-delà du divan, ou en deçà, à partir de quelles théories et de quelles expériences psychiatriques précises Freud, et les psychanalystes après lui, ont-ils historiquement construit leurs représentations théoriques de la « dépression » ? Comment l’expérience dépressive apparaît-elle dans le regard psychanalytique ?
C’est une question d’autant plus importante qu’en décalage avec la pratique quotidienne, les premiers psychanalystes n’ont pas manqué de remarquer que les états de dépression n’ont pas été l’objet de la même attention (Abraham, 1912), de la part de Freud, que les « états d’angoisse névrotiques » – sorte de négligence du fondateur de la psychanalyse, qui donnerait le privilège au paradigme de la névrose, comme si la reconnaissance de l’angoisse devait porter ombrage à celle de la dépressivité.
Le privilège a ses raisons ; il tient au fait que l’état dépressif est souvent saisi par Freud comme un simple symptôme, assujetti à la logique névrotique qui le détermine et dont il n’est qu’une manifestation plus ou moins transitoire. La dimension dépressive est pourtant bien présente, remarquons-le, de façon manifeste ou latente, mais pour ainsi dire ubiquitaire, dans pratiquement tous les grands cas publiés, et dans de multiples textes théoriques scandant les grandes avancées métapsychologiques. Il y a en effet de nombreuses notations dans l’œuvre de Freud qui invitent à se pencher sur l’importance qu’il donne malgré tout à l’expérience dépressive, et les différentes « logiques de la dépression » qu’il tend progressivement à y départager.