Les soignants et l’accueil de la mort périnatale : entre angoisse et anticipation
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Les soignants et l’accueil de la mort périnatale : entre angoisse et anticipation

La mobilisation importante des soignants, lors d’un séminaire récent sur le deuil périnatal organisé par le service de pédopsychiatrie de Necker, montre, qu’outre la fascination pour la mort, les soignants sont en demande d’une réflexion sur le deuil périnatal et d’une élaboration autour des prises en charges des patientes confrontées à la perte de leur bébé autour de la naissance. Alors même que le mouvement spontané des équipes soignantes tend à se focaliser sur le développement fœtal et le vécu des parents, il semble essentiel de ne pas isoler le vécu comportemental, émotionnel et fantasmatique des soignants de celui des patients puisque se joue un jeu interactionnel complexe entre les différents protagonistes : les émotions des uns entrent inévitablement en résonnance avec celles des autres. Les acteurs du soin autour du fœtus n’échappent pas aux angoisses archaïques et à la violence fondamentale mobilisée par ce contenu utérin, inquiétant et familier à la fois. Car le fœtus, objet de soin, est également un objet nostalgique venant raviver en chacun son histoire prénatale : « cet étrangement inquiétant est l’entrée de l’antique terre natale du petit d’homme, du lieu dans lequel chacun a séjourné une fois et d’abord » (Freud, 1919).

1 – Les soignants et la mort en maternité

Les situations de mort peuvent être plus ou moins soudaines, plus ou moins attendues : la mort fœtale in utero (MFIU), qui surprend par sa brutalité, empêche toute anticipation puisqu’elle survient alors que la grossesse s’est déroulée sans encombre jusqu’à la découverte de l’arrêt de l’activité cardiaque fœtale. Au sentiment fugace d’effondrement – agonies primitives de Winnicott-éprouvé par certaines sages-femmes au moment du diagnostic peut s’ajouter un sentiment de culpabilité s’il existe un doute sur une défaillance professionnelle, venant interroger le paternalisme médical en vigueur. Contrairement à ces situations de mort fœtale où prédomine un sentiment de solitude, les situations d’interruption médicale de grossesse (IMG) sont portées par toute une équipe pluridisciplinaire. La présence d’un centre de diagnostic anténatal au sein même de la maternité rappelle que la malformation fœtale n’est pas que fantasmée et implique une sensibilisation des équipes à cette réalité qui ne peut être totalement refoulée. Une réflexion pluridisciplinaire constante, synonyme d’une anticipation institutionnelle par l’élaboration de protocoles régulièrement revisités, permettra aux sages-femmes de rencontrer les parents dans leur souffrance et de leur offrir un accompagnement contenant. Ainsi, les interruptions médicales de grossesse s’inscrivent dans un processus décisionnel favorisant, contrairement aux morts fœtales, une anticipation ; préparation des parents et anticipation à l’accueil du bébé décédé lorsque la date de l’IMG est posée et anticipation soignante avec l’organisation institutionnelle de l’IMG. Parfois, le choix des parents va dans le sens de l’accueil de leur bébé avec un projet d’accompagnement palliatif ; là encore, l’anticipation est de rigueur tant d’un point de vue parental que médical : les parents rencontrent à plusieurs reprises l’équipe de néonatologistes en anténatal suite aux staffs pluridisciplinaires qui ont pour fonction de préparer l’accueil particulier de ce bébé qui ne va pas vivre.

Le fonctionnement de tout service hospitalier est régi par des protocoles de conduites à tenir, protocoles issus d’une réflexion pluridisciplinaire encadrant la prise en charge des patientes. Mais ces protocoles ne mettent pas à l’abri de l’irruption de la mort, ce que les soignants perçoivent bien et expriment par un sentiment d’angoisse car la situation la plus étrangement inquiétante, mêlée à l’effroyable est caractérisée par la relation à la mort mais « il y a dans notre inconscient actuel aussi peu de place que jadis pour la représentation de notre propre mortalité » (Freud, 1919). Les soignants ne sont donc pas épargnés par cette angoisse sous-jacente, toujours singulière et évolutive pour chaque sujet, qui se distribue le long d’un continuum entre deux polarités opposées : d’un côté, elle fait symptôme suite à l’effraction du moi devant un danger venant de l’extérieur : c’est l’angoisse automatique ou traumatique qui sanctionne et succède au débordement des capacités défensives insuffisantes du moi. De l’autre, le signal d’angoisse précède le possible évènement tragique : il est mobilisateur pour le sujet et précurseur d’une anticipation créatrice protectrice (Freud, 1926). Ce scénario implique nécessairement que l’institution soutienne et rende possible, en termes de moyens, cet apprivoisement des angoisses traumatiques au profit de la conquête d’une culture de l’angoisse signal.

2 – De la réalité médicale à la réalité psychique

En effet, objet malléable pour les parents, le fœtus l’est également pour les soignants : objet en voie d’humanisation au fil de la grossesse, objet d’investigation scientifique lorsqu’il est confronté à la maladie, il devient alors objet de lutte ou objet à éliminer lorsqu’il est trop monstrueux. Le fœtus, investi narcissiquement par la mère fait nécessairement l’objet d’amour et de haine. Lorsqu’une anomalie est suspectée et qu’une interruption de grossesse est évoquée, vont se côtoyer dans l’inconscient maternel et parental des mouvements destructeurs à l’égard d’un objet non-moi avec un investissement positif d’un bébé créé, fut-il encore fœtus médicalement. Le risque d’évolution pathogène par destruction est à craindre, augmenté de celui d’un deuil pathologique si un minimum de temporalité psychique n’est pas respecté pour permettre une liaison entre les pulsions destructrices et les pulsions libidinales ainsi qu’une symbolisation créatrice.

Dans un premier temps suite à l’annonce de l’anomalie, les femmes ont besoin de maintenir clivées les représentations d’un fœtus malade, abîmé, inhumain voire monstrueux à enlever d’urgence avec celles d’un bébé parfait, vivant et en bonne santé. L’introduction d’un espace psychique de pensée est alors nécessaire pour réunir ces deux figures et accéder à une figure de bébé chargée d’ambivalence par la création d’un compromis entre le bébé idéalisé que porte toute femme enceinte et le fœtus malade de la réalité extérieure, et arriver ainsi à un bébé ordinaire malade. Alors seulement un deuil sera possible : ayant survécu à l’amour maternel comme à la destruction imaginaire, ce nouvel objet créé sera fondateur d’une possibilité de deuil. Mais le délai nécessaire à ce travail psychique peut être vécu comme insupportable du fait de l’état de tension qu’il génère et peut provoquer, tant chez les parents que chez les soignants, une décharge aboutissant à un passage à l’acte – par une mise en acte de l’interruption : notamment lorsque le diagnostic de la pathologie fœtale fait consensus, il peut être difficile de ne pas répondre à la demande urgente des parents. Mais empêcher ce travail psychique de liaison en répondant à l’urgence par l’urgence ne fait que répéter la situation traumatique, en attente de scénarisation : « le traumatisme dont un sujet est porteur est contagieux du fait qu’il pousse à l’extériorisation et à la répétition » (Aubert Godart, 2008). Pour éviter une confusion entre réalité médicale et réalité psychique, introduire un espace de pensée pour les parents implique l’introduction d’une temporalité également pour les soignants, qui n’est rendue possible qu’au prix d’une élaboration des projections défensives à l’œuvre également chez les soignants.

Boltanski (2004) dans l’étude sociologique qu’il lui a consacrée, met au jour les deux statuts entre lesquels oscille le fœtus. Au fœtus « authentique », valorisé, adopté par les parents et institué en tant que futur être humain par la parole s’oppose le fœtus « tumoral », accidentel, qui ne fera pas l’objet d’un projet de vie. Dans le cadre particulier du diagnostic anténatal, il conclut que le fœtus est inclassable ou constitue un cas litigieux. Contrairement à ce que suggère Boltanski, Allamel-Raffin et al. (2008) relèvent, à travers l’analyse du discours des soignants chargés d’accompagner les patientes, l’existence d’une catégorisation pour le fœtus. Les auteurs constatent la géométrie variable de ce statut selon les acteurs et le moment où l’on se place dans le processus de réalisation de l’IMG : jusqu’à la formulation d’un diagnostic, le fœtus est pleinement perçu comme « authentique » par les parents et les soignants ; il est investi comme un enfant en devenir. Alors qu’il conserve ce statut pour les soignants à l’annonce d’une anomalie, il devient « tumoral » pour les parents ; et il s’agit alors de s’en débarrasser au plus vite. C’est la contradiction que relève Golse (2002) où le fœtus, fortement investi pendant la grossesse par les parents, peut être brutalement désinvesti lorsqu’une anomalie fœtale est diagnostiquée. Le rôle des soignants, par des pratiques ritualisées visant à humaniser le fœtus, va alors consister à encourager les parents à revenir vers une représentation « authentique » plus favorable au déroulement du travail de deuil. Soubieux (2008) cependant, s’interroge sur le bien-fondé de telles pratiques. Son expérience révèle en effet, combien il est difficile de savoir ce qu’un fœtus représente pour une mère, un père, l’un et l’autre pouvant même lui donner un statut différent. Nous sommes là au cœur de la spécificité de la problématique du deuil périnatal.

La situation clinique suivante illustre l’interaction complexe de ce qui peut se jouer dans ces situations où les représentations conscientes et inconscientes parentales viennent rencontrer celles des soignants. Mme A. est enceinte de sa 4ème grossesse. Son premier enfant, décédé à l’âge de 2 ans d’un syndrome polymalformatif révèle au couple qu’ils sont porteurs d’une anomalie génétique pour laquelle le risque de transmission est statistiquement d’une grossesse sur 4. La grossesse suivante donne naissance à un garçon en bonne santé. S’ensuit une autre grossesse ; le diagnostic anténatal montre que le fœtus est porteur de l’anomalie et la grossesse est interrompue. Rapidement, le couple démarre une nouvelle grossesse et à nouveau, le fœtus s’avère être également porteur de l’anomalie. Du fait de la précocité du diagnostic, la possibilité d’une interruption de grossesse par aspiration est possible ; ce qui est proposé à la patiente pour lui éviter l’épreuve d’un accouchement, mais dans une certaine urgence pour que techniquement le geste soit réalisable. Peut-être aussi comme s’il fallait effacer l’insupportable des aléas statistiques ? Celle-ci refuse et sollicite du temps pour pouvoir penser ce bébé, certes porteur de l’anomalie génétique et préfère envisager l’accouchement, pour pouvoir rencontrer son bébé, ce qui suscite l’interrogation des soignants. Cette situation montre combien la réalité médicale peut différer de la réalité intrapsychique de la patiente : le fœtus de 13 SA à éliminer du fait de sa pathologie grave pour les médecins était pour la femme un bébé en devenir qu’elle voulait rencontrer pour pouvoir l’inscrire dans l’histoire familiale et mieux pouvoir s’en séparer secondairement. Répondre dans l’urgence à l’insupportable ne ferait dans ce cas que majorer l’effet traumatique de l’annonce d’une nouvelle atteinte et empêcherait toute élaboration créative permettant l’inscription symbolique de cette grossesse et ce bébé dans la psyché maternelle. Le maintien d’un espace où s’enracine la pensée va permettre à la patiente de désinvestir l’objet et d’introjecter ses qualités au lieu de répéter la violence traumatique pour se débarrasser d’un excès de tension insupportable.

3 – Voir ou ne pas voir ? telle est la question…

La réflexion sur les pratiques actuelles est active et des publications récentes méritent d’être relevées : D. Memmi (2011), dans son ouvrage « La seconde vie des bébés morts », constate une évolution notable des pratiques entourant les pertes périnatales depuis 1990. En effet en l’espace de 10 ans, les pratiques entourant la mort du fœtus ont été révolutionnées, passant d’un silence (accoucher sous anesthésie générale, ne pas voir) à un faire voir, proposer des obsèques, une photo, inscrire sur le livret de famille… Les initiateurs de ce changement, E. Lewis en 1971 aux USA et P. Rousseau en 1994 en Belgique, se sont appuyés sur leur clinique pour révéler combien pouvait être délétère pour les femmes ce « blanc » autour de la naissance de leur enfant mort. L’évolution des pratiques s’est poursuivie grâce au travail des équipes pluridisciplinaires et aux réflexions des « psy » ; compte tenu de la spécificité du deuil périnatal, pour lequel le travail de deuil est rendu complexe du fait de la « non-existence » de l’objet perdu, la mise en réalité viendrait favoriser cette reconnaissance et contribuer ainsi au processus de deuil. Cependant, D. Memmi (2011) constate que la corrélation entre l’incarnation et le niveau de deuil ne se vérifie pas ; il existe alors une contradiction entre le « caractère relativement indécidable scientifiquement de ce qui est pourtant devenu une évidence clinique ». Cette évolution n’est pas tant liée à une demande sociale collective qu’à une mise en pratique des réflexions théoriques sur le deuil périnatal ; évolution qui a rencontré une satisfaction auprès des parents. Que l’étude de Hughes et al. (2002) viennent questionner ces changements en révélant le risque de morbidité maternelle à moyen terme, cela permet de questionner les protocoles en cours et de garder une clinique vivante. Cependant, critiquée par Cacciatore et al. (2008), cette étude montre que l’impact traumatique n’est pas uniquement lié au fait de voir ou ne pas voir. Radestad et al. (1996), soulignent d’autres éléments tels que le fait de ne pas garder le bébé aussi longtemps que souhaité, la pratique de rituels ou l’existence de souvenirs. Interviennent également le contexte socioculturel (absence de vie maritale, jeune âge des patientes, faible niveau d’éducation) et l’histoire obstétricale de la femme (parité élevée au moment de la perte, absence de grossesse suivante, interruption médicale de grossesse). C’est donc de manière plus globale qu’il faut considérer les pratiques, sans oublier la dimension inconsciente et les représentations inévitablement mobilisées. Car les représentations que se font les parents, tant individuellement que conjugalement, de la grossesse et du foetus-bébé s’inscrivent dans un continuum allant « de quelque part entre rien et tout, entre chose et personne dans le processus continu de l’humanisation » (Missonnier, 2009). La ritualisation doit donc être adaptée, autant que faire se peut, à la maturation des parents, au risque d’être traumatique s’il y a un décalage trop important entre réalité extérieure et réalité psychique.

Une autre étude sur le sujet a retenu notre attention : Erlandsson et al. (2013) ont interrogé des femmes ayant vécu une perte fœtale après 23 SA sur le fait de voir ou non leur fœtus décédé. Dans 51% des cas, l’équipe a fait la demande aux mères, dans 26% des cas le bébé leur a été présenté de manière naturelle sans leur demander préalablement, dans 15% des cas, c’est la mère qui a demandé et les 11% restant représente les mères qui l’ont fait d’elles-mêmes sans demander. Il ressort que si les femmes se sont vues présenter leur bébé spontanément sans qu’aucune demande ne leur soit faite, elles le vivent positivement, comme quelque chose de naturel. En revanche, le fait de leur poser la question ouvre la porte à la peur, à l’appréhension et au refus. Ces résultats sont intéressants car ils viennent présenter sous un autre angle les pratiques actuelles et introduisent la position du soignant avec le rôle important qu’il joue à ce moment-là. Le débat qui portait sur l’impact bénéfique ou non de voir ou de ne pas voir le bébé décédé, sur le fait de poser la question aux mères sur ce qu’elles souhaitent, se déplace sur l’interaction Soignant-Mère-Fœtus/bébé ; là, lorsque la présentation du bébé est faite spontanément comme quelque chose de naturel, les femmes le vivent positivement. Les auteurs prennent en compte l’attitude du professionnel ; l’aisance du soignant normaliserait un désir naturel de toute mère de voir son bébé, même décédé. Pose-t-on la question à une mère de voir son bébé lorsque celui-ci est vivant ? Interroger une mère sur son désir lorsque le bébé est décédé renverrait à quelque chose d’anormal et ouvrirait nécessairement la porte à l’effroi et au refus. Les équipes savent bien que la réponse spontanée des mères à la possibilité de voir leur bébé mort est souvent négative dans un premier temps. Secondairement, lorsque les mères sortent de l’état de sidération lié à l’annonce et qu’une pensée se remet en marche, leur demande évolue. Nombreuses sont celles qui souhaitent rencontrer leur bébé, même décédé ; et rares sont celles qui le regrettent. Notre clinique nous montre d’ailleurs qu’à distance, les femmes qui n’ont pas vu leur bébé expriment fréquemment un sentiment de culpabilité, comme si le fait de ne pas l’avoir vu revenait à l’avoir abandonné ; abandonné une deuxième fois notamment dans les interruptions médicales de grossesse où la décision de mettre fin à la vie du fœtus peut déjà susciter ce sentiment de mère pas « suffisamment bonne ».

Enfin, l’intérêt de la publication de Erlandsson et al. (2013) réside dans la prise en compte du rôle de l’équipe soignante dans l’accompagnement des patientes endeuillées. Les soignants ne sont pas épargnés par l’impact potentiellement traumatisant de l’accueil d’un bébé mort (de Wailly-Galembert, Vernier, Rossigneux-Delage et Missonnier, 2012). La représentation qu’ils en ont est marquée par le filtre de la lecture médicale d’une part mais aussi ils accompagnent les patientes avec leur histoire, histoire infantile certes mais histoire prénatale également ; le respect de l’application d’un protocole ne sera pas une barrière suffisante face à l’émergence inévitable des représentations inconscientes à l’œuvre également chez les soignants. Il peut arriver que les soignants éprouvent de la gêne devant la réalité d’un bébé décédé ou que la malformation suscite le silence ou l’évitement. Ces facteurs défensifs vont influencer l’accompagnement que les soignants seront à même de proposer aux patientes et peuvent provoquer chez la mère un sentiment d’abandon, de dévalorisation voire de culpabilité déjà inhérent à la perte de l’enfant. L’élaboration des affects et des représentations mobilisées chez les soignants permettra un accompagnement empathique et bienveillant, contribuant à une rencontre harmonieuse entre la mère et son bébé. C’est donc dans un jeu interactif complexe que se joue, de manière comportementale certes mais fantasmatique également, l’accueil de la mort dans le temps de la naissance.

Conclusion

Dans ce corps à corps avec l’intime, la naissance, la mort, le sexuel, les soignants sentent bien que les protocoles élaborés en équipe sont nécessaires mais pas suffisants pour faire face aux expériences émotionnelles et fantasmatiques mobilisées. Reprenant le concept d’appareil à penser les pensées élaboré par Bion (1962), les angoisses archaïques mobilisées ainsi que les excitations traumatiques devront nécessairement être transformées, élaborées pour que le soignant puisse assurer sa fonction de contenance face aux couples. Les impressions sensorielles et les expériences émotionnelles perçues vont devoir être converties en quelque chose de pensable pour accompagner l’autre dans sa souffrance ; en repérant les mécanismes d’identification projective, le soignant pourra se dégager de la violence vécue des parents (chagrin, colère voire haine) et leur apporter un soutien contenant.

Notre pratique professionnelle en institution révèle combien il est difficile pour les soignants de prendre le temps de s’extraire de l’activité incessante du service pour penser sa pratique, en dépit d’une souffrance exprimée. Ainsi, compte tenu de la stéréophonie des émotions autour du périnatal et de la reviviscence nostalgique inévitable des angoisses archaïques et la violence fondamentale associée, il nous semble important de pouvoir proposer un espace d’élaboration à la traumatophilie soignante (Missonnier, 2009). Alors que l’intérêt d’un accompagnement psychologique est largement reconnu par les soignants et sollicité pour les patientes, cet intérêt diminue subitement lorsqu’il s’agit de s’occuper des soignants et de s’intéresser à ce qu’ils vivent et éprouvent : pudeur, crainte de passer pour faible, se dévoiler devant les autres, perdre son temps… les raisons consciemment évoquées sont multiples. Même si la formation médicale des acteurs de santé est effectivement centrée sur le faire, associé à une activité importante dans les services, c’est une « culture » qui peut se développer, par une présence discrète dans la durée. L’écoute bienveillante et la disponibilité psychique du psychologue finit par être entendue et permet de recevoir les angoisses, les projections des soignants pour les transformer en quelque chose de pensable.

Bibliographie

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