Franz Anton Mesmer (1734-1815), fils du grand veneur de l’archevêque de Constance, accompagnait souvent son père lors des chasses qu’il organisait à la demande de l’ecclésiastique. Enfant prodige, il y faisait déjà merveille par ses talents de sourcier. Son charme et ses dons, son « magnétisme génétique » hérité peu-têtre des orages de la nuit où il fut conçu et de l’excitation animale goûtée lors de la chasse, lui firent bénéficier très tôt de l’affection et de la protection de l’étrange archevêque qui l’enrôla chez les Jésuites à l’université d’Ingolstadt d’où il sortit docteur emeritus studiosus en philosophie. La passion de savoir de ce fils de domestique promis à un changement de classe de par la grâce de ses talents et de ses charmes, le fit devenir aussi docteur en théologie avant d’entamer à Vienne des études de droit et de médecine. Il s’intéressa de plus et très rapidement à l’alchimie au sein de sociétés ésotériques et s’engagea très tôt et résolument aux côtés des francs-maçons.
En 1766, à l’âge de 32 ans, Messmer passe sa thèse De planetarum inflexu, proposant une réflexion sur l’influence des planètes sur les maladies humaines. À l’origine de ce travail doctoral, on retrouve, si l’on en croit la légende, l’épisode biographique suivant : alors que Mesmer assiste dans ses consultations un médecin célèbre de l’époque, il remarque que quand il tient la palette des saignées, le sang coule abondamment, alors que lorsqu’il s’absente pour changer de palette, le flux sanguin s’arrête. Il ne lui faut pas plus que cette révélation du pouvoir de sa présence physique ; du fluide magnétique de son corps propre, sur les fluides ; ou de cette pensée magique pour susciter une vocation qui n’allait pas se démentir.
En épousant (et en abandonnant rapidement) Mme veuve baronne Von Bosh et ses 30 000 florins de rente, il assoit les conditions financières de son ambition. Il élève son niveau de vie en organisant des soirées festives dans les jardins de sa maison de la Landstrasse, le fameux château du Belvédère à Vienne. Celles-ci brassent la haute société de la ville qui vient assister aux concerts de musiciens célèbres : Haydn, Puccini, Mozart. Mesmer y fait la connaissance du père jésuite Hell (sic, le démon n’est jamais bien loin), qui joua un rôle considérable dans son apprentissage en lui suggérant que l’influence des corps célestes pouvait s’apparenter au magnétisme observé avec les aimants.
Quelques mois plus tard survient l’épisode inaugural qui renforce la réputation des deux comparses : au cours d’un séjour à Vienne, Lady Wilcox, jeune anglaise proche de Marie-Thérèse d’Autriche, tombe malade, se plaignant de violentes douleurs épigastriques et de vomissements. Apprenant que son médecin anglais soulage ces manifestations par l’apposition d’un aimant sur l’estomac, on cherche donc un aimant auprès du père Hell qui invite Mesmer à aller l’apposer lui-même. Le succès thérapeutique est immédiat et la nouvelle fait rapidement le tour de Vienne. Mesmer s’aperçoit qu’en définitive l’aimant n’est d’aucune utilité, ayant renouvelé l’expérience chez une autre patiente avec autant de succès et sans aimant… sans cet aimant-là. L’idée d’un fluide naturel du corps, qui pourrait être transmis d’un sujet à un autre commence à faire son chemin… On est encore loin de la pensée du transfert.
L’aura du médecin, sa persuasion, son ambition d’accéder à la notoriété, la subtilité de la mise en scène du contact corporel médecin-malade, la suggestibilité des patientes sont autant d’éléments indispensables à la guérison d’une somatisation anxieuse dans un contexte qu’on suppose probablement hystérique. Mesmer s’approche lui-même sensiblement de cette explication en opposant, au magnétisme minéral de l’aimant du père Hell, son propre magnétisme animal, même s’il se fait confectionner une chemise spéciale de couleur violette, décorée de multiples étoiles dessinant une superbe voie lactée et munie de pochettes pouvant accueillir des aimants afin que son fluide magnétique ne s’épuise pas.
Si le succès public est immédiat, emplissant ses cabinets de consultations, la reconnaissance scientifique lui fait cruellement défaut. Afin de satisfaire sa clientèle viennoise, dont la guérison est moins bonne en l’absence du maître, Mesmer s’attelle à la réalisation de son fameux baquet1. Pseudo-machine électrostatique, ce récipient est empli de sidérite, de fer pilé, de limaille de fer, de sable, et surtout de vingt bouteilles d’eau magnétisée. Il est muni de câbles en fer recourbés dont l’extrémité des tiges est placée sur les régions malades du patient. Ce baquet permet à Mesmer de donner une concrétisation physique à son pouvoir thérapeutique pour le mettre à l’abri de toute accusation d’exorcisme… tout en multipliant ses honoraires déjà fort élevés. Il commence dans le même esprit à théoriser les expériences singulières qu’il provoque et observe, évoquant en vrac « la périodicité ancestrale des crises, l’importance de l’eau ferrugineuse (sic) pour provoquer une marée artificielle », mais surtout la possibilité de suggérer la réapparition d’un symptôme chez une patiente traitée. La suggestibilité des patientes hystériques, ainsi mise en évidence, participe à renvoyer aux limbes les conceptions antérieures de possession démoniaque. D’autant que les premières découvertes sur l’électricité donnaient une caution « scientifique » aux théories des fluides : le Baquet semble une copie évidente de la bouteille de Leyde qui venait d’être inventée. Très rapidement les consultations du maître deviennent de véritables spectacles auxquels sont conviés de nombreuses personnalités, et vont s’agrémentent d’authentiques séances d’hypnose, tout ceci bien avant Charcot et ses non moins célèbres consultations du mardi.
Il a beaucoup moins de chance dans le traitement de la cécité qui frappait depuis l’âge de trois ans Madame « Paradis » (re-sic), dont la marraine n’était autre que Marie-Thérèse d’Autriche. Il ne parvient pas à améliorer la vue de Mme Paradis, patiente difficile et tenace, dont on dit qu’elle a subi sans effet plus de trois mille décharges électriques. Une rumeur portant sur la nature amoureuse des relations entre le médecin et sa patiente lui fait quitter Vienne… probablement pour méditer sur le transfert, les déplacements, la réaction thérapeutique négative, le sadisme et le masochisme… Mesmer arrive à Paris en 1778, le Paris prérévolutionnaire du comte de Saint-Germain et de Joseph Balsamo, qui prêt à tout écouter et à tout accepter, emplit ses cabinets de consultations. S’y précipitent, entre autres, Mme de Malmaison, la Du Barry et beaucoup de jeunes médecins enthousiastes.
Mesmer entreprend ensuite un périple en Europe : Allemagne, Suisse, Autriche, au cours duquel il rencontre un personnage important, dont le nom restera dans l’histoire comme le « mentor de l’hypnose » : le marquis de Puy Ségur. Celui-ci reconnaîtra tout ce qu’il devait à Mesmer, lorsqu’il établira sa théorie du somnambulisme artificiel, prolégomènes au futur hypnotisme. Mesmer ne saisira pas l’importance des « accès de somnambulisme » pourtant visibles chez ces patients autour du baquet. C’est Puységur puis Charcot puis Freud qui développeront l’étude de ces phénomènes hypnotiques. Mesmer ne voyant en l’état somnambulique qu’une « fuite de la convulsion guérissante ».
Dans son recueil sur la théorie du monde rédigé vers la fin de sa vie, à Constance où il s’est retiré, Mesmer écrit ces quelques lignes qui montrent sa crainte qu’on n’infère une origine satanique à ses pouvoirs, et son intuition que ceux-ci étaient essentiellement imputables à sa puissance de suggestion et de persuasion sur ses patients : « J’ai peut-être eu tort de traiter toutes les maladies par le magnétisme, les maladies nerveuses étant celles qui me donnaient le plus de résultat, (…) la thérapeutique magnétique ne s’apprend pas, elle est inspirée, elle s’applique à des malades pour lesquels les remèdes sont impuissants ou funestes, mais chez qui l’imagination travaille favorablement », Freud n’a pas dit mieux lorsqu’il évoquait les limites de sa « sorcière métapsychologique » et les résultats positifs plus fréquents chez ceux qui avaient subi des traumas dans l’enfance comparativement à ceux chez qui il soupçonnait une prédisposition organique.
Pierre Janet dira : « L’hypnotisme est sorti de l’ancien magnétisme animal de Mesmer, qui n’était pas autre chose que la production artificielle de somnambulisme ». Sigmund Freud avoua, quant à lui, en 1911 : « Je suis en droit de dire que la psychanalyse ne date que du jour où l’on a renoncé d’avoir recours à l’hypnose (…) c’est la psychanalyse qui gère maintenant l’héritage de l’hypnotisme ». Cette gestion, c’est à la fois le rejet d’une explication surnaturelle des phénomènes psychiques relationnels, en action dans la psychothérapie, avec en arrière-fond la vision d’une possession démoniaque dans la transe, et l’introduction d’une modalité thérapeutique, la psychanalyse qui fait la place à la mentalisation et à l’élaboration au détriment de la catharsis et de l’abréaction, prodiguées par l’hypnose, ces dernières n’empêchant pas les rechutes puisque produites sans la participation active du patient.
Finissons sur un point, en ces temps de crépuscule de la psychanalyse et de retour d’un engouement sous diverses formes (EMDR,…) pour l’hypnose. Ce point est celui de l’érotisation induite et sa circularité…et l’analyse de celle-ci en regard du transfert. Nous renvoyons les lecteurs intéressés à la lecture du rapport de la commission d’enquête nommée par le Roi en 1874 [y figuraient Benjamin Franklin, Bailly, Lavoisier…et Guillotin (sic)] qui note que ce sont toujours des hommes qui magnétisent des femmes qui y viennent par « oisiveté et amusement » ou pour quelques « incommodités » : « elles ont assez de charme pour agir sur le médecin et assez de santé pour que le médecin agisse sur elles : alors le danger est réciproque ; (…) des sens s’allument, l’imagination qui agit en même temps, répand un certain désordre dans toute la machine, elle écarte l’attention et suspend le jugement. Suit la description de la « crise magnétique » qui n’a rien à envier à la « grande crise hystérique » que Freud osera qualifier d’équivalent orgasmique.
Avec la vie extraordinaire de Mesmer, c’est l’histoire morale et l’éducation sentimentale (au sens de la sentimentalité de l’amour jusqu’à la passion) d’une génération, faite d’illusion et de désillusions. Qu’en sera-t-il pour celle qui aujourd’hui va succéder au dépit et à la rancune vis-à-vis de la Psychanalyse et de la Neurobiologie ?
Notes
- Un de ces baquets est visible au Musée d’Histoire de la médecine de la Faculté de médecine de Lyon.