Je est un autre
Pour Georges Steiner[1] « le scénario tripartie de la psyché (ça, moi, surmoi) est une image transparente de (respectivement) la cave, les pièces de séjour, et le grenier chargé de mémoire de la maison bourgeoise ». Les trésors enfouis et les secrets inavouables au grenier, les vérités impensables que seul l’inconscient connaît à la cave… Si l’on soulevait le voile des refoulements et des dénis, quel visage aurait donc le moi social dans lequel s’épancherait par le haut et le bas le moi privé ? Et que n’entendrait-on ? On n’agit d’habitude pas comme ça en société !... mais je vous assure qu’il n’est pas du tout comme ça dans l’intimité !
Notons le pluriel des chambres de séjour du moi… le moi est en effet pour Freud « une étendue… et il n’en sait rien»[2], composé de multiples chez soi obéissants aux lieux normés et aux prêts à penser dictés par les lois du moment, qui co-locationnent et colloquent plus ou moins harmonieusement, discutent ou s’invectivent intérieurement… le tout à l’ego. C’est que Je est un autre et même plusieurs autres. Il y a là le moi le plus privé des toilettes où l’on exonère, celui intime de la salle de bain où l’on nettoie, celui du salon où l’on cause, de la salle à manger où manger c’est s’exprimer. Et bien sûr celui de la chambre à et où coucher, où l’investissement libidinal du moi (narcissisme) est investissement de la pulsion sexuelle et sa corporéisation : de l’utérus (womb) à la tombe (tomb) en passant par toutes les chambres (rooms) où le moi aura à dormir seul ou en compagnie, chambres du moi qui en anglais sonnent toutes caverneuses.