La vie, écrivait Sénèque à Lucilius il y a deux millénaires, c’est une pièce de théâtre : ce qui compte ce n’est pas qu’elle soit longue mais qu’elle soit bien jouée. Avec À l'Écoute du développement de la pensée humaine, livre inspiré par trois années d’entretiens biographiques et épistémologiques approfondis avec Sylvie Reignier, Florence Guignard nous démontre combien la pièce de théâtre d’une existence humaine peut être à la fois longue et bien jouée. Et bien mise en scène, si l’on me permet de rendre hommage à l’ambition de ce projet éditorial qui ne me paraît pas avoir équivalent dans l’édition psychanalytique française actuelle : revisiter dans un dialogue spontané – en prise directe avec cet Infantile auquel Florence Guignard a offert sa majuscule à la force du poignet – une vie personnelle et une carrière scientifique en restant scrupuleusement sur la ligne de la curiosité épistémique afin d’éviter toute indiscrétion inutile. Et il fallait bien les talents conjugués de ces deux grandes tisseuses de la psychanalyse, rompues à l’exercice de partager le « métier » depuis des années à la Société européenne pour la psychanalyse de l'enfant et de l'adolescent (SEPEA) et ailleurs, pour tenir ensemble l’épique de l’Odyssée d’Ulysse et la patience ingénieuse de celle de Pénélope.
Mais au développement de quelle(s) pensée(s) humaine(s) sommes-nous, au fond, invités à tendre l’oreille dans cet ouvrage ? Au moins trois personnages « en devenir » semblent se partager, à tour de rôle et parfois simultanément, ce vaste champ analytique ouvert : le premier est résolument biographique et raconte le trajet de Florence Guignard entre la Suisse internationale des années 1950-1970 et notre monde « moderne », néolibéral et hypermondialisé ; le second est conceptuel et s’intéresse à la croissance de la théorie psychanalytique – et sa transmission la plus vivante possible, notamment…