Déplacements
Avec cet ouvrage, Leopoldo Bleger prend véritablement à bras-le-corps toutes les dimensions d’une question qui taraude les psychanalystes, et pas seulement depuis les confinements liés à la pandémie. Les débats sont anciens, si l’on se réfère à l’aire nord-américaine de la psychanalyse et à son influence, et encore antérieurs si l’on pense à la notion de cadre. La question des conditions de la pratique psychanalytique qui permettent à une analyse de « s’ancrer "dans un moi-corps" enfin habité » (p. 147), et partant, celle des corps en présence ou à distance, est ici déplacée pour être remise littéralement à sa place : il ne s’agit pas de savoir si une analyse à distance est ou non une analyse, mais de s’interroger sur la conception de la cure – du transfert – qu’elle mobilise. Ce qui suppose de prendre la mesure, comme le fait L. Bleger, à partir de situations cliniques diversifiées et très finement présentées, des implications métapsychologiques de la technique. Mais aussi, de bien situer les incidences de la révolution actuelle des moyens de communication, notamment en différenciant les registres sociologique et anthropologique.
Le titre est bien choisi et suggère en quoi ce livre est particulièrement bienvenu aujourd’hui, offrant aux psychanalystes de très opportunes perspectives pour penser un contexte paradoxal. La technologie tend à enfermer l’individu dans un univers communicationnel conduisant à une surexposition marchande de sa vie « privée », tout en lui promettant les pouvoirs de l’ubiquité. Peut-on parler de délocalisation de l’expérience subjective ? Et jusqu’à quel point cette évolution sociétale – qui engage un primat de la différence sur l’altérité, du visuel sur la parole, de l’émotion sur la représentation – affecte-t-elle les demandes adressées aux psychanalystes ?
Cela vient radicalement…