De la démocratie dans les équipes de soin

Le quotidien d'un hôpital de jour pour enfant

Editions Érès

Bloc-notes

De la démocratie dans les équipes de soin

À l’heure où beaucoup de nuages noirs s’amoncèlent sur les services publics et les établissements associatifs engagés dans le soin et notamment sur ceux de la psychiatrie, il est précieux de voir sortir un ouvrage qui raconte par le menu les aventures d’une équipe d’hôpital de jour pour enfants autistes et psychotiques. Il constituera à n’en pas douter une arme de combat pour défendre le soin institutionnel dont ont besoin de très nombreux enfants en grande souffrance psychique.

POLYPHONIE DU SOIN

Au cours de la lecture de ce texte, le montage proposé pour faire partager le travail est celui de la temporalité reconstruite autour d’une journée « ordinaire » à l’hôpital de jour de l’EPI (Hôpital de jour créé en 1981 par Michel Soulé et qui fait partie de l’association Cerep-Phymentin). Cela permet d’exposer les différents points de vue des acteurs de la vie quotidienne. Et pas un ne manque : même la cuisinière raconte son idée du soin, ce qui, soit dit entre nous, est tellement rare que cela vaut d’être noté. Mais aussi les éducateurs, l’infirmière, les institutrices, la pédiatre, les psychologues, les pédopsychiatres, les psychanalystes, les psychomotriciens… et tout cela parvient à composer une polyphonie de belle facture, dans laquelle les voix prennent tour à tour la parole pour s’exprimer avec leurs caractéristiques propres — soprano, alto, ténor et basse — sans exiger le leadership de la star en mal de reconnaissance, mais en participant pleinement à l’expression d’un collectif richement hétérogène. Pas étonnant que dans ces conditions, on sente intuitivement dans les récits rapportés, qu’une vraie fonction contenante s’exerce de façon pertinente auprès de chacun des enfants, que des transferts soient accueillis et se déploient, que des processus évolutifs en stagnation reprennent leur cours développemental, que des conflits surgissent pour le meilleur et pour le pire, et qu’ils soient repris en équipe dans ces fameuses réunions de travail incontournables pour la qualité de tout projet institutionnel. 

J’ai profondément admiré la façon dont cette équipe montre par les histoires cliniques, mais aussi par la métaphore de Procuste et des autres, par le respect des initiatives de chacun des membres du collectif, par son humour interprétatif affleurant souvent dans les moments chargés d’angoisse, l’importance des concepts de la psychanalyse, de la psychothérapie institutionnelle, de l’anthropologie, mais également ceux de la pédagogie et de l’éducatif, de la psychologie cognitive et bien d’autres ouvertures à la connaissance du monde de la complexité, à la fois sans se payer de mots, mais aussi « sans céder sur son désir » comme dit un certain… Cela illustre parfaitement pour moi, l’héritage de Michel Soulé et de beaucoup d’autres que je ne saurais tous citer ici, et que, plutôt que d’en faire un trésor défendu par des thuriféraires zélés mais incapables de penser en première personne, cette équipe a choisi d’en faire l’occasion d’en étendre la portée et la pertinence en mettant cet héritage au travail, en l’actualisant au risque de compromis nécessaires, en le développant à la condition d’en assurer la cohérence théorico-clinique. Ce qui permet de parler non seulement à la première personne du singulier, mais aussi au pluriel. 

DÉMOCRATIE DANS L’INSTITUTION

Bref, ce travail collectif trouve dans ce livre une expression qui saura toucher les lecteurs, eux-mêmes pris dans les contradictions de leurs institutions, et pour beaucoup d’entre eux, tentés de s’absenter du combat nécessaire à leur survie, soit en se livrant à des élucubrations théoriques absconses, soit en abandonnant tout simplement le terrain du soin. Car ne nous racontons pas d’histoires : l’heure est grave ; et les lieux de soins de cette sorte sont menacés tout simplement de disparaître si ceux qui les font vivre, voire survivre, ne sont pas dans une position, celle qui ici, a été résolument choisie, de montrer que le travail qui y est accompli est ce qui peut arriver de mieux aux enfants accueillis. Mais pour cela, il ne suffit pas de faire de grands discours théoriques, et même trop souvent idéologiques, encore faut-il permettre aux enfants d’évoluer favorablement, même au prix de difficultés développementales considérables, vers un avenir meilleur pour eux et leur famille. Cela ne se décide pas dans des protocoles déduits de calculs statistiques, fussent-ils mis en forme par une quelconque autorité de santé, si haute soit-elle, cela passe par un logique radicalement différente, sachant conjuguer l’humanité d’un accueil singulier, avec la construction, après expérience partagée avec l’enfant, d’un costume sur mesure plutôt que l’achat du prêt à porter, avec les différentes approches nécessaires à sa reprise développementale (éducatif toujours, pédagogique si possible et thérapeutique si nécessaire) et en accord partagé avec ses parents, soutenus lorsqu’ils en ont besoin par les rencontres fréquentes avec l’équipe soignante de leur enfant. Cette logique du partage d’expérience avec l’enfant, donnant lieu dans l’a posteriori à des reprises et des discussions entre professionnels, est ici illustrée de la plus belle manière par les récits individuels et groupaux proposés par tous les membres de cette équipe, et montrent à quel point ce collectif institué a réfléchi, pensé, s’est formé, y compris grâce à la psychanalyse, et accepte l’idée de devoir travailler ensemble à la constitution d’une image partageable de chaque enfant, ce que Tosquelles proposait d’appeler, scandaleusement, le « contre-transfert institutionnel ». C’est dans le déploiement de ces histoires cliniques que l’on mesure que si la psychothérapie institutionnelle n’est pas une caricature de démocratie appliquée à une équipe soignante, elle ne peut exister sans elle. Et les exemples de liberté de circulation des enfants dans les lieux de l’établissement, les exemples de liberté de circulation de la pensée des soignants dans leurs récits des relations transférentielles spécifiques à ces psychopathologies archaïques, les exemples de libertés d’initiatives de chacun des soignants venant redoubler celles de chaque enfant sont là pour témoigner de la très grande richesse que chacun des professionnels a acquise dans cet espace magnifique de l’EPI et qu’ils savent, avec tant de générosité, mettre au service des enfants et de leurs familles. Même les psychanalystes montrent dans cette équipe une inventivité rare, démontrant à l’envi que la psychopathologie n’est pas donnée une fois pour toute, mais qu’elle doit sans cesse être réélaborée à l’aune de chaque enfant.

La vivance institutionnelle qui est à l’œuvre dans la vie quotidienne à partir de chacune des spécialités fait de ce livre une mine de concepts et de pratiques précieuses qui pourra être exploitée par tous les acteurs contemporains qui tentent d’accompagner les enfants gravement atteints sur le plan psychopathologique, aussi bien les parents que les soignants, les éducateurs, les pédagogues et tous ceux qui sont concernés par cette question sociétale complexe et passionnante à la fois. 

De tout cela je voulais remercier les auteurs de ce livre avec gratitude, car aujourd’hui il est nécessaire que des praticiens du terrain se lèvent pour dire ce qu’ils font, sans emphase, sans exagération, sans concessions, mais avec profondeur et authenticité. Je ne peux que recommander sa lecture à tous ceux qui se sentent concernés par les soins psychiques qui tentent d’allier les avancées de la psychopathologie transférentielle à celles de l’humanité des institutions.