Lorsque je rédigeai la préface du premier tome des œuvres d’André Bulliinger en 2003, notre maître et ami était en pleine possession de ses moyens physiques et intellectuels et j’étais loin d’imaginer, à cette époque, qu’il nous quitterait en cette triste année 2015, après avoir lutté courageusement contre une longue maladie. André Bullinger manquera à tous ceux qui l’ont rencontré. J’avais alors centré mes propos sur l’importance de ses recherches sur la petite enfance et sur celle de son enseignement auprès de tous les professionnels concernés par ce large champ du savoir. Le premier tome de ses principaux écrits rassemblés, paru en 2003 a immédiatement rencontré un succès important auprès des personnes intéressées par le développement de l’enfant, depuis les neuroscientifiques jusqu’aux psychopathologues en passant par les praticiens engagés avec les enfants dans des relations d’accompagnement, de rééducation et de soins psychothérapiques. Plusieurs rééditions ont été nécessaires pour satisfaire à la demande des professionnels intéressés par ses travaux.
Quelques années plus tard, à l’occasion de rencontres régulières dans le cadre de son enseignement dispensé à Lille, et devant la publication d’articles ouvrant de nouvelles perspectives épistémologiques et thérapeutiques, je lui ai proposé de prolonger le premier tome d’un deuxième qui réunirait ses articles récents, de façon à mettre à la disposition du lecteur, les nouvelles hypothèses de travail qu’il avait élaborées ces dix dernières années. C’est ce deuxième tome qui vient de sortir, apportant notamment des éléments essentiels concernant l’espace de la pesanteur et la création de la verticalité, situés entre l’espace utérin et l’espace oral déjà décrits antérieurement.
Ce dernier concept est d’une grande aide pour comprendre diverses situations psychopathologiques présentées par le bébé autour de sa naissance, et plus généralement en périnatalité dans les interactions parents-bébé. Mais surtout, il vient parachever les axes du développement qu’André Bullinger avait proposé auparavant, en lui donnant une cohérence interne renforcée. Dans ce nouvel ouvrage il aborde également ses travaux en faveur des bébés, et plus particulièrement des prématurés. La notion de soins de développement y est détaillée, et pourra aider les équipes de néonatalogie à s’y engager pour accompagner les bébés et leurs parents dans ce difficile parcours hospitalier. Et pour conclure par un chapitre auquel il a consacré beaucoup de ses préoccupations, André Bullinger reprend ses observations sur les enfants présentant des TED/TSA, et nous aide dans la compréhension des impasses développementales dans lesquelles ils sont souvent enferrés, nous donnant ainsi de nouvelles hypothèses pour adapter nos outils éducatifs, pédagogiques et thérapeutiques à leurs difficultés propres.
La sortie de ce deuxième tome redonne au premier toute l’importance que peut avoir une œuvre qui est exposée encore partiellement, et qui de fait, va se voir compléter dans le second de ce qui était encore en projet dans le premier. Je ne doute pas que ces deux tomes vont désormais actualiser une partie de la présence d’André Bullinger dans nos bibliothèques personnelles et professionnelles, et je souhaite que l’enseignement qu’il nous a dispensé reste vivant dans nos propres rencontres avec les enfants, à la manière dont il savait les faire vivre lui-même, en articulant le dispositif d’évaluation du développement de l’enfant (le bilan sensorimoteur), avec la rencontre avec lui et ses parents pour les aider -enfant et parents- à retrouver en eux la force qui permet le développement, même quand il est difficile.
André Bullinger restera pour moi une figure qui a su conjuguer le meilleur des recherches scientifiques avec l’impératif éthique qu’il s’était fixé, celui de la qualité de la relation avec l’enfant et ses parents. Aussi, avant de lire le deuxième tome, puis-je vous conseiller de lire et relire le premier, les deux constituant désormais, ensemble, l’œuvre écrite d’André Bullinger.