Dès l’introduction de son passionnant Que-sais je ? sur le vieillissement psychique, Benoit Verdon, grand connaisseur de cette clinique, conduit le lecteur à se saisir d’un phénomène traversé par « l’intranquillité » (p. 4) princi-palement grâce au prisme de la psychanalyse, sans céder pour autant à un quelconque laisser-aller épistémologique. Ainsi affirme-t-il d’emblée que, parallèlement à ses enjeux psychiques, ce qu’il nomme pertinemment le « travail de vieillir » (p. 5) -on pensera bien sûr au travail du rêve et au travail du deuil- possède un socle biologique ainsi que de nombreuses rami-fications avec le socius. Le propos fort rigoureux est de bout en bout accompagné par de précieuses références littéraires et philoso-phiques. Parmi d’autres on croisera Gide, Ionesco, Mauriac, Gary, Zola, Levy-Strauss, Bachelard ou encore Jankélévitch. Quant au style délicat, plein de tact et souvent poétique, il dévoile une extrême bienveillance de l’auteur envers les sujets âgés, auprès desquels il a longtemps travaillé. Face à la densité du texte et à la richesse de la réflexion, je ne retiendrai ici que quelques-uns des développements qui me semblent les plus saillants notamment en ce qu’ils proposent de très féconds paradigmes pour penser le vieillissement.
Après avoir rappelé que c’est la correspondance de Freud qui porte les plus grandes traces de sa réfle-xion sur le vieillissement – le père de psychanalyse questionnant ainsi le sien propre – B. Verdon ouvre une large réflexion sur le temps et la manière dont l’avancée de l’âge oscille entre « un temps qui passe et un temps qui ne passe pas » (p. 25) en référence au texte de JB Pontalis. Puis il interroge la pertinence d’utiliser le paradigme de la névrose actuelle – dont l’angoisse diffuse et les plaintes somatiques sont deux des principales manifestations – pour penser le vieillissement. Ici l’auteur insiste sur la nécessité pour le clinicien d’apprendre à écouter au-delà de ces plaintes, même si le « Deuil du moi » (p. 35), parfois s’impose sur le devant de la scène. Sans cesse il rappelle l’importance de saisir les mouvements internes en termes de conflictualité psy-chique, insistant sur la grande variabilité de la souplesse psy-chique permettant ces conflits selon les différents sujets. Il propose également une hypothèse fort éclairante selon laquelle l’idéa-lisation du passé est chez le sujet âgé à la mesure des coups portés par le temps à son Idéal du moi.
De longues lignes sur l’élaboration de la position dépressive, telle qu’elle fut reprise par E. Jaques à propos du vieillissement, inau-gurent le chapitre consacré aux modalités de traitement de la perte. Par « valeur dégageante de la dépressivité » (p. 49), l’auteur souligne l’importance de l’accep-tation inconsciente de se détacher de l’objet comme condition d’un vieillissement « non pas réussi mais consenti » (p. 51), à l’inverse du refus de la perte qui engage certains sujets âgés dans un processus mélancolique ou maniaque souvent marqué par l’auto destructivité. En reprenant la formule de P. Nizan « La véritable mort est […] ce qu’est l’état d’un homme quand il ne pense rien. » (p. 63). B. Verdon rapproche la représentation de la mort réelle avec celle de la mort psychique c’est-à-dire comme œuvre du négatif dont le syndrome de glissement est une des manifes-tations les plus caractéristiques.
La rigueur du propos à laquelle il est plus haut fait référence est particulièrement à l’œuvre lorsque l’auteur engage une réflexion métapsychologique. Il insiste sur le fait, et cela toujours avec force et tout au long de l’ouvrage, qu’en aucun cas, investissement narcis-sique et objectal ne sont des vases communicants. Cela lui permet de mettre en avant l’importance du rôle de l’objet aimant interne et externe – davantage d’un point dynamique qu’économique – dans les mouvements d’intrication et de désintrication pulsionnelle (pp. 52-58) ou dans la place prise par la sexualité au cours du vieillissement. A ce propos il se demande si la médiatisation de la sexualité des séniors n’est pas le contre-investissement d’une réticence de l’entourage à pouvoir imaginer la sexualité des personnes âgées en termes de fantasmes.
Au sujet de la réactivation de l’angoisse de castration et du fantasme de retournement des générations, l’auteur récuse les concepts de contre-œdipe et d’œdipe inversé. Il s’attache, à la suite d’A. Green, à la notion de passivation/détresse et insiste sur la nécessité d’être particulièrement attentif aux entrelacs de la psychosexualité et du narcissisme singulièrement étroits à la sénescence – comme par ailleurs à l’adolescence -. De nouveau il confère une importante fonction à l’objet comme garant de la relance libidinale, de la cohésion narcissique et dans l’accompagnement vers ce qu’il nomme « le fantasme de retour au holding maternel. » (p. 85). Ainsi et dans cette continuité, les relations aux objets qui tiennent une place centrale dans le chapitre consacré aux pratiques cliniques et thérapeutiques du vieillissement (pp. 109-118), sont-elles à entendre telle une symphonie plus complexe qu’une simple gamme répétitive jouée par les prétendus « bons aidants » ?
Pour finir, B. Verdon loin de tout académisme, nous propose de porter notre regard sur le maillage intime entre « accomplissement et inachèvement » que montre la fin de vie. Il accompagne sa conclusion de quelques lignes du regretté JB Pontalis qui parlait de son vieillissement avec un inégalable « souffle de vie ». C’est ainsi que ce dernier nomma le dernier texte de la dernière Nouvelle Revue de Psychanalyse sur l’Inachèvement… Un souffle de vie est à n’en pas douter ce qui aura traversé le lecteur lorsqu’il refermera ce très beau livre.