Les travaux forcés de la répétition

Les travaux forcés de la répétition

Catherine ChabertJacques André

Editions Puf, 2015

Bloc-notes

Les travaux forcés de la répétition

Les travaux forcés de la répétion regroupe les interventions de la journée scientifique de mars 2014 organisée par le GRPC (Groupe de Recherche en Psychopathologie Clinique). Cet ouvrage sous la direction de Jacques André et Catherine Chabert rassemble des textes de psychanalystes et d’universitaires qui traitent du même sujet sous différents angles cliniques et théoriques. Il s’agit davantage de complexifier la question que de tenter d’y répondre, ouvrir des horizons plutôt que clore le débat : « la psychanalyse ne ferme pas les yeux sur les composantes les plus négatives de la vie d’âme », lit-on en 4ème de couverture. Les travaux forcés de la répétition renvoient au Freud des années 20 avec Au-delà du principe de plaisir, la pulsion de mort et la seconde topique ; ils résultent du constat clinique d’une répétition qui ne « semble répéter qu’elle même », à perpétuité, ayant perdu tout caractère élaboratif, celui qui « ouvre des perspectives de plus de vie, de créativité » (Catherine Matha). Une répétition compulsive mue par l’exigence de l’évacuation, jusqu’à en perdre son latin, sa conjugaison et ne parler qu’au présent dans un temps aux allures d’infini. Pourtant « l’espoir fait vivre » et permet au patient et au psychanalyste de s’engager dans une cure. Cet espoir associé au « risque du pire » est présent dans l’ensemble des textes rassemblés ici, il prend des formes différentes et différencie obsessions, addictions, compulsions tout en les maintenant sous le même régime de la contrainte, celui de la répétition.

« Nina », 18 ans, et son histoire analytique avec Catherine Matha, illustrent magistralement l’association a priori paradoxale et assurément dangereuse du risque et de l’espoir, de la destructivité, analyste inclus, et de la re-création quand un dialogue intérieur, une « amorce de réflexivité » ouvre des portes jusque-là condamnées. A quoi s’oppose la répétition forcée ? La compulsion, « plus fort que moi », où prend-elle sa source, dans quel but, a-t-elle seulement un but ? Celui de détruire ou plutôt de maintenir délié, d’évacuer afin de vider le trop plein d’excitation qui « menace l’intégrité », car « là où ça stagne, ça déborde » ? Tenter de tuer la pulsion, d’en maîtriser la source plutôt que d’être détruit par elle, par son excès, car « l’excès de représentations n’est pas le sens » ; il œuvre contre (Maïa Guinard).
La clinique le montre, la répétition dans sa forme compulsive tente de faire le vide dans la psyché, mais ce vide ne serait qu’une modalité défensive face « au trop » d’une « excitation inépuisable », d’une « revendication pulsionnelle inexorable ». Le déficit associatif  apparent recouvre un « excès en quête de vide », quand le danger «  serait de se mettre à rêvasser ou fantasmer, c’est-à-dire entretenir des relations avec les objets internes » (Gérard Szwec). Ce danger prend forme pour « Claude-Emmanuel », et il arrête brusquement son analyse car « les rapports que je proposais étaient inadmissibles », écrit Catherine Chabert ; le risque perçu est celui d’un excès de liaison qui pourrait mettre le feu au théâtre interne.

Les auteurs présentent des figures cliniques différentes entre obsessions, addictions, procédés auto-calmants mais aussi fétichisme ; au fil des textes un dialogue s’instaure et une idée commune semble se dégager : l’espoir passe par l’objet, par la sexualisation, par l’introduction « de quelque chose des séductions du sexuel infantile qui a par trop déserté la scène » (Jacques André). La source de l’excès est marquée par un manque dans la relation à l’objet, un manque dans « l’alliage des pulsions de destruction et des pulsion érotiques » qui entrave la constitution d’un objet contra-phobique (Jean-Louis Baldacci), d’où résultent des « tendances à la désexualisation qui délie la pulsion de mort » (Gérard Swec). L’enjeu pratique est celui d’une reliaison, d’une re-sexualisation, d’une réconciliation avec les objets œdipiens. Si l’espoir a des traits communs, la clinique, elle, est individuelle ; à chacun ses modalités de traitement de l’excès, à chacun ses excès. Quand l’obsédé lutte contre des fantasmes trop infiltrés de désirs interdits, de désirs incestueux en maintenant l’objet à distance, « de déplacement en déplacement, ce sont des choses raisonnablement « indifférentes » qui sont l’objet d’obsessions insupportables », écrit Catherine Chabert, le sujet limite, lui, est le jouet de sa contrainte, celle de se détruire par les attaques adressées à un objet interne trop mal différencié ; si Rebecca « se déclarait la première victime », il reste qu’une « véritable entreprise de défiguration visait davantage le père » (Catherine Chabert).

Celui qui use de procédé auto-calmant lutte contre les excès de la vie psychique en « s’empêchant de penser » pour obtenir le vide psychique. « La déliaison est prévalente » (Gérard Szwec), l’activité fantasmatique est évacuée et « la négation du besoin d’aide par l’objet » tente l’évitement de tout commerce avec celui-ci ; « une activité motrice, en solitaire, porte close, en apparence sans objet » (Maïa Guinard). A contrario, Mathilde Saïet présente une figure clinique dans laquelle le besoin de l’objet serait rendu inopérant par l’aliénation à un « objet idéal », le fétiche. Ici, il y a de l’objet mais un objet niant toute altérité, un « objet idéal » descendant de l’objet transitionnel mais pris à contre-pied : un objet qui « semble tenir lieu de commémoration, de « cérémonial » qui annulera la perte de l’objet » (Mathilde Saïet). L’espoir, celui qui fait vivre, a peu de place dans cette configuration ; qu’espérer si rien n’a été perdu ?

Si l’espoir, autant que la quête infinie, passe par la rencontre avec un objet qui « mettra en sens » (Maïa Guinard), qui favorisera « dans un premier temps, les liaisons psychiques plutôt que l’interprétation » (Gérard Szwec), qui se constituera d’abord « en objet contra-phobique pour être objet de transfert » (Jean-Louis Baldacci) afin qu’un dialogue avec les objets internes puissent reprendre sur un ton suffisamment apaisé, ceci n’est pas sans prendre le risque de se confronter à « la réalité psychique dans ce qu’elle a de pire », à cette réalité que l’ « objet idéal » devenu obsédant recouvre jusqu’à la rendre inaccessible, si ce n’est inopérante.