On aimerait un retour des esprits à la raison. Nous avons récemment vécu des tensions considérables à propos de la prise en charge des enfants autistes, et l’expérience prouve que personne n’en sort gagnant, surtout pas les enfants autistes. Le combat contre la psychanalyse en matière d’autisme non seulement est injuste, mais il risque de masquer un problème bien plus réel, à savoir le manque de moyens financiers actuellement alloués par l’État à ce domaine particulier de la pathologie. Ne nous trompons pas d’ennemi ! En outre, le combat contre la psychanalyse est en fait un combat beaucoup plus large qui vise, ni plus ni moins, le soin psychique dans son ensemble ».
Lorsque Bernard Golse, Professeur à l’Université de Paris V, chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital parisien Necker-Enfants malades et psychanalyste, sort du bois pour affirmer ses courageuses convictions dans ce livre promis à un avenir de manifeste, il parle au nom d’une grande partie de la communauté pédopsychiatrique française. Son « combat pour les enfants autistes » est assurément le nôtre, et il met généreusement son talent, comme il le fait depuis si longtemps, au service d’une synthèse des pensées collectives, élaborée depuis des décennies par ce qu’il faut bien appeler une école de pédopsychiatrie « à la française » à partir des travaux fondateurs de Lebovici, Diatkine, Soulé, Misès, Haag, Hochmann et de bien d’autres que je ne saurais tous citer ici. Mais loin de se cantonner à un ultime cocorico annoncé par les détracteurs de cette synthèse si riche, il intègre, avec le bonheur d’une curiosité intellectuelle sans cesse en éveil, les apports de tous les chercheurs et cliniciens, neuroscientifiques et psychopathologues qui ont travaillé sur les autismes, sans distinction de pays ou d’origines théoriques. Son livre, en nous rappelant les étapes de la connaissance du développement normal et pathologique du bébé en interaction, nous conduit sur la piste des difficultés d’accès à l’intersubjectivité que rencontrent certains d’entre eux, promis à un avenir de type autistique.
En nous donnant les explications actuellement disponibles pour en comprendre les impasses, Bernard Golse nous aide à mieux les accompagner dans leur construction corporopsychique. Il prend sans cesse la précaution de ménager les différentes options, à la fois de blocages possibles et d’aides nécessaires, nous invitant à une conception de la complexité qui sied particulièrement à la problématique autistique en général et à chacune de ses formes singulières. S’appuyant sur les canons enseignés par la psychanalyse -chaque individu est différent-, il justifie de la plus belle manière les interventions ciblées sur les difficultés et les compétences de chaque enfant autiste accueilli dans sa spécificité humaine, personnelle, familiale et environnementale. Par sa pensée plurielle, il nous aide à passer en revue les différentes composantes d’un savoir multiple, neuros-cientifique, psychopathologique, anthroposociologique, mais nous entraîne dans une polyphonie qui donne tout son sens à la complexité en question.
Loin d’aborder l’autisme comme l’objet d’une revendication voire d’une justification de la psychanalyse en tant que telle, il en enrichit considérablement la portée en refondant avec d’autres (Meltzer, Tustin, Haag, Alvarez…) une métapsychologie adaptée à ses nouveaux champs de recherche vers les origines, angoisses archaïques et défenses contre ces angoisses spécifiques. Ce faisant il concoure à ouvrir de nouvelles perspectives psychanalytiques en les mettant à la disposition de ceux qui continuent de penser que Freud avait inventé une modalité de transformation de la souffrance psychique des humains. Mais bien au-delà de ces seules avancées, son livre donne des arguments pour penser la complémentarité des théories et des approches concrètes au service des enfants autistes. La complémentarité des théories émerge à chaque page, tant son abord des différentes pistes hypothético-déductives de la pensée ne connaît pas de secret. Il est en effet capable d’expliquer avec la même clairvoyance l’accès de l’enfant normal à l’intersubjectivité et les difficultés spécifiques de l’enfant autiste dans ce cheminement périlleux,les problèmes théoriques posés par les découvertes de l’importance du sillon temporal supérieur, ceux de l’impact du suprasegmentaire sur la qualité du mamanais, ou ceux de l’influence de la carence affective précoce dans les facteurs environnementaux de l’autisme.
Plutôt que d’en déduire une métathéorie qu’il viendrait imposer au lecteur comme la preuve indépassable de son intelligence du problème posé, il laisse à chacun la liberté de se construire sa propre théorie du cas singulier en fournissant les éléments nécessaires et en proposant les articulations possibles en l’état actuel des connaissances. Plus avant, la complémentarité des approches praxiques est présentée comme une base sur laquelle il faut articuler pour chaque enfant autiste les nécessités en rapport avec son équation personnelle : éducatif, pédagogique et théra- peutique. Se référant aux fondements démocratiques, il souligne avec force l’impossibilité de défendre l’idée d’un protocole général s’appliquant à tous de façon univoque.
Pour mieux convaincre les personnes intéressées, et en premier lieu les parents concernés, que chaque enfant ne peut avancer que si l’on taille pour lui un costume sur mesure, fait à l’aune de ses difficultés mais également de ses compétences, il rapporte un cas clinique personnel. L’histoire très tou-chante de Vincent est là pour nous rappeler que c’est bien d’une « rencontre à nulle autre pareille » que sa prise en charge s’est dégagée, construite dans la confiance réciproque, au long cours, et composée, telle un morceau de musique, des différents éléments qui s’avéraient progressivement nécessaires pour lui. Mais cette spécificité du discours de Bernard Golse ne se limite pas à l’exposé, d’ailleurs modeste, de ses cas, il va bien au-delà, embrassant l’ensemble de ses préoccupations anciennes pour l’autisme. Pour lui, pas question d’utiliser la langue de bois, il faut faire preuve d’inventivité pour chaque sujet, et c’est précisément dans le miracle de chaque rencontre que gît l’énergie qui pourra contribuer au réamorçage de la vivance émotionnelle nécessaire à la transformation du gel dévelop-pemental en reprise de l’élan vital.
C’est là que se situe l’effet de l’approche psychanalytique, dans sa mobilisation de l’énergie relationnelle en situation de rencontre avec l’enfant et ses parents, en aidant l’un et les autres à mettre du sens sur des phénomènes insensés, mais également dans les pensées contre-transférentielles partagées entre les soignants de l’équipe institutionnelle qui accueille l’enfant autiste, et éventuellement, selon certaines conditions de secret professionnel, avec les autres intervenants éducatifs, rééducatifs et pédagogiques.
La psychanalyse ne peut être caricaturée sur le mode orchestré par les recommandations de la Haute Autorité de Santé en mars 2012 insistant sur sa « non consensualité ». Elle contribue par contre de façon adéquate à penser la dynamique relationnelle qui s’instaure entre l’enfant autiste, ses parents, sa fratrie et les personnes qu’il rencontre pour sa prise en charge. Ne pas prendre en considération cette énorme source d’intel-ligence risque d’amener les professionnels non prévenus à des manifestations d’épuisement et d’incompréhension que la psychopathologie transférentielle et la réflexion institutionnelle éclairent grandement. Pourquoi s’en priver pour de simples raisons idéologiques ? Bernard Golse nous permet subtilement d’en comprendre les mécanismes et d’en adopter les avantages dans le cadre d’une pensée plurielle de la prise en charge des enfants autistes.
À la lecture de ce livre, outre la révision extrêmement pédago-gique de la plupart des données actuellement disponibles en ma-tière d’autisme qu’elle permet pour les praticiens concernés, on se prend à rêver que les parents et les professionnels détracteurs de la psychanalyse et de la pédo-psychiatrie le lisant, découvrent à quel point ils ont été victimes d’une désinformation systéma-tique, et qu’une fois lu, ils puissent s’ouvrir à ces propositions dont la cohérence organisatrice et la générosité intellectuelle sont marquantes. Le combat mené par Bernard Golse pour les enfants autistes vaudrait alors vraiment la peine d’avoir été livré.