À l’heure où une certaine zizanie institutionnelle apparaît au grand jour, un livre analyse une notion polémique et en fait le moteur d’une régénérescence institutionnelle : genre et famille sont-ils compatibles, voire comment « penser de manière concomitante la famille et le genre » (p. 27) ?
L’évolution des mœurs, même ardemment souhaitée, n’est jamais socialement aisée, car cela brouille des repères souvent anciens et parfois perçus comme intangibles. Ainsi, si la majorité des citoyennes et citoyens estiment aujourd’hui pertinents les droits au divorce, à la contraception, à l’interruption volontaire de grossesse, au mariage pour tous, à la procréation médicalement assistée pour toutes, lors des débats préliminaires, les polémiques et les idéologies les plus conservatrices étaient pléthoriques. Toutes ces mutations ébranlent également bien des certitudes ancrées profondément dans le corps social et relatives aux stéréotypes de genre. De fait, la famille n’est plus une, mais plurielle. Ses évolutions sont marquées, entre autres, par l’abandon des diktats de la masculinité et de la féminité, de la paternité et de la maternité, des sexualités hétéronormées. Désormais ces catégorisations ne sont plus étanches et leur porosité nous invite à repenser de manière concomitante la famille et le genre. C’est l’objectif de cet ouvrage collectif.
Les coordinateurs de cette publication sont pour l’un, anthropologue et ancien éducateur spécialisé, membre associé du laboratoire LinCS/CNRS : Thierry Goguel d’Allondans. Et, pour le second, maître de conférence à l’Université de Strasbourg, membre du laboratoire Sulisom, et psychologue clinicien : Jonathan Nicolas. Pour rappel l’Université de Strasbourg s’inscrit dans une longue tradition clinique, puisqu’en 1937 Daniel Lagache y est nommé maître de conférences. Si nous le notons, c’est parce que nous voyons un lien dans la construction même du livre. Interdisciplinaire, il est préfacé par la sociologue Irène Théry, directrice de recherche à l’EHESS, et au CNRS. Sociologue du droit et de la famille, elle retrace à la fois l’histoire de ce qui a fait la famille et les mouvements sociaux et institutionnels, avec les questions soulevées par le droit de la famille. Et, si « Faire Famille » c’est aussi pouvoir la « défaire » (p. 33), l’ouvrage n’oublie pas ce que veut dire être père, et non sans une certaine licence poétique, en reprenant le titre d’un célèbre poème, pour mieux rappeler que si c’est l’enfant qui fait le père, quid de l’homme (p. 125) ?
Le titre n’aurait pas pu être plus juste et descriptif. Il annonce le contenu : Refaire Famille, pour en finir avec les stéréotypes de genre. À la manière des annales et des juristes, les textes s’inscrivent dans une lecture réflexive qui vise à mettre fin aux stéréotypes. Si la Pr Gabrielle Radica s’interroge en philosophie sur la famille ou une communauté normative et d’expression de pouvoirs (2013), ce livre propose une autre approche qui fait du regard du clinicien un outil réflexif. Ce qui en ressort ? Un texte ni dogmatique ni militant, qui regarde en face la notion de genre. Et, il prend le genre par ce que Laplanche, nomme un « schéma narratif préformé » (2007, p. 208) et le situe ainsi dans le socius (ibid.), afin d’en faire l’une des clefs contemporaines de traductions de messages qui semblent demeurer énigmatiques pour beaucoup jusque dans la famille. Ainsi, si « la famille est donc d’être un « tout » fait de parties, ses membres considérés comme appartenant au même groupe, dont témoigne le nom de famille (parfois il y en a plusieurs), ayant statutairement des solidarités particulières entre eux (p. 11), « penser le genre c’est réinventer la famille » (p. 123), comme l’écrit Jonathan Nicolas, mais c’est le faire en écoutant la clinique, en glanant quelque chose que les patients laissent tomber, sans s’en rendre compte. Ainsi, le genre ne semble pas être la fin de la famille, mais bien au contraire, quand on met la notion au travail, permettrait selon les auteurs de refaire famille.
Bibliographie
• Laplanche, J., 2007. Le sexual. La sexualité élargit au sens freudien, Paris, Puf.
• Radica, G., 2013. Philosophie de la famille. Communauté, normes et pouvoirs, Paris , Vrin.