C’est à la fois une grande tristesse, un grand honneur, et l’occasion émouvante de dire ma gratitude et ma reconnaissance pour Daniel Widlöcher car ma rencontre avec lui, comme pour beaucoup d’entre nous, a été décisive pour moi à maints égards ; l’occasion aussi de dire l’estime et l’admiration pour lui, qui se sont d’emblée engagées et n’ont cessé de m’accompagner depuis.
Bien sûr, ce sont les souvenirs des commencements qui reviennent et convoquent des moments précieux et jamais vraiment perdus.
J’ai rencontré Daniel Widlöcher en 1967 alors que j’étais étudiante à Nanterre, puis l’année suivante à la Sorbonne où il défendait, dans cette université très vouée à la psychologie expérimentale et à la psychiatrie classique, une épistémologie centrée sur la psychanalyse ; je dis épistémologie car il ne nous imposait pas un système dogmatique ni sophistiqué, ou encore une combinaison pragmatique de données cliniques et de concepts convenus…Il nous a fait découvrir et aimer la psychopathologie et la psychanalyse en transmettant à ma génération, et aux suivantes, une démarche métapsychologique au sens plein du terme puisqu’elle proposait, avec une clarté et une simplicité remarquables, une véritable articulation entre le fait clinique et la théorie, dans une mise à l’épreuve constante de l’un par l’autre.
Un chercheur, voilà ce qui m’est apparu très vite lorsque j’ai rencontré Daniel Widlöcher, un vrai chercheur dans la mesure où la puissance de la pensée et le surplomb qu’elle assure, se révèlent à la mesure de la profondeur clinique et des qualités sensibles de l’expérience car pour lui, il n’y a pas de psychanalyse sans questionnements épistémologiques, sans interrogations sur la théorie et la méthode. Ce sont ces principes essentiels qui m’ont conduite, très tôt, à demander à Daniel Widlöcher d’entreprendre une thèse de Doctorat sous sa direction. Et c’est très vite après cet engagement qu’il m’a proposé un poste d’assistante à l’Université…Je lui dois donc ma carrière universitaire car, sans cette offre, je n’aurais pas eu l’idée d’un chemin de ce côté-là.
Je pense que nous sommes nombreux à avoir éprouvé, reconnu et identifié sa profonde influence sur nous : l’intérêt pour l’épistémologie et les mises en perspective notamment de la psychanalyse, de la psychiatrie et de la psychopathologie, les problématiques de perte, le statut des représentations, les réflexions sur le concept de pulsion, l’acte de pensée et les identifications. A cet égard, on ne peut que souligner, chez l’homme, l’intensité d’une curiosité sans cesse renouvelée, le refus d’immobilisme, le rejet de tout impérialisme de pensée : de ces trois qualités, se dégage, c’est une évidence, l’axe qui traverse toute l’œuvre, celui du changement, changement non seulement attendu dans les traitements psychiques, mais changement de points de vue dans les échanges scientifiques avec le goût de la mise à l’épreuve dans ses aspects les plus ardus, sans complaisance séductrice, sans rigidité tout autant séductrice.
Ce sont les mêmes mouvements liés à lui qui m’ont orientée vers l’APF, pour mon analyse personnelle et ma formation, car, cette fois encore, c’est vers lui que je me suis tournée pour demander conseil. Je l’ai donc régulièrement côtoyé depuis, nous avons eu souvent l’occasion de travailler ensemble, souvent hors les murs de notre institution analytique : là encore, sa réserve et sa grande rigueur s’accordaient avec un souci de différenciation qui permettait de maintenir une certaine distance.
Pendant longtemps, je l’ai appelé Monsieur, c’était important pour moi, c’était une manière de respecter le grand homme qu’il était, d’entretenir l’idéal qu’il incarnait pour nous, avec cette si extraordinaire intelligence et ce sens du débat qui le caractérisaient. J’ai eu du mal à l’appeler Daniel, même si cela s’est imposé avec le temps et l’amitié plus proche. Mais Monsieur, c’était aussi entretenir le mouvement transférentiel qui m’animait et qui ne s’est jamais vraiment défait puisqu‘il n’a pas été mis à l’épreuve de la cure. C’est ce Monsieur que je veux saluer aujourd’hui, encore une fois.