Nous sommes réunis pour honorer l’œuvre si créatrice du professeur René Roussillon. Nous allons tenter tout au long de ces journées de mettre au travail les différentes facettes scientifiques de cet homme complexe qu’est René Roussillon. René est à la fois fin et nuancé et néanmoins il n’a pas sa langue dans sa poche :
- il est l’enseignant charismatique qui fait déborder les auditoires de la faculté et j’ai même entendu dire que certains étudiants amenaient leur famille et leurs amis pour l’écouter ;
- il est le psychanalyste théoricien prolixe qui a une énorme capacité et facilité de jongler avec les concepts et nous aurons l’occasion de l’écouter rebondir avec l’agilité d’un danseur sur les interventions des uns et des autres et il nous étonnera encore en développant de nouvelles pistes de réflexion tout au long de ce weekend.
René est un brillant diamant pour l’université française et pour la psychanalyse française. J’espère, cher René, que l’Université de Lyon est fière de toi parce que tu es sans conteste un des professeurs analystes français les plus connus, les plus réputés et les plus invités en Europe, et dans ma fonction de président de la Fédération Européenne de Psychanalyse, je suis bien placé pour savoir et affirmer que tu es sans doute l’analyste le plus demandé hors de l’hexagone. René Roussillon et la psychanalyse ont contribué à faire connaître l’université Lumière Lyon 2 parmi les soignants dans toute l’Europe ! Tu as travaillé, retravaillé, parfois de fond en comble, et d’une façon très personnelle la métapsychologie freudienne et postfreudienne. Par exemple tu soulignes (2008) que Winnicott révolutionne profondément la psychanalyse en introduisant l’idée que « l’objet de la pulsion est un autre sujet. Il ouvre ainsi de nombreux chantiers de la psychanalyse contemporaine ». Tu insistes sur l’idée, chez Winnicott, d’une métapsychologie de la rencontre et non de la séparation. Ceci, bien sûr, avec des différences très nuancées sur les modalités de la présence de l’objet et à la fois en pensant à ce que peut induire l’absence sur la présence et la présence sur l’absence.
Notre première rencontre reste très vive en ma mémoire. René, tu t’en souviens sans doute il y a exactement 30 ans, j’avais organisé à la mer du Nord en Belgique un congrès de psychothérapeutes autour des « états psychotiques » et tu y as donné un exposé non seulement brillant mais tellement fluide que la salle était pendue à tes lèvres. Mais ce qui m’a le plus frappé lors de cette première rencontre, et encore toujours maintenant, c’était ta curiosité, ton ouverture pour les gens. Tu aurais pu comme le font beaucoup de conférenciers célèbres rester le temps de ton exposé et puis sous un prétexte quelconque repartir. Tu es resté avec nous au colloque du début à la fin et c’est encore toujours ce que tu fais aujourd’hui. Lors des congrès, tu t’intéresses aux collègues, au contexte de leur travail, à leur formation, tu parles à tout le monde, aux analystes les plus chevronnés tout comme aux plus jeunes psychothérapeutes. Jamais je ne t’ai vu chercher la polémique pour la polémique, jamais je ne t’ai entendu dénigrer un collègue. Mais quelle flamme de malice et de plaisir dans tes yeux quand on vient te titiller sur la théorie ou la clinique lorsque on n’est pas d’accord avec toi sur un plan scientifique.
Tu as un don inné d’enseignant hors pair pour transmettre des contenus complexes en donnant à ceux qui t’écoutent le sentiment de pouvoir s’approprier ce que tu dis et de se sentir intelligents. Personnellement, je t’ai toujours comparé à un passeur : tu es à l’aise avec des étudiants, des somaticiens, des psychothérapeutes de toutes les orientations ainsi qu’avec les psychanalystes les plus difficiles. Tu fais passer ce qui t’est cher de la psychanalyse aussi bien aux uns qu’aux autres en t’adaptant à ton auditoire, en « sentant » littéralement ton auditoire. Et tu continues à susciter mon admiration et dois-je confesser mon envie quand, sans aucune note, tu fais des exposés brillants. Sans notes certes mais pas sans minutieuse préparation néanmoins.
Pendant ces 2 journées de travail et d’échanges, les intervenants vont beaucoup se centrer sur tes textes psychanalytiques et continuer in vivo le débat que tu aimes tant. Alors, permets-moi de souligner tout particulièrement ce que tu as apporté au vaste monde des psychothérapeutes qui travaillent avec les patients les plus difficiles, les plus abîmés dans les diverses institutions. Les développements sur l’approche analytique, les dispositifs analysants dans tous les secteurs du soin psychique apportent un appui fondamental dans la pratique et la réflexion clinique à tous les thérapeutes qui se situent hors des sociétés de psychanalyse et qui travaillent la dure réalité de la clinique du terrain dans les hôpitaux, les centres de soins ambulatoires et autres centres de placement.
Tu parles de la théorie de Winnicott (2007) comme d’une théorisation, d’une compréhension du psychisme au plus près de la vie, « elle s’attache à penser le vivant dans le processus de la vie elle-même » c’est ce qui a à voir avec la créativité dont nous avons bien besoin avec ces patients si difficiles mais aussi avec l’inconnu en soi et en l’autre, le non advenu et ce qui pourrait advenir. Mais tu soulignes aussi avec le danger, qui n’est jamais loin avec du Winnicott mal interprété, qui serait de tout attendre du bon objet réparateur et du bon thérapeute réparateur. Et comme psychothérapeute, cela veut dire naviguer au plus près avec nos patients et essayer de garder le cap tout en restant réceptif à ce qui pourrait surgir en l’autre mais aussi à l’intérieur de nous-mêmes, que ce soit la haine dans le contre-transfert ou l’émerveillement des méandres de l’inconscient comme dans le décours d’un squiggle, par exemple.
Tu as aussi développé la clinique des « agonies primitives », des expériences catastrophiques, des vécus de mort psychique et d’autres formes d’angoisses extrêmes qui ont tellement menacé l’être que celui-ci a dû, pour survivre à leur impact, se dissocier, se retirer de lui-même, se couper de lui-même et de ses expériences essentielles et ainsi de toute possibilité de représenter ce à quoi il était confronté. Les agonies sont sous-jacentes aux formes cliniques de la négativité ou du négativisme, elles alimentent d’une source inépuisable la destructivité, les formes d’anti-socialité et la culpabilité primaire qui leur est associée.
Au nom de la Fédération Européenne de psychanalyse avec ses 42 sociétés composantes réparties sur 25 pays et comportant plus de 6000 membres je souhaite te transmettre nos plus chaleureux remerciements pour ton désir et ta capacité de transmettre ta préoccupation à faire vivre la pensée psychanalytique. Je tiens aussi à te remercier pour les nombreuses présentations lors des congrès annuels de la Fédération Européenne et plus particulièrement je tiens à te témoigner par ma présence de ma profonde amitié.