Résidence alternée : caisse de résonance des troubles psychopathologiques des parents ?
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Résidence alternée : caisse de résonance des troubles psychopathologiques des parents ?

Introduction

Les situations de séparation ou de divorce peu de temps après la venue d’un bébé deviennent de plus en plus fréquentes. Suite au travail de sensibilisation mené auprès des avocats familialistes et des juges quant aux enjeux des modalités d’hébergement pour le développement des bébés et des jeunes enfants, nous sommes, en tant que pédopsychiatres fréquemment consultés, à titre privé et confidentiel, pour « conseiller » des parents, généralement adressés par leurs avocats, et tenter de dégager avec eux une solution optimale en termes de modalités d’hébergement dans l’intérêt de l’enfant. Il n’est pas rare non plus que nous ayons à proposer des modalités d’hébergement dans le cadre d’expertises civiles ordonnées alors par le Tribunal. En Belgique, depuis 2006, le législateur a instauré l’hébergement égalitaire comme modèle de référence en cas de divorce, pour autant que les parties ne se soient pas accordées préalablement sur une autre solution, c’est-à-dire dans les situations les plus conflictuelles. Dans la doctrine cependant, le jeune âge de l’enfant est présenté comme une exception potentielle, nécessitant cependant une motivation du Juge pour déroger à l’hébergement alterné.

Au niveau de la jurisprudence, l’hébergement alterné pour les enfants de moins de 3 ans est cependant rarissime. Néanmoins, nous assistons actuellement à un pervertissement de l’esprit de la loi qui cherchait à soutenir l’intérêt de l’enfant de se voir inscrire dans une double filiation, en une loi au bénéfice de ce qui serait le droit des parents à se « partager » l’enfant, en évacuant la question des besoins de l’enfant et de son intérêt. Lors de séparations précoces après la venue d’un enfant, on constate fréquemment une difficulté d’accession à la parentalité et aux remaniements identitaires qui y sont inhérents, dont on peut faire l’hypothèse qu’elle s’inscrit dans un tableau de fragilité psychique d’un ou des parents. Les configurations narcissiques-identitaires de la personnalité sont souvent retrouvées.

Dans notre clinique, la question de la paternalité et de ses aléas nous semble plus fréquemment engagée dans ces situations. La conflictualité autour de la revendication d’un hébergement égalitaire du bébé par le père cache bien souvent la tentative de colmater des failles narcissiques et semble court-circuiter tout autre moyen d’élaboration de la souffrance psychique. Notre hypothèse serait que la possibilité de revendication de l’hébergement égalitaire, prévue par le législateur et abondamment médiatisée, semble, dans bon nombre de cas, exacerber certaines expressions de la fragilité psychique des parents. Cette revendication se développe au détriment des capacités d’identification aux besoins de l’enfant et fait ainsi caisse de résonnance à certains aspects pathologiques de la problématique psychique, tant individuelle que conjugale et familiale. On peut postuler qu’en d’autres temps, ce type de conflictualité aurait trouvé d’autres issues, à priori moins défavorables au développement de l’enfant.

Clinique

Notre propos s’étaye sur de nombreuses situations cliniques que nous ne pourrons pas toutes développer ici. La situation paradigmatique concerne des cas de séparations conflictuelles avec des bébés ou de jeunes enfants lorsque le père demande ou exige une résidence alternée égalitaire et qu’une intervention pédopsychiatrique a été proposée.

a – Première vignette

Les parents d’Amélie, 18 mois, viennent consulter sur les conseils de leurs avocats respectifs pour tenter de dégager un accord en matière d’hébergement de leur bébé. « Nous voulons le meilleur pour elle ». Malgré le discours très policé, la tension est à son comble. La réunion de conciliation en présence des avocats a tourné à l’affrontement : « Mon client est en droit d’exiger un HAE », « Votre client ne confond-il pas droit et devoir ? ». Le couple, deux trentenaires hauts fonctionnaires, affiche une aisance sociale certaine et une apparence de grande conformité aux normes de leur milieu d’origine. Ils se sont mariés il y a cinq ans après deux ans de vie commune et vivent toujours ensemble au moment de la première consultation. Mr a pris la décision de divorcer quelques mois auparavant et se dit dans l’attente de trouver un appartement à proximité de la crèche pour déménager. Le bébé qui souffrait de coliques et pleurait beaucoup irait beaucoup mieux depuis la décision de divorce : « On ne se parle plus donc on ne se dispute plus… ».

Alors que je m’enquiers du contexte de leur demande, Mr pose d’emblée les balises de l’entretien : « Je ne viens pas ici pour être psychanalysé, je veux ressortir d’ici avec un calendrier précis des dates d’hébergement ; je souhaite une alternance 2j/2j … ». Les parents, sans me laisser le temps de respirer me feront part des décisions déjà prises et sur lesquelles ils s’accordent : « Un enseignement trilingue, Amélie est en crèche néerlandophone, elle est inscrite à l’école maternelle anglophone proche du domicile et est déjà sur liste d’attente pour la suite de sa scolarité dans une école internationale très traditionnaliste pour qu’elle y apprenne les valeurs et la discipline.

Je souligne que voilà un bébé aux épaules déjà bien chargées par tout ce qui est attendu de lui… Cette intervention permettra à Mr d’associer sur le caractère impitoyable du monde contre lequel il souhaite armer sa fille. Il enchaînera sur son parcours professionnel difficile et le sentiment de ne pas avoir été reconnu pour ses compétences. Il fera état d’un burn out et d’un licenciement avec un parachute doré, ce qui lui a permis de ne plus travailler depuis la grossesse de sa femme. « Je ne suis pas pressé de retravailler, ma fille est tout pour moi, j’exige de l’avoir au moins la moitié du temps : « ça », on ne va pas me l’enlever aussi, je ne supporterai pas d’être disqualifié dans mon rôle de père, j’ai peur de ne plus exister si je n’ai pas la garde alternée… ». Mme évoquera les difficultés liées à la dépendance de leur couple à leurs parents qui s’occupent de tout, du bébé et du ménage à temps plein, même le dimanche, Madame se sentant fatiguée par son travail et Monsieur ayant besoin de « temps pour lui ».

Je ferai des interventions à propos de la complexité de tout ce qui semble se jouer pour chacun d’entre eux, de tout ce qui semble très emmêlé de leur histoire à chacun, des blessures anciennes et de celles liées à la situation actuelle, de leur souci de protéger leur fille contre de telles blessures et de telles déceptions…Ces quelques liens permettront l’ouverture d’un espace de réflexion ; les parents, très touchés et surpris demandent à être aidés et reçus séparément, ce que j’accepte. Lors des entretiens suivants, la problématique de chacun se déploie. On note une mésentente du couple dès le mariage qui semble avoir mis un terme à l’état amoureux. La problématique de la dépendance et du lien œdipien aux parents est massive. Mme est totalement soumise à l’emprise de son père et répète cet état de soumission avec son mari ; j’apprendrai qu’il l’a obligée à appliquer des méthodes d’apprentissage précoce au bébé. Mr est dans un état de sollicitude anxieuse envers sa propre mère qui l’amène à lui téléphoner 4 à 5 fois par jour. Le fantasme inconscient incestueux n’est jamais très loin. Au fil des quelques entretiens, Mr s’autorisera à renoncer à ses réactions de prestance et à pouvoir être en contact avec des affects dépressifs très importants. Mme demandera à être adressée à un collègue pour entamer un travail personnel pour « l’aider à prendre de l’autonomie »… Mr déménagera et j’assisterai à une véritable relance de ses capacités identificatoires. Il dira ne pas vouloir « aller trop vite » pour Amélie, qu’il se rend compte du chamboulement que représente pour lui l’investissement d’un nouveau lieu de vie et qu’il doit en être ainsi pour sa fille, en bien pire… Les parents demandent un suivi régulier de la situation, Mr souhaitant toujours un HAE mais progressivement, quand Amélie sera mûre pour…Nous convenons de nous voir tous les deux mois « pour faire le point »…

b – Deuxième vignette

Je rencontrerai Antoine alors qu’il commence à fréquenter l’école maternelle qui va très vite s’inquiéter du retard de langage et du caractère angoissé de l’enfant. Le couple s’est séparé six mois plus tôt et le conflit fait rage entre les parents. Très rapidement, quelques éléments : Antoine est né très prématurément après une grossesse à haut risque durant toute la durée de laquelle Mme a été hospitalisée. Antoine est resté longtemps en service de néonatologie. Mme n’a pas osé dormir pendant plusieurs mois tant les angoisses de mort étaient envahissantes. Dans la famille maternelle, les problèmes de séparation sont impressionnants et les angoisses de mort sont omniprésentes. Plusieurs membres de la famille sont morts pendant la guerre et le frère aîné est décédé d’un cancer durant l’adolescence. Toute la famille travaille dans l’affaire familiale avec un niveau d’exigence très élevé.

Mr de son côté, est dans un état de dépendance affective et financière totale à l’égard de ses parents. Il n’a jamais travaillé, fréquente le milieu de la nuit, sa vie est faite de plaisirs immédiats et superficiels. Après la naissance d’Antoine, la mésentente est totale. Mme va mal, Mr fuit…Le couple se sépare à la demande de Mme qui se replie dans une relation particulièrement fusionnelle à son fils. Très rapidement un violent conflit éclate à propos de l’hébergement d’Antoine, Mr souhaitant qu’Antoine soit élevé la moitié du temps dans sa famille. Les deux familles, le combat étant porté par les deux grands-pères, s’affrontent violemment par l’intermédiaire de deux ténors du barreau spécialisés en droit des affaires dans une guerre juridique impitoyable au sein de laquelle l’enfant n’est absolument pas pris en compte…Pour Mme, chaque départ de son fils est vécu comme un véritable arrachement, elle est tétanisée par des angoisses massives. Antoine supporte très mal les moments chez son père qui dénie toute difficulté ; chez lui, Antoine est sage et ne montre aucun comportement d’opposition, les troubles fonctionnels sont banalisés. Une expertise est ordonnée par le tribunal, la jeune psychologue passe à côté des aspects de perversion narcissique de Mr et de l’ampleur des attaques envieuses à l’égard de Mme, et insiste sur le caractère angoissé et fusionnel de la relation mère-fils dont il s’agit d’extraire le fils au moyen de l’hébergement alterné égalitaire…

Un HAE est donc ordonné assorti d’une thérapie pour l’enfant…

De procédure en procédure, l’hébergement alterné égalitaire est maintenu jusqu’à l’entrée à l’école primaire (CP). Là, Mr se trouve confronté à une réalité pratique, son fils est en en âge d’obligation scolaire et il doit l’amener à l’heure à l’école. Antoine est très angoissé par les retards qui s’accumulent. Mr finit par le laisser de plus en plus de temps chez la mère et part vivre plusieurs mois par an à l’étranger, après s’être mis en couple avec une femme de 15 ans son aînée…

c – Discussion

Ce type de séparation très précoce du couple parental après la naissance de l’enfant pose question en soi. Dans ces situations, l’accès à la parentalité avec les remaniements identitaires qu’elle implique, entraîne chez les parents une décompensation psychique à minima qui ne se traduit pas forcément par des symptômes psychiatriques francs mais qui amène l’exacerbation de conflits conjugaux, l’éclatement du couple et une escalade de procédures judiciaires. Ce sont, dans notre expérience, des parents fragiles narcissiquement et englués dans le fonctionnement pathologique de leurs familles d’origine. L’enfant est mis à une place qui ne tient pas compte de la réalité de ses besoins ; il est utilisé dans la problématique individuelle parentale et sert de munition dans les conflits de couple. Dans ces situations, il faut prendre en compte, comme des cercles concentriques, à la fois le fonctionnement individuel de chacun des parents, le fonctionnement de leur couple, le fonctionnement des familles d’origine, les aspects transgénérationnels ainsi que le contexte idéologique de la société actuelle.

Contexte social

Nous avons le sentiment que l’évolution des normes sociales potentialise le malaise de certains parents plus vulnérables.

Nous avons relevé trois points qui nous semblent pertinents pour notre propos.

1. D’abord, on assiste depuis la fin du 20e siècle à une tendance à l’indifférenciation des sexes et à l’indifférenciation des rôles et des fonctions parentales. Le point de départ a été les luttes féministes pour obtenir l’égalité des droits ; cette lutte a entraîné parallèlement une remise en cause progressive du pouvoir et de l’autorité des hommes et des pères et une attaque de l’image paternelle détentrice de l’autorité. On peut dire que le 21e siècle à son début est le siège d’une crise de l’identité masculine et paternelle. D’un côté, il y a eu une évolution des mœurs ; dans les familles, il y a en général un partage plus égalitaire des tâches. Les pères s’occupent plus de leur bébé, pouponnent, donnent le bain, le biberon, changent même les couches ; ils s’autorisent à câliner, à manifester de la tendresse ; ils veulent être plus présents auprès de leurs enfants. Les femmes travaillent ; elles ont gagné leur indépendance et le droit à une réalisation personnelle. Tout cela présente beaucoup de côtés positifs, on peut dire que la bisexualité psychique est mieux assumée, intégrée mais le contrepoint réside en une certaine déstabilisation identitaire des hommes et des femmes et une perte de repères.

Du côté des femmes, il est difficile de concilier le travail et la réussite professionnelle avec le rôle de mère et ce que cela implique d’assumer une fonction maternelle en termes de présence et de continuité. Les congés de maternité sont courts et la séparation avec le bébé est souvent précoce (3-4 mois). Les femmes se sentent écartelées entre les exigences de la réalité quotidienne et celles de la maternité ce qui peut entraîner des sentiments dépressifs.

Du côté des hommes, ils sont en plein questionnement sur leur rôle et déstabilisés parce qu’ils sont en rupture avec la transmission qui leur a été faite par leur propre père et en porte-à-faux par rapport à leurs identifications masculines ; certains d’entre eux revendiquent une capacité totale et équivalente à celle des femmes à assumer une fonction maternelle. Le problème vient, nous semble-t-il, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes lorsque « égal » se confond avec « identique » ou en d’autres termes lorsqu’il y a confusion entre égalité des droits et déni de la différence des sexes.

2. Le deuxième point concerne l’aspect social. Notre société voit l’accroissement de la dimension narcissique du lien à l’autre et en particulier, il y a une intensification de la dimension narcissique de l’investissement des enfants et une contrainte plus grande de l’idéal avec deux versants :

  • l’enfant comme un droit, un enfant quand je veux, comme je veux, seul(e) si je veux ou avec qui je veux
  • l’enfant comme prolongement narcissique de ses parents, chargé de réparer par sa réussite et sa brillance leurs blessures narcissiques et leurs échecs.

Il s’agit d’une coloration narcissique plus intense actuellement du lien à l’autre qui est une porte ouverte pour que s’y engouffre la psychopathologie parentale.

3. Le troisième point concerne l’évolution du cadre institutionnel juridique et la promotion de la résidence alternée. Ce cadre juridique semble permettre que certains aspects psychopathologiques, quand ils existent, se déploient à travers un mouvement de revendication potentiel pour la garde égalitaire au mépris du bien-être des enfants.

Aspects psychopathologiques

Les vignettes cliniques montrent combien les parents ont un équilibre psychique précaire déjà avant l’accès à la parentalité et comment la venue de l’enfant amène un effondrement identitaire masqué par l’externalisation du conflit interne sur la scène juridique. Et dans notre expérience, c’est le cas dans la plupart de ces situations de séparation précoce conflictuelles.

Les parents d’Amélie et Antoine viennent tous de familles dont on peut penser qu’elles ont un fonctionnement prénévrotique dans le sens où Maurice Berger les définit ; en effet, ce sont des familles dans lesquelles la problématique de base touche aux processus d’individuation et d’autonomisation. Ces parents sont pris dans des conflits de loyauté à l’égard de leur famille d’origine et emprisonnés dans une dépendance à leurs propres parents ; ils n’ont pas pu former un couple indépendant et sexué.

La mère d’Amélie fait une carrière brillante mais présente un fonctionnement proche du faux-self ; elle est psychiquement complètement dépendante de ses parents et dans une relation d’emprise incestuelle avec son père. Elle a du mal à assumer sa maternité. Le père d’Amélie est également pris dans une relation incestuelle avec sa propre mère. Il est fragile narcissiquement et est très blessé par ses échecs professionnels sans doute dus à un comportement marqué par la susceptibilité, la rigidité et la sensitivité. On sent que derrière la dévalorisation se profile un noyau omnipotent.

La mère d’Antoine travaille dans l’entreprise familiale et est engluée dans des liens familiaux très fusionnels sous-tendus par des angoisses de mort prégnantes transmises trangénérationnellement. Le père d’Antoine est pris également dans une relation de dépendance affective et financière avec sa famille ; il ne s’assume pas financièrement comme homme. La confusion de génération est présente ; ce sont les grands-pères qui s’affrontent à travers la procédure juridique. Au moment de la grossesse et de la naissance du bébé, l’infantile des parents est requestionné dans ses deux versants pulsionnel et narcissique ; certains vécus de leur passé de bébé et d’enfants vont être réveillés et certains aspects conflictuels inconscients vont être remis en tension :

  • L’angoisse et la culpabilité face à la rivalité œdipienne ;
  • Mais aussi des problématiques plus archaïques avec ses mouvements d’envie et d’agressivité et ses fantasmes violents et destructeurs.

Chez les parents plus fragiles, ce qui va être réveillé, ce sont des vécus douloureux, angoissants, faits d’agonies primitives et de vécus d’intrusion et d’empiètement ; des mécanismes de défense drastiques vont être mis en œuvre pour éviter le contact avec la souffrance infantile ravivée ; il s’agit alors de déni, clivage et projection.

On voit pour les parents d’Amélie et d’Antoine des fantasmes œdipiens très prégnants mais derrière cela on devine des souffrances infantiles précoces voire des agonies primitives sous-tendues par des mécanismes d’identification projectives pathologiques et entraînant des difficultés à s’individualiser, se différencier et développer son propre self. Le père d’Amélie veut un calendrier précis, pas une psychanalyse ; tout travail de questionnement psychique serait pour lui assimilé à l’intrusion d’une mère toute-puissante dans son monde interne.

Dans notre société où les rôles dévolus à chaque sexe sont moins clairs et définis, on assiste chez les nouveaux parents à un vacillement identitaire important. Ce qui peut amener certaines femmes à renoncer partiellement à assumer leur maternité avec une fuite dans le travail ; la mère d’Antoine privilégie sa carrière et « donne » son fils à ses parents. Chez certains hommes plus fragiles, l’issue des conflits pourra être la revendication à assumer un rôle maternel et d’être identique à une mère ; on trouve alors une identification féminine forte et un mouvement très prégnant de jalousie et d’envie qui vise la capacité de la femme de porter un enfant et de l’allaiter. Cette revendication peut prendre un aspect paranoïaque et militant. La revendication de la résidence alternée pour ces deux pères sert à la fois de tuteur pour éviter l’effondrement, de soutien identitaire et de munition pour régler leurs comptes avec leur femme et à travers elle, sans doute avec leur propre mère. La dimension perverse est plus présente pour le père d’Antoine. Parallèlement à ces procédures juridiques, l’investissement narcissique de l’enfant est très important ; les blessures narcissiques anciennes et actuelles des parents sont ravivées et l’enfant est chargé de les soigner en réalisant les idéaux omnipotents de ses parents.

Conclusions

Ce que nous avons voulu montrer au travers de ces deux vignettes cliniques, bien entendu chaque fois particulières et non généralisables, c’est l’impact des problématiques individuelles, conjugales et familiales qui se déploient voire s’exacerbent autour de l’enjeu de l’hébergement alterné du bébé. On a pu y voir l’intrication des problématiques – le plus souvent de type narcissique-identitaire – des deux parents, néanmoins la revendication du caractère égalitaire de l’hébergement alterné est le plus souvent portée par le père.

Dans ces situations très conflictuelles, cristallisées autour du bébé et des enjeux liés à son mode d’hébergement, il va s’agir fréquemment de problématiques familiales pré-névrotiques telles que M. Berger les a décrites. Les besoins de l’enfant ne sont pas suffisamment pris en compte, l’empathie à son égard fait défaut et la quête réparatrice narcissique des parents prime sur la réponse adéquate à l’enfant dont le développement peut se voir entravé par la massivité des projections dont il est l’objet. Il s’agit pour nous de situations inquiétantes en terme de développement psychique de l’enfant et qui nécessitent une approche attentive, spécifique et différenciée par les intervenants, tant dans le champ de la santé mentale en termes de prévention et de traitement que dans le champ judiciaire.

Bibliographie

Berger M. 1992b, Les séparations à but thérapeutique, Toulouse, Privat.

Berger M. 2012, Le travail thérapeutique avec la famille, 2ème édition, Paris, Dunod.

De Buck C., N. Massager 2007, Etre parents et se séparer, Bruxelles, De Boeck.

Durieux M-P, Frisch-Desmarez C. 2000, « Désemboîtement des parents et de l’enfant dans le traitement analytique familial au long cours », Journal de la Psychanalyse de l’enfant, 26, p 311-338, Paris, Bayard.