Résidence alternée et intérêt de l’enfant
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Résidence alternée et intérêt de l’enfant

Conformément aux dispositions de l’article 373-2-9 du code civil issu de la loi du 4 mars 2002, lorsque les parents se séparent, « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux. A la demande de l’un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. »

L’amendement voté par le Sénat dans la nuit du 17 au 18 septembre 2013 prévoit qu’ « en cas de désaccord des parents, le juge entend le parent qui n’est pas favorable au mode de résidence de l’enfant en alternance (…). La préférence est donnée à la résidence en alternance paritaire. La décision de rejet (…) doit être dûment exposée et motivée ».

Le Sénat a également créé un délit d’« entrave à l’exercice de l’autorité parentale par des agissements répétés ou manipulations diverses », qui apparaît comme une référence explicite au concept d’aliénation parentale, auquel font systématiquement et explicitement référence les propositions de loi régulièrement déposées au Parlement en faveur de la résidence alternée (par exemple la proposition de loi du 24 octobre 2012). Ces dispositions votées au Sénat dans des circonstances particulières me paraissent mettre en évidence que la réflexion sur la résidence alternée implique nécessairement la prise en compte de rapports de force entre des mouvements différents voire contraires, des logiques opposées sur l’évolution du droit de la famille, dans une période de profonds bouleversements de ce droit, qu’il s’agisse du couple, de la filiation, de la transmission du nom, de la séparation du couple, ou de la protection de l’enfance (interrogation des concepts clés de la protection de l’enfance : le danger, la maltraitance ; annonces relatives à un statut de prémajorité de l’enfant). Dans ce contexte de mutations profondes du droit de la famille, l’intérêt de l’enfant, dans la mesure où il peut être objectivé, me semble être seul de nature à dépasser ces logiques contraires.

De la puissance paternelle à l’autorité parentale

Les réformes les plus récentes du droit de la famille sont principalement axées sur la volonté de promouvoir la coparentalité (la loi du 4 mars 2002), afin de restaurer dans la famille la place du père qui est perçue comme fragilisée. Cette perception des places respectives du père, de la mère et de l’enfant, telles qu’elles sont assignées par le droit, me paraît pourtant très excessive. En outre, elle comporte le risque, en suggérant des réformes par effets successifs de balanciers, de négliger la finalité même de l’autorité parentale : l’intérêt de l’enfant.

La pratique des fonctions de juge aux affaires familiales et surtout de juge des enfants m’a conduit à m’interroger sur le regard très différent porté, par les professionnels de l’enfance et par la société, sur les pères et sur les mères. S’agissant des pères, c’est la présence ou l’absence de ces derniers qui est interrogée, et c’est en général à la mère qu’il est fait grief de l’absence des pères. S’agissant des mères, ce n’est pas seulement leur présence ou leur absence qui est regardée mais le comportement qu’elles adoptent à l’égard des enfants, c’est-à-dire leur parentalité, leur capacité à protéger et éduquer l’enfant. En somme, le regard porté sur la parentalité des mères est à la fois plus intrusif et vigilant. Cet écart entre les attentes des professionnels et de la société à l’égard des pères et des mères m’a conduit à m’interroger sur l’évolution des concepts du droit de la famille, de la puissance paternelle et maritale à l’autorité parentale indissociable de l’intérêt de l’enfant (Durand, 2012).

Si la fonction du droit de la famille est de fixer le cadre juridique des relations entre le père, la mère et l’enfant dans la famille, les termes de puissance et d’autorité sont alors porteurs d’un sens très grand, tant il est vrai que « la terminologie juridique est l’inconscient du droit » selon le mot si juste d’I. Théry.

La puissance maritale et la puissance paternelle n’ont été abolies en droit français qu’en 1938 et 1970 respectivement. Ce régime immémorial confiait à l’homme, mari et père, le pouvoir dans les relations familiales, conduisant ainsi Ulpien à affirmer que « nous appelons famille plusieurs personnes qui ont été placées soit par la nature soit par le droit sous la puissance d’une seule… le père de famille est celui qui est maître chez lui ». La loi du 4 juin 1970, par l’inspiration du Doyen Carbonnier, a aboli la puissance paternelle pour lui substituer l’autorité parentale, droit-fonction conféré par la loi aux père et mère pour assurer la protection de l’enfant (article 371-1 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 4 juin 1970). Sous l’influence de la Convention internationale des droits de l’enfant, la loi du 4 mars 2002 a modifié la rédaction de cet article pour insérer la notion de l’intérêt de l’enfant : « l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant » (art. 371-1 c.civ). Ainsi, l’autorité parentale consacre l’égalité des deux parents dans la parentalité alors que la puissance paternelle conférait au père une prééminence immémoriale, elle consacre l’intérêt de l’enfant comme finalité de ce droit-fonction, et elle exclut la violence car, suivant en cela la pensée d’Hanna Arendt, ce qui distingue la puissance et l’autorité, c’est que l’autorité prohibe toujours « le recours à des moyens extérieurs de coercition. » C’est donc dans cette perspective que doivent être resitués les enjeux contemporains de l’évolution du droit de la famille. Pourtant, il n’est pas excessif de considérer que la loi du 4 mars 2002 sur la coparentalité a inversé cette perspective en se donnant pour ambition, 42 ans après la création de l’autorité parentale, de promouvoir la place du père apparaissant comme menacée.

De l’autorité parentale à l’aliénation parentale

C’est dans ce contexte que doit être située la promotion de la coparentalité, associée à celle de la « déconflictualisation », de la « régulation négociée » des relations familiales (Bastard, 2013) au risque de faire de la coparentalité une « incantation formelle ». La loi du 4 mars 2002 a marqué une insistance importante en faveur de l’exercice conjoint de l’autorité parentale. S’il est indéniable que l’accord des deux parents sur les décisions éducatives concernant l’enfant sont pour celui-ci un repère structurant et sécurisant, l’injonction à la coparentalité peut se révéler source de danger pour l’enfant, tout particulièrement dans les situations de violences conjugales (Durand, 2013), dans lesquelles la « séparation prématurée du conjugal et du parental » (Sadlier, 2009) conduit à négliger les mécanismes d’emprise à l’œuvre dans les relations familiales et qui sont perpétuées par l’exercice conjoint de l’autorité parentale. La généralisation de l’exercice conjoint de l’autorité parentale et l’injonction faite aux parents de s’entendre, quelles que soient les circonstances qui ont conduit à la séparation, démontrent la justesse de la vision du Doyen Carbonnier, selon lequel la coparentalité traduisait une « nostalgie de l’indissolubilité » du mariage. La promotion de la résidence alternée s’appuie souvent sur l’évocation paradoxale d’une part du risque d’aliénation parentale et d’autre part d’une faveur de la justice familiale à l’égard des mères.

Le concept d’aliénation parentale, qui jouit dans les tribunaux et jusqu’au Parlement d’une fortune préoccupante, conduit à négliger les mécanismes d’emprise à l’œuvre dans certaines situations familiales, comme il conduit, dans la mesure où il est associé à l’idée des « fausses dénonciations » à minorer le danger encouru par l’enfant auprès d’un parent maltraitant, tout particulièrement dans les situations de violences conjugales. Il apparaît pourtant que les fausses dénonciations d’abus ou de négligences maltraitants sont très largement résiduelles (Trocmé et Bala, 2005 ; Romito et Crisma, 2009 ; Phelip et Berger, 2012). En outre, contrairement à une idée reçue, la majorité des décisions des juges aux affaires familiales fixent la résidence habituelle de l’enfant chez la mère avec l’accord des deux parents. Ainsi, le plus souvent, le père et la mère souhaitent que l’enfant ait chez cette dernière sa résidence habituelle. Instituer la résidence alternée comme principe pour l’organisation de la vie de l’enfant et de la famille après la séparation peut donc apparaître comme une figuration du « bon parent » sans prise en compte des attentes et des besoins réels des parents eux-mêmes et plus précisément ici des pères. Une telle injonction comporte le risque de conduire les familles, dans la volonté de se conformer à cette prescription sociale, à solliciter une résidence alternée pour l’enfant non conforme à leurs attentes et à leurs capacités réelles, pour finalement revenir ensuite à un mode de vie plus adapté à leurs besoins et à leurs capacités, mais hors du cadre fixé par le jugement.

Qu’est-ce que l’intérêt de l’enfant ?

Face à des mutations si profondes du droit de la famille, mutations opérées selon des mouvements parfois opposés, l’intérêt de l’enfant me semble être le principe susceptible de préserver la cohérence des structures du droit applicable à la vie de famille, ne serait-ce que parce qu’il est la finalité de l’autorité parentale, au sens de l’article 371-1 du Code civil. Le Doyen Carbonnier avait prophétisé, en le regrettant peut-être, que l’intérêt de l’enfant finirait par rendre inutiles les autres principes du droit de la famille. Conformément aux dispositions de l’article 373-2-6 du Code civil, « le Juge aux Affaires Familiales règle les questions qui lui sont soumises en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs. » Et en assistance éducative, « le juge des enfants doit toujours se prononcer en stricte considération de l’intérêt de l’enfant. » (art. 375-1 c.civ). Dès lors, il importe de déterminer ce que nous entendons par intérêt de l’enfant. Mais, comme l’a souligné le Pr Golse, « la notion d’intérêt de l’enfant varie d’un magistrat à l’autre. Or, l’intérêt de l’enfant se doit d’être défini en fonction des besoins qui lui sont propres et qui varient avec l’âge. »

Standard juridique, l’intérêt de l’enfant est une notion peu définie qui peut ainsi être appliquée dans la grande diversité des situations singulières de chaque famille. La loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de l’enfance a associé l’intérêt de l’enfant et ses besoins fondamentaux. L’article L112-4 du Code de l’action sociale et des familles dispose en effet que « l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. »

Certes, une définition plus précise de l’intérêt de l’enfant, entendu non comme la meilleure décision pour tel enfant dans une situation singulière, mais comme la référence aux besoins de tout enfant selon son âge et son développement, est parfois critiquée dans la mesure où elle comporterait le risque d’un paternalisme d’Etat, et serait utilisée pour réduire les droits de l’enfant (Verdier, 2008). Elle permettrait néanmoins de mieux structurer les débats contemporains, à la fois sur le plan collectif et dans le traitement des situations individuelles, en référence à ce qui fait consensus dans la connaissance des besoins fondamentaux de l’enfant1. Cette perspective conduit en définitive à interroger l’autonomie du droit applicable à l’enfant (davantage d’ailleurs que l’autonomie de l’enfant au regard notamment des réflexions actuelles sur un éventuel statut de pré-majorité de l’adolescent) au regard de deux manières de penser le droit de la famille, identifiées par Irène Théry, la logique du droit du principe et la logique du droit du modèle : « La logique d’un droit du principe considère que les droits de l’homme ne sauraient s’arrêter à la porte du privée. La famille n’est pas une entité si spécifique qu’elle ne puisse être réglementée elle aussi selon les principes qui fondent les droits politiques ; le rôle du droit est de garantir à l’individu, homme ou femme, le respect de ses droits fondamentaux jusque dans la sphère de son intimité. C’est la condition première de la séparation entre privé et public, constitutive de la démocratie. La logique d’un droit du modèle se fonde sur l’idée que la famille est une société irréductiblement spécifique, et que le droit doit se faire le gardien du modèle de famille conforme à la nature particulière des rapports entre le père, la mère et les enfants, entre époux et alliés. Ce droit du modèle veut garantir la séparation entre la sphère domestique et la sphère politique ; il est l’autre façon de dire le privé. »

L’approfondissement du principe de l’intérêt de l’enfant comme paradigme du droit de la famille, à tout le moins en tant que finalité de l’autorité parentale se situe sans doute dans une logique de droit du modèle, sans pour autant compromettre les libertés fondamentales et la capacité des familles à inventer leur mode de vie, la définition de l’intérêt de l’enfant par référence aux besoins fondamentaux de tout enfant. En définitive, si le droit de la famille a évolué sous la double impulsion des droits de la femme et des droits de l’enfant, est-il possible d’envisager qu’il continue d’évoluer sous cette double impulsion, mais en empruntant deux voies différentes : les droits de la femme étant affirmés dans une logique de droit du principe et ceux de l’enfant dans une logique du droit du modèle ?

Notes

  1. La formation des professionnels est ici un enjeu essentiel en vue d’une meilleure prise en compte des besoins de l’enfant. Je me souviens ici de la leçon qui m’a été faite en audience par la directrice d’une pouponnière sur l’attachement chez le petit enfant.

Bibliographie

Arendt Hannah, Qu’est-ce que l’autorité ?, La crise de la culture, Folio essais.

Bastard B., « Désirable et exigeante, la régulation négociée des relations dans le couple et la famille », Dialogue, Erès, n°200, 2ème trimestre 2013.

Durand Edouard, « La place du père », Esprit, mai 2012.

Golse B., « Résidence alternée, point de vue du pédopsychiatre », Dalloz, AJ Famille, janvier 2012.

Phélip Jacqueline, Berger Maurice (dir.), Divorce, séparation ; les enfants sont-ils protégés ?, Dunod, 2012

Romito P. et Crisma M., « Les violences masculines occultées : le syndrome d’aliénation parentale », Empan, n°73 (Les violences conjugales), mars 2009.

Sadlier Karen, Les enfants exposés aux violences conjugales, colloque du 3 novembre 2009, Rhéso, Carpentras.

Théry I., Le démariage, Odile Jacob, 1993.

Trocmé N. et Bala N., « False allegations of abuse and neglect when parents separate », Child abuse and neglect n°29, 1333-1345, 2005.

Verdier Pierre, « Pour en finir avec l’intérêt de l’enfant », JDJ – RAJS, n°280, décembre 2008.