Sylvain Missonnier introduit les travaux, en appui sur la bisexualité psychique, en plaidant pour « la diversité comme seule antidote raisonnable pour se tenir cliniquement à l’écart de la polémique à l’heure d’un nouveau débat politique sur la résidence alternée ». Marie Derain, défenseure des enfants, rappelle que la loi a confié à sa responsabilité la défense et la promotion de l’intérêt supérieur et des droits de l’enfant. Pour elle, et « au vu des différentes approches et théories relatives au maintien des liens parents/enfant et de l’analyse des différentes situations exposées, la conclusion paraît être que l’intérêt de l’enfant doit avant tout être défini in concreto, en fonction de l’âge et de la maturité de l’enfant, de la proximité des domiciles des parents, des caractéristiques matérielles de l’accueil de l’enfant. »
Christine Ascoli-Bouin, rapportant la synthèse de la journée du 8 avril co-organisée par le COPES, la SFPEADA et l’APpea, insiste sur la nécessité pour les professionnels de prendre du recul par rapport aux conflits parentaux qui aboutissent à la garde alternée et à privilégier leur fonction de porte-parole des besoins du bébé et du jeune enfant pour garantir un développement harmonieux.
Blaise Pierrehumbert reprenant les acquis de Bowlby rappelle que l’attachement de l’enfant s’organise autour de deux fonctions essentielles, la fonction de port d’attache (le parent aide l’enfant à réguler ses états émotionnels) et la fonction base de sécurité (qui permet à l’enfant de prendre appui sur le parent pour partir explorer le monde extérieur), favorisées par un monde prévisible et compréhensible par l’enfant. Enfin, l’attachement peut se former à tout âge, notamment en raison des qualités de plasticité de l’enfant. Edouard Durand, magistrat, retrace l’histoire de la puissance paternelle à l’autorité conjointe. Il l’éclaire avec l’aide du regard porté par Irène Théry sur les deux manières de penser le droit : la logique du droit du principe et celle du droit du modèle.
Rodolphe Costantino, avocat, constate que peu à peu « le droit de l’enfant s’est effacé en faveur du droit des parents, jusqu’à disparaître au profit de revendications exprimées désormais sur un nouveau concept, celui du “droit à l’enfant”. Les débats concernant la résidence alternée se réduisent trop souvent à opposer masculin et féminin, droit des pères et droit des mères. Mais si bruyant soit cet affrontement, le seul vrai conflit d’intérêts que la loi met en scène et qui doit nous préoccuper est celui qui oppose le droit des parents à l’intérêt des enfants. »
Jacqueline Phélip, insiste dans sa discussion des deux hommes de loi sur l’importance de la Justice dans ce débat. Elle propose que la future loi soit basée essentiellement sur l’intérêt supérieur de l’enfant, quelles que soient les difficultés rencontrées pour obtenir un consensus juridique sur ce fait.
Maurice Berger nous dresse une histoire complète des recherches actuelles sur la garde alternée. Si la nécessité d’articuler la clinique et le législatif rassemble la plupart des praticiens, celle d’attendre du législatif qu’il fabrique du « sur mesure » est une utopie. Il préconise « une loi protectrice interdisant la résidence alternée pour les enfants âgés de moins de six ans, sauf accord librement consenti par les deux parents, et dans toutes les situations de conflit parental ouvert quel que soit l’âge de l’enfant.» On ne peut être plus clair.
Emmanuelle Bonneville-Baruchel, poursuivant dans ce sens, rappelle l’importance de la stabilité et de la continuité relationnelle pour satisfaire les besoins fondamentaux et transformer les angoisses des tout-petits. Elle plaide pour un système d’organisation des modalités de garde des enfants de parents séparés fondé sur le respect absolu de sa sécurité interne, basé sur une démarche d’évaluation continue, régulière et objective de l’enfant, lui garantissant le bénéfice d’un contact réel avec sa figure d’attachement.
Eugénie Izard montre comment, à partir de sa longue expérience clinique, l’existence d’angoisses d’abandon survenant chez les enfants en garde alternée, pourtant consensuelles, entrave peu ou prou la fabrication de leurs représentations mentales.
Albert Ciccone insiste lui sur l’importance des rythmes dans la constitution de l’anticipation dont on sait l’importance dans l’inscription de la temporalité et les capacités d’adaptation pour un développement des bébés optimal.
Muriel Geoffray, médiatrice familiale, expose les méthodes utilisées par son association pour aborder de telles problématiques conflictuelles. Par leurs approches multidisciplinaires, au croisement du social, du juridique et du psychologique, les médiateurs familiaux favorisent l’abord d’enjeux qui se jouent sur des scènes différentes dans la perspective d’une mise en échange de ces éléments parfois conflictuels, et notamment dans les situations de garde alternée.
Carine de Buck et Marie-Paule Durieux insistent sur le fait que la résidence alternée est très souvent la caisse de résonnance des troubles psychopathologiques des parents. Dans ces situations, « les besoins de l’enfant ne sont pas suffisamment pris en compte, l’empathie à son égard fait défaut et la quête réparatrice narcissique des parents prime sur la réponse adéquate à l’enfant dont le développement peut se voir entravé par la massivité des projections dont il est l’objet. »
Pascale Gustin, dans la discussion, introduit le concept de « maisonnée », soit « l’espace de vie avec ses habitants et toutes les imprégnations sensorielles auxquelles le petit est si sensible», redonnant ainsi à la permanence du lieu de vie quotidienne toute son importance.
Enfin, Pierre Lévy-Soussan, propose une conclusion de la journée de travail en insistant sur le fait qu’il « ne devrait pas y avoir de droit « d’avoir » un enfant, mais celui « d’être parent » et celui « d’être un enfant en devenir » ». Pour lui, « l’enfant est celui qui prend tous les risques quant à la défaillance de son environnement familial, social et juridique. Alors même que nous sommes en dette envers lui : lui donner un monde capable d’avoir un sens et non un chaos où chacun se déchire au nom de lui ».
Nous voilà donc, au terme de ces travaux sur la résidence alternée, au chevet d’un enfant de quelques mois avant la naissance jusqu’à trois ans, sujet de toutes les préoccupations de notre association, la WAIMH francophone, soumis à un nombre considérable d’informations sur la question, qui se veulent toutes aussi scientifiques et objectives les unes que les autres. Et pourtant notre groupe est traversé par des idées diverses, voire contradictoires, en fonction de ce que notre intérêt profond nous dicte. Le bébé et le jeune enfant sont des êtres fragiles, qui doivent recevoir des soins maternels et bénéficier d’une fonction paternelle pour assurer leur développement de façon la plus harmonieuse possible. Toutefois, les évolutions sociétales récentes nous ont permis de détacher progressivement les fonctions paternelles et maternelles du sexe anatomique des parents, en appui sur la bisexualité psychique bien comprise, ouvrant ainsi des scénarios peu envisagés jusqu’à présent. L’intersubjectivité primaire qui préside aux premières interactions entre bébé et parents permet de fonder la notion de soins maternels sur la constatation clinique que ces soins dits « maternels » sont assumés par celui qui exerce la fonction de figure d’attachement principal (Biziaux). Cette fonction devra ensuite être progressivement libérée de ses potentialités entropiques par une fonction alternative que les expériences antérieures nous avaient appris à nommer « fonction paternelle ».
Mais de nombreux exemples cliniques nous ont montré que les fonctions parentales pouvaient ne pas coïncider avec le sexe anatomique. Les fonctions de « port d’attache » et de « base secure » doivent être assumées pour aider le bébé dans son développement, habituellement par la mère, mais sans exclusives. Les processus d’attachement mis en jeu entre le bébé et le ou les premiers qui se préoccupent de lui concrètement peuvent connaître des variations importantes en termes de qualité de la figure principale d’attachement, à la condition qu’une continuité soit opérée dans les expériences vécues par le bébé, démontrant ainsi la validité de figures d’attachement secondaires. En outre, la relation d’amour filial ne contient pas en elle par essence la qualité de protection et de sécurité, si bien que la figure d’attachement peut ne pas être le parent, ou plus précisément, la mère du bébé. En effet, dans les cas fréquents de pathologies parentales, le conflit portant sur la garde de l’enfant ne prête pas assez d’attention à l’intérêt supérieur de l’enfant, masqué par l’énorme inflation de la souffrance parentale venant prendre toute la place de l’évaluation objective des capacités parentales à prendre en charge la protection et la sécurité de l’enfant pris en otage. Il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’un conflit en passe de régulation entre deux parents névrosés occidentaux poids moyens ou entre deux ou un des parents porteur(s) d’une pathologie narcissique, rendant impossible toute prise de distance nécessaire à un règlement optimal pour l’enfant.
Le juge a dans ces cas un rôle primordial puisqu’il doit pouvoir débusquer les arrière-plans de ces scénarios. Le jugement de Salomon reste une figure de référence pour comprendre ces problématiques insolubles. En effet, générosité et lucidité sur le devenir de l’enfant par empathie avec son vécu, restent alors les seules voies possibles pour une issue « honorable » pour les protagonistes. Dans le cas contraire, les mécanismes archaïques de déni de la réalité se mettent en branle et produisent à tire-larigot identification projective pathologique, clivage, interprétation délirante et manipulations plus ou moins conscientes qui contribuent à obscurcir le débat. Tout se passe alors comme si le ou les parents pathologiques, emportés par la passion, en lieu et place d’exercer la « fonction alpha » transformatrice proposée par Bion pour préciser le fonctionnement de la fonction maternelle confrontée aux impasses de son bébé, se mettaient à fonctionner en « fonction oméga » (Gianna Williams), projection du parent sur le bébé des causes du conflit, renforçant ainsi sa souffrance psychique, et éloignant les moyens de la secourir. L’enfant présente alors une dépression, une hyperémotivité, des angoisses, un évitement relationnel nécessitant parfois une psychothérapie.
Tout cela conduit à réfléchir à plusieurs niveaux sur le cadre d’accueil de ces problématiques complexes : le cadre juridique qui devra fixer les contours dans lesquels la résidence alternée devra se situer de façon à préserver l’intérêt supérieur de l’enfant, le cadre concret de la résidence alternée selon les axes définis par Houzel dans son exploration de la parentalité (exercice, expérience, pratique) et le cadre corporopsychique contenant le développement du bébé et du jeune enfant (objet d’arrière-plan, image du corps, « maisonnée », fabrication des représentations en présence de l’objet, identification aux deux parents et aux liens entre les deux parents…). Ce qui conduit à favoriser les décisions qui prennent en compte la permanence du lieu.
Tout conflit ne peut que bénéficier d’une proposition de médiation familiale pour tenter d’obtenir de la fonction parentale des deux parents l’expression facilitant la mise en place d’un dispositif propice à l’intérêt supérieur de l’enfant, en-deçà ou au-delà des conflits portant sur le couple, de nature différente de ceux qui portent sur la parentalité. Il s’agit donc de préserver un cadre à l’abri duquel l’enfant pourra construire son développement malgré la séparation de ses parents. Si la loi peut aider à y parvenir, elle ne pourra jamais remplacer la capacité d’un parent à sentir et à accepter ce qui est de nature à aider de façon optimale son enfant. La complexité de telles situations montre à l’envi que toute tentative de résolution par défaut ne peut qu’être la moins mauvaise des solutions, tandis que l’appel à la générosité des parents, et à leurs capacités d’empathie pour leur enfant ne peut qu’aboutir à une solution optimale. C’est ce que l’ordre juridique doit accomplir pour aider les parents et les professionnels à faciliter, chacun à leur niveau, le développement harmonieux des enfants concernés.