L’approche spirituelle ou « propédeutique » de la mort n’est plus une constante dans notre société, comme elle a pu l’être dans l’Antiquité et jusqu’au XVIIème siècle. Avoir une idée de sa propre disparition, réfléchir à ce que l’on veut laisser, à ce que l’on aimerait faire encore, à ce que l’on pourra réellement faire avant de mourir, tout ceci est généralement mis de côté ou non approfondi. Or la question du mourir ne se résume pas seulement à envisager le passage par la mort, la question de la douleur ou celle de la souffrance psychologique de terminer sa vie. La mort est un fait social global qui concerne aussi le groupe.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 porte sur les conditions médicales et soignantes de la fin de la vie, elle permet de renoncer à des traitements qui n’ont plus d’effet sur la survie, elle permet aussi d’être « endormi » les derniers temps de l’agonie.
Il reste cependant de nombreux aménagements à y apporter sur le plan de la Culture.
La question de l’euthanasie ne peut être réduite aux décisions médicales et soignantes. Sa légalisation entraîne un changement de culture. Elle exige donc une réflexion approfondie sur la mort et le mourir. Or, la mort a été quasiment chassée de nos vies grâce aux progrès médicaux, mais aussi à la limitation des pouvoirs des religions qui détenaient des convictions sur l’au-delà. Le mourir, qui jadis engendrait prières et fatalisme, ne peut pour autant être considéré comme un état binaire. L’agonie, cet entre-deux si insupportable, est pourtant un moment de lâcher-prise progressif. Bien sûr, avec les antalgiques « modernes », il est possible de la vivre et de la faire vivre à ses proches, pour peu qu’ils y aient été préparés. Nous pouvons encore progresser du côté de l’apprentissage de la mort dans nos sociétés. Dès l’école, les enfants jouent avec les mots, ils simulent des batailles, se transforment en guerriers, ils « tuent » et « meurent » en usant de simulacres. Ces jeux sont des apprentissages du mourir. De même, les grands mythes repris dans les contes leur apprennent les principes moraux et immoraux qui règnent sur nos sociétés. Les adolescents découvrent souvent la mort avec romantisme, ils sont friands de l’urgence de vivre, de l’angoisse de risquer la mort. Ils en jouent à leur tour. À l’âge adulte, la menace de la mort se rapproche, mais il est facile de l’éviter en se plongeant dans l’hyperactivité et le consumérisme. Avec le vieillissement viennent solitude et questionnement sur le futur. Chacun de ces stades peut former un dialogue avec la mort, dialogue interne de soi à soi, mais aussi échange collectif, expérience à transmettre.
L’euthanasie remet en cause la prise en charge collective du mourir avec ses valeurs, du soutien à la solidarité. Les sciences et la médecine ne sont pas les seules concernées. Penser que notre mort nous appartient fait partie des vanités humaines. Mais soyons plus modestes et partageons cette question avec nos pairs, échangeons avec nos familles, abordons les sujets qui fâchent, réfléchissons à nos responsabilités, pas seulement à celles qui incombent aux médecins et soignants.
Si nous consacrons énergie, recherche et soutien pour accompagner nos proches aujourd’hui, nous demain, alors le temps naturel des adieux et de la préparation à l’absence sera plus humain.