Velazquez
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Velazquez

Exposition "Velàzquez"
Grand Palais, Paris (jusqu’au 13 juillet 2015)

C’est beau, incroyablement beau. Tellement beau et fort qu’à l’émerveillement succède l’étonnement. Comment ce jeune homme, né à Séville, en 1599, s’est affirmé très vite comme un grand peintre, puis comme un des plus grands peintres de l’histoire de la peinture ? Manet ne s’y est pas trompé, il le qualifia du « plus grand peintre qui ait jamais existé ». Le génie est une énigme jamais résolue. Pour Velàzquez, tant de commentaires, dont le fameux chapitre de Michel Foucault sur Les Ménines dans Les Mots et les Choses, n’ont pas levé le secret. Et l’exposition ne fait que l’exacerber. Que se passe-t-il dans la tête de quelqu’un qui, avec chaque portrait, est capable de nous plonger dans l’univers psychique d’une personne, ayant vécu il y a des siècles, et dont il révèle la présence intime ? D’où vient une telle profondeur de l’analyse psychologique ? Une telle capacité à la rendre visible ? Comme le fameux portrait du pape Innocent X, qui a inspiré à Francis Bacon des variations qui en déclinent tous les aspects sous-jacents.

Les commissaires ont pris le parti de compléter les œuvres de Velàzquez, forcément moins nombreuses qu’ils n’auraient souhaité, encore qu’ils ont réussi l’exploit d’en réunir un bel ensemble, avec des tableaux de peintres contemporains de Velàzquez. Cette confrontation donne lieu à une contextualisation intéressante, mais Velàzquez domine, s’impose. On le reconnaît tout de suite. A quoi ça tient ?

Quand on arrive à l’autoportrait de la dernière salle, on reste à scruter ce visage, dégageant la même profondeur et spiritualité que tous les autres, s’attendant à y trouver quelques traces de folie, car tant de génie ne peut pas exister sans folie. Cependant Velàzquez était un homme tout à fait inséré dans la réalité socio-culturelle de son époque et de son milieu ; de Séville, ville riche et cosmopolite après la découverte du Nouveau Monde, à la Cour d’Espagne, où il avait des liens privilégiés avec Philippe IV.

De plus, Velàzquez est aussi un grand penseur. Les compositions sont extrêmement sophistiquées. Les espaces en abîme, la suppression progressive du fonds, et surtout les dispositifs de miroir, mettant en jeu ce que nous appellerions aujourd’hui la réflexivité. Si Les Ménines ne sont pas là, on pourra se consoler avec l’extraordinaire Vénus au Miroir, à qui les commissaires ont eu bien raison d’offrir une salle particulière. On contemple cette femme nue, vue de dos, si belle …et puis le regard glisse vers le miroir et se choque. Le visage reflété ne peut pas être celui de cette femme ! D’une facture beaucoup moins esthétique, moins belle, presque flétrie, le visage dans le miroir évoque le décalage entre celui qui est et son image, le passage du temps, la mort…

Avec Velàzquez, on a envie de parler d’âme. Et cette âme diffuse dans tous les tableaux. Elle transparaît évidemment dans les visages et surtout les regards. Mais regardez aussi les mains et les pieds, si expressifs, qu’il traite comme autant de fenêtres ouvertes sur l’âme. Regardez encore les chiens, si humains, en résonance avec les émotions de celui qu’ils accompagnent, ou même porteurs de messages. Ainsi le petit chien jappant de La Tunique de Joseph semble dire plus que le chagrin de son maître, prêt à attaquer les frères, à dénoncer les traîtres. Regardez les enfants et les bouffons dont Velàzquez est un merveilleux portraitiste. L’un des plus beaux tableaux de l’exposition est peut-être celui où le petit prince Baltasar Carlos est représenté à côté d’un nain, l’enfant du roi, lumineux, promis au pouvoir, et le nain, infirme, au regard grave.

Deux mondes que Velàzquez représente sans hiérarchie.

Simone Korff-Sausse
Psychanalyste SPP