Pour le clinicien, le symptôme prend un sens nouveau avec chaque patient, et d’une certaine façon il l’invente à chaque fois. Travail créatif, source de plaisir, travail d’interprétation au sens musical du terme, sans lequel la grille sémiologique n’est qu’une partition sans vie. Le scientifique, quant à lui, repère des signes pertinents dans un système théorique donné, et propose des échelles de mesure pour harmoniser le recueil des données. Mais voici que le clinicien vertueux veut se faire scientifique. Vertu de la logique unidimensionnelle, et vertu de l’uniformisation. Sans sourciller, il pratique aussitôt la confusion des langues. Les modes de pensée issus de la recherche quantitative concernent le repérage d’une maladie et pas la rencontre d’un malade. Réduction à l’état d’échantillon de la complexité. Vieux débat, en fait. Rémy Stricker écrivait dans « Mozart et l’opéra » : « Le milieu du XXème siècle a cru définir avec exactitude les attributions de ce personnage encombrant (l’interprète), en lui fixant pour premier commandement la fidélité au texte. Mais cet âge d’or scientifique a peu duré : le texte n’était qu’un squelette. Les écrits du passé sur l’interprétation musicale ne se souciaient pas de donner à tout le monde la même image : ils se contredisaient bien plus qu’ils ne s’accordaient. » Gardons-nous d’uniformiser l’image de nos patients, et retrouvons la vertu de cette contradiction, moteur indispensable pour préserver une clinique vivante, ouverte à un véritable esprit de recherche.